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Voici de quoi rêvent les jeunes Marocains en 2025

Ils et elles sont 2.399. Des jeunes pour la plupart, des femmes, des NEET, des étudiants, des travailleurs, ici et ailleurs. À travers les Cafés Citoyens Rêves, ils ont rêvé puis ont parlé. Pour une fois, on a écouté. Et ce qu’ils ont dit n’a rien d’anecdotique. Le Maroc qu’ils dessinent est plus lucide, plus ambitieux et, surtout, bien plus exigeant que celui des discours officiels.

19 Décembre 2025 À 18:15

«I had a dream...» déclarait Martin Luther King en 1963. Plus de soixante ans plus tard, ce sont 2.399 Marocaines et Marocains qui ont, à leur tour, accepté de dire leurs rêves. Non pas ceux d’un ailleurs idéalisé, mais ceux d’un pays à la hauteur de ses citoyens. C’est l’objet du rapport Rêves des Marocains, issu d’une vaste consultation citoyenne menée par l’association Les Citoyens à travers les «Cafés citoyens Rêves». Entre 2024 et 2025, 101 rencontres ont été organisées au Maroc et à l’étranger, permettant de recueillir 1.212 rêves. Loin de l’utopie ou du slogan, ces aspirations dessinent un Maroc lucide, exigeant, profondément ancré dans le réel.

Une jeunesse ni apathique ni résignée

Contrairement aux discours dominants sur une jeunesse désengagée, les participants – âgés en moyenne de 21 ans – ont exprimé des priorités claires. Étudiants, jeunes sans emploi, femmes, salariés, acteurs associatifs, issus de 66 localités et des douze régions du Royaume, mais aussi de villes comme Paris, Bruxelles ou Séville, ont formulé des visions concrètes. Trois attentes majeures émergent. D’abord, une école publique capable de garantir l’égalité des chances, de former à l’esprit critique et de rompre avec les logiques d’exclusion sociale. Ensuite, l’accès à un emploi digne, permettant de vivre et de se projeter sans être contraint à l’exil ou à l’informel. Enfin, un système de santé respectueux, accessible et protecteur. À ces piliers s’ajoute une demande transversale : le droit de participer réellement aux décisions publiques. «Je rêve d’un emploi dans ma ville, pour ne pas avoir à la quitter», résume Meriam, participante à Marrakech-Safi. Une phrase qui concentre à la fois l’attachement au territoire et la fragilité du lien social.

Un pays, douze réalités

Le rapport ne l’affirme pas explicitement, mais il le montre avec force : le Maroc est loin d’être un bloc uniforme. Dans la région de l’Oriental, les jeunes évoquent une forte pression sur les infrastructures, qu’ils associent à un déficit accumulé au fil des années. Ils dénoncent un sentiment d’abandon et réclament des investissements dans l’éducation, la santé et les espaces culturels. À Casablanca-Settat, malgré un dynamisme économique certain, les témoignages pointent l’exclusion sociale, l’insécurité, l’accès inégal aux services urbains, et un besoin urgent de justice spatiale et environnementale. Dans les régions du Sud, notamment à Draâ-Tafilalet, le sentiment de marginalisation est encore plus marqué. L’éloignement géographique, la faiblesse des infrastructures et la rareté des services de base alimentent une urgence sociale largement exprimée par les jeunes. À Laâyoune ou Guelmim, les préoccupations prennent une tournure plus écologique et identitaire, autour de la question de la reconnaissance culturelle, de l’environnement et des ressources naturelles. Partout, une même lassitude s’exprime : celle d’un Maroc à deux vitesses, où l’égalité des chances reste un idéal lointain. Mais partout aussi, une même volonté : celle de participer, de construire, à condition qu’on écoute vraiment. «Les jeunes ne manquent pas d’idées. Ce qui leur manque, c’est la reconnaissance», a déclaré Kaoutar Abdouni de la Fondation Moubadir à Oujda.

Une diaspora engagée mais en attente de reconnaissance

Quarante-six Marocains résidant à l’étranger (MRE), établis notamment en France, en Belgique et en Espagne, ont également participé à cet exercice. Âgés en moyenne de 28 ans, ils ont exprimé une volonté claire de maintenir un lien actif avec leur pays d’origine, ainsi qu’un intérêt pour y contribuer, voire y revenir, à condition que certaines réformes structurelles soient engagées. Leurs priorités rejoignent celles de la population nationale, tout en mettant l’accent sur des dimensions spécifiques liées à leur position de citoyens éloignés géographiquement, mais concernés politiquement. Ils rêvent d’une justice indépendante, une lutte effective contre la corruption et une transparence accrue des institutions. L’accès équitable à l’éducation et à la santé, ainsi que la modernisation des services publics, figurent également parmi leurs attentes majeures. Les MRE insistent sur la nécessité d’une meilleure reconnaissance institutionnelle de la diaspora. Ils appellent à la création