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Reconnaissance de l’État palestinien: entre portée politique et verrou juridique

Invité de «L’Info en Face», Rachid Lazrak, professeur émérite de droit international, estime que la dynamique de reconnaissance de l’État palestinien est «historiquement majeure», mais rappelle que l’accès au statut d’État membre de l’ONU reste entravé par le veto au Conseil de sécurité. Il éclaire aussi, en miroir, les enjeux pour le dossier du Sahara marocain.

25 Septembre 2025 À 18:32

L’Assemblée générale de l’ONU voit s’affirmer une majorité d’États favorables à la reconnaissance de la Palestine. Pour Rachid Lazrak, le signal est fort sur la scène internationale, mais ne modifie pas, à court terme, l’architecture juridique onusienne. L’universitaire distingue ainsi, avec insistance, l’effet politique du vote et la mécanique juridique du Conseil de sécurité, avant de projeter ces enseignements sur la question du Sahara marocain.

Un vote «historique», à forte charge politique

«C’est important, et je qualifierais même ce moment d’historique», souligne Rachid Lazrak, en rappelant que «plus de 75% des pays reconnaissent l’État palestinien». Avec les déclarations officielles lundi 22 septembre à New York de la France, de la Belgique, du Luxembourg ou de Malte, les pays du continent européen sont désormais une majorité à reconnaître l'État de Palestine. Cette liste déjà rallongée dimanche par le Royaume-Uni et le Canada – premiers pays du G7 à faire une telle reconnaissance –, l'Australie et le Portugal.



Pour l'invité de «L'Info en Face», l’enjeu est d’abord diplomatique: «Cette dynamique pousse Israël à réfléchir sur son isolement au sein de la communauté internationale». L’onde de choc politique pourrait s’élargir, estime-t-il, à mesure que d’autres capitales européennes ou arabes ajustent leur position.

Le verrou du Conseil de sécurité

Sur le plan strictement juridique, l’analyse est plus sèche: «Tant qu’un membre permanent du Conseil de sécurité oppose son veto, il n’y aura pas de reconnaissance au sein des Nations unies», rappelle-t-il. Le professeur distingue l’actuel statut d’observateur de la Palestine et la pleine qualité d’État membre, qui suppose une recommandation du Conseil de sécurité et un vote de l’Assemblée générale. Il rappelle aussi les trois critères classiques de l’État (territoire, population, autorité), tout en notant les réalités fragmentées du terrain palestinien. M. Lazrak souligne par ailleurs un décalage entre la pression internationale grandissante et la stratégie interne israélienne: «Nous sommes dans une course contre la montre», dit-il, évoquant le calendrier politique à Tel-Aviv et «une fuite en avant» du pouvoir. Il y voit une source d’instabilité régionale durable, malgré les tentatives de médiation au Moyen-Orient.

En miroir: ce que dit ce débat du dossier du Sahara marocain

L’universitaire transpose enfin la grammaire onusienne au Sahara marocain. Pour lui, la diplomatie du Royaume vise désormais un cap net: sortir le dossier de la logique de «décolonisation» et obtenir une consécration claire de sa souveraineté à travers une résolution du Conseil de sécurité soutenant l’option d’autonomie. «Le Maroc a besoin d’un "titre foncier”», précise Rachid Lazrak, «c’est-à-dire un acte onusien qui sécurise juridiquement ce qui est une réalité politique et territoriale». Et d’ajouter: «Je ne vois aucune armée du monde qui pourrait faire sortir le Maroc de son Sahara.» Dans cette perspective, il insiste sur deux leviers: la recherche d’une majorité parmi les membres non permanents et la neutralisation des veto potentiels des membres permanents, en phase avec l’esprit des dernières résolutions jugeant la proposition marocaine d’autonomie «crédible et réaliste».

Et maintenant ?

À court terme, la reconnaissance de l’État palestinien continuera d’exercer un effet politique plus que juridique, nourrissant une pression internationale soutenue. À moyen terme, le terrain décisif restera le Conseil de sécurité, où se règlent – ou s’enrayent – les bascules de statut. Pour le Maroc, la feuille de route est de poursuivre l’ancrage de la solution d’autonomie sous souveraineté marocaine, en capitalisant sur les rapports de force diplomatiques et la constance des positions onusiennes. Comme le résume Rachid Lazrak, «le droit international ne s’écrit pas seulement à la tribune ; il se gagne dans les équilibres du Conseil de sécurité».

La Marche Verte, socle d’unité nationale et référence diplomatique

Pour Rachid Lazrak, la Marche Verte demeure «l’événement fondateur qui a scellé le lien indéfectible entre le Trône et le peuple autour de la question du Sahara». Plus qu’une simple démonstration pacifique, elle incarne, selon lui, «une épopée historique, un modèle unique au monde où des centaines de milliers de citoyens ont marché sans armes, avec le Coran en main, pour affirmer la marocanité de leur Sahara». L’universitaire insiste sur la portée diplomatique de ce moment historique: «La Marche Verte a donné au Maroc une légitimité internationale renforcée. Elle reste un atout que nous devons continuellement valoriser dans nos plaidoiries auprès des Nations unies.» Il rappelle également la dimension populaire et spirituelle de cet acte: «Cette marche n’était pas seulement une opération géopolitique. Elle a traduit la communion d’un peuple uni derrière son Roi, dans une démarche pacifique et exemplaire». Aujourd’hui encore, ajoute-t-il, la Marche Verte constitue «un référentiel stratégique», qui doit inspirer la diplomatie marocaine dans ses batailles actuelles et futures pour consolider définitivement la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud.

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