Nation

Sahara : Omar Bendjelloun décrypte les implications juridiques de la résolution 2797

Contrairement aux précédentes résolutions sur le Sahara marocain, celle du 31 octobre ne pouvait pas se fondre dans la routine des actes délibératifs du Conseil de sécurité. C’est ce qu’affirme Omar Mahmoud Bendjelloun, docteur en droit international, avocat aux barreaux de Rabat et de Marseille, qui en révèle la portée déterminante : ce texte recompose le cadre normatif du dossier, érige l’autonomie au rang de principe directeur et impose une lecture renouvelée de la question saharienne. Dès lors, une interrogation s’impose : comment un État central ajuste-t-il ses fondations, se redessine-t-il et se reconfigure-t-il lorsqu’il adopte, en droit et en perspective, la logique structurante de l’État régional ? Une réflexion que l’invité de «L’Info en Face» essayera d’approfondir.

08 Décembre 2025 À 19:33

Si la résolution 2797 marque un tournant dans l’histoire récente du dossier saharien, c’est moins par son adoption formelle que par l’inflexion doctrinale qu’elle inaugure. En effet, le texte onusien ne se contente pas d’entériner une position diplomatique, il réoriente la grille d’analyse du conflit, conférant à l’autonomie une valeur structurante au sein du droit international applicable. Omar Mahmoud Bendjelloun, docteur en droit international, avocat aux barreaux de Rabat et de Marseille met en lumière cette mutation profonde, en montrant comment la reconnaissance internationale de l’autonomie déplace désormais le débat vers l’ingénierie institutionnelle et la transformation interne de l’État marocain. Car au-delà du geste onusien, c’est tout un horizon de réaménagement constitutionnel, territorial et politique qui se dessine, engageant le pays dans une réflexion de longue haleine sur la forme même de son organisation. C’est cette articulation entre norme internationale, souveraineté nationale et réforme institutionnelle que propose d’analyser M. Bendjelloun, dans le cadre de « L’Info en Face», en s’attachant à éclairer les ressorts d’une transition vers l’État régional.

Une rupture épistémologique dans le traitement international du Sahara

De prime abord, Omar Mahmoud Bendjelloun inscrit la résolution 2797 dans une perspective historique. À ses yeux, elle constitue «un tournant significatif du conflit du Sahara, une rupture épistémologique en matière de droit international». Ce texte opère en effet un rapprochement inédit entre deux registres de légitimité : d’une part, la légitimité historique du Maroc sur ses provinces du Sud ; d’autre part, la légitimité internationale, qui «acquiesce désormais à la troisième voie marocaine entre l’annexion et l’indépendance : l’autonomie avancée». Ainsi, pour la première fois, aucun membre du Conseil de sécurité ne s’est opposé au plan d’autonomie. «En 2007, nous étions presque seuls.



En 2025, nous obtenons la reconnaissance internationale», rappelle-t-il, soulignant la portée de ce glissement diplomatique.

De surcroît, M. Bendjelloun réinscrit cette évolution dans le cadre du droit international public, où la qualité de sujet de droit ne se réalise pleinement qu’à travers la reconnaissance de la communauté internationale. À cet égard, le Maroc bénéficie désormais d’un acquis décisif : l’autonomie n’est plus seulement une proposition politique, mais une option validée par le système onusien et intégrée à son registre interprétatif.

L’autonomie, reconnue comme forme d’autodétermination

Autre point saillant, selon l’analyse faite par l’intervenant, celui de la relecture du principe onusien d’autodétermination. En effet, «depuis le 31 octobre, l’autonomie avancée est reconnue comme une expression du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», rappelle le docteur en droit international. Et d’ajouter : «Cette évolution modifie en profondeur le cadre du débat, puisqu’il ne se situe plus dans une opposition mécanique entre souveraineté et autodétermination ; l’autonomie en devient désormais l’articulation juridique.»

Dès lors, le principe étant acquis, la réflexion se déplace vers le domaine de l’ingénierie institutionnelle. Il s’agit d’en définir les contours constitutionnels et légaux, d’en calibrer l’équilibre des pouvoirs, d’en préciser le découpage administratif et d’en organiser les mécanismes de décentralisation. Autrement dit, l’enjeu n’est plus la reconnaissance du cadre, mais la construction de son architecture. À cet égard, M. Bendjelloun rappelle le rapport de plus de six cents pages élaboré en 2007 par la Commission consultative sur la régionalisation. Ce matériau, observe-t-il, mérite d’être «revivifié» afin d’alimenter la nouvelle proposition marocaine et d’en constituer l’assise réfléchie.

Un changement majeur : toutes les parties doivent désormais produire du contenu

Selon Omar Mahmoud Bendjelloun, la résolution 2797 opère un déplacement décisif des responsabilités. «Les Nations unies demandent désormais à toutes les parties d’adhérer au débat et de donner du contenu au plan d’autonomie», affirme-t-il, faisant observer ainsi que l’objection traditionnellement formulée au Maroc – celle d’une communication insuffisante de sa proposition – ne tient plus. Désormais, dit-il, l’équation s’inverse : l’ONU enjoint explicitement l’ensemble des acteurs à réagir, y compris le polisario, dont un responsable des relations extérieures a récemment indiqué qu’un dialogue n’était «pas exclu».

Aux yeux de cet expert en droit international, cette évolution constitue «un pas de géant vers la paix régionale». Elle s’accompagne d’une clarification doctrinale : toute solution fondée sur l’indépendance ou l’annexion se situerait, selon lui, «en dehors de la légalité internationale». Ainsi, la résolution ne se limite pas à un cadrage politique ; elle redéfinit les paramètres juridiques du débat et introduit une obligation nouvelle pour tous les protagonistes : celle de contribuer, chacun, à la définition du contenu de l’autonomie.

Vers un vaste chantier constitutionnel : le Maroc face au modèle de l’État régional

Mais pour Omar Mahmoud Bendjelloun, l’autonomie portée par la résolution 2797 ne se limite pas à un aménagement territorial : elle engage inévitablement une réflexion profonde sur la structure même de l’État marocain. Et l’avocat de rappeler que le passage d’un État central à un État régional constitue un changement de nature constitutionnelle, comme l’illustrent plusieurs expériences étrangères qu’il cite – l’Espagne, le Royaume-Uni à travers le cas nord-irlandais, ou encore le Québec au sein du Canada. Autant de modèles qui démontrent qu’une autonomie avancée exige une architecture institutionnelle spécifique, avec ses équilibres propres et ses mécanismes d’ajustement.

Toutefois, prévient-il, une telle transformation ne peut s’abstraire des constantes nationales. «Le peuple marocain a toujours fait front uni pour la marocanité du Sahara. Acceptera-t-il une autonomie très avancée ?» s’interroge-t-il, rappelant que toute refonte territoriale devra composer avec cette sensibilité collective. La transition devra ainsi intégrer les paramètres qui façonnent la diversité du pays : les particularités économiques, culturelles et sécuritaires des régions, les dispositifs de péréquation nécessaires à l’équilibre interterritorial, ainsi que les exigences de convergence institutionnelle garantissant la cohérence de l’ensemble. Pour lui, l’enjeu n’est donc pas seulement de définir le périmètre d’une autonomie, mais de déterminer la manière dont un État national peut se redéployer autour d’un schéma régional sans rompre ni son unité ni ses fondements historiques.

La question algérienne : des signaux d’apaisement

Abordant la position algérienne, Omar Mahmoud Bendjelloun adopte résolument une lecture apaisée. Il voit dans l’absence de l’Algérie lors du vote de la résolution 2797 un signe d’inflexion : «Elle ne s’est pas opposée», souligne-t-il, y discernant un indicateur utile pour la suite du processus. À cela s’ajoutent plusieurs déclarations officielles dont il faut faire une lecture politique fine : l’Algérie affirme ne pas vouloir être «plus sahraouie que les Sahraouis», se dit disposée à entrer dans un dialogue constructif et revendique, par moments, un rôle de médiateur. Ces éléments, selon lui, témoignent d’une possible évolution de posture.

Au-delà de ces considérations, M. Bendjelloun insiste sur la dimension historique et humaine entre les deux pays. Leur confrontation est, dit-il, d’autant plus absurde qu’elle oppose deux communautés qu’il qualifie de «même peuple», rappelant que «de Fès à Tlemcen, c’est le même peuple». Dès lors, l’enjeu n’est plus seulement diplomatique, mais civilisationnel : il s’agit de mettre un terme à une relation devenue «fratricide». Sous cet angle, la résolution 2797 crée selon lui «l’opportunité historique de retrouver la raison», en offrant une voie de sortie à l’un des conflits géopolitiques les plus anciens du continent. Elle ouvre ainsi la perspective d’une normalisation régionale, fondée sur la stabilité, la coopération et l’apaisement nécessaire à toute construction maghrébine.

L’autonomie et les autres régions : quel impact sur la gouvernance nationale ?

Interrogé sur l’articulation entre l’autonomie des provinces du Sud et les plans de développement territoriaux intégrés (PDTI), Omar Mahmoud Bendjelloun rappelle d’abord que la régionalisation procède, au Maroc, d’une histoire longue, antérieure au conflit du Sahara et nourrie de considérations économiques, culturelles et sociales. Cependant, observe-t-il, la dynamique actuelle impulsée par le ministère de l’Intérieur – perçue comme une reprise en main rendue nécessaire – intervient dans un paysage territorial traversé par des déséquilibres persistants : certaines régions demeurent en retrait, les inégalités spatiales se maintiennent et l’action publique locale se heurte trop souvent à un déficit de compétence ou de probité.

À ces fragilités, s’ajoute, selon lui, une autre difficulté : certaines autorités déconcentrées peinent à assumer pleinement la dimension stratégique de leur mission. Ces insuffisances conduisent M. Bendjelloun à évoquer une «faillite des ressources humaines politiques», nourrie par la montée de notabilités sans ancrage idéologique, l’achat des voix, une abstention massive et l’affaissement du champ partisan.

C’est dans ce contexte qu’il situe l’impact institutionnel de l’autonomie : la transition d’un État central vers un État régional implique un changement de nature du régime politique. «Nous allons passer d’un État national à un État régional», estime-t-il, avant d’ajouter que cette transformation, parce qu’elle touche à la structure même de l’État, devra inévitablement être soumise à un référendum constitutionnel. Autrement dit, le chantier de l’autonomie ne pourra s’affranchir d’une validation démocratique, au moment où l’organisation territoriale du pays serait appelée à se reconfigurer en profondeur.

Une résolution fondatrice pour un nouveau cycle historique

En définitive, Omar Mahmoud Bendjelloun insiste sur la portée structurante de la résolution 2797, qu’il qualifie d’«acte juridique fondateur». Selon lui, le texte opère un basculement : il «demande aux différentes parties de s’inscrire dans la proposition d’autonomie et de lui donner du contenu». Même en l’absence contraintes formelles, insiste-t-il, la pression internationale se manifeste désormais à travers la logique de crédibilité : «La légitimité historique et la légitimité internationale sont aujourd’hui du côté du Maroc.»

Ainsi, la résolution inaugure un nouveau cycle. Elle consacre l’autonomie comme cadre de référence, place toutes les parties devant la nécessité d’un dialogue substantiel et ouvre la voie à un processus de construction juridique et institutionnelle. Pour M. Bendjelloun, cette dynamique crée un espace propice au règlement du conflit, en réinscrivant la question saharienne dans une temporalité plus large : celle de la paix régionale et du rapprochement maghrébin. En ce sens, la résolution 2797 n’est pas seulement un texte : elle constitue, selon ses termes, «un pas de géant vers la paix continentale», dont le prélude demeure l’intégrité territoriale du Maroc.
Copyright Groupe le Matin © 2025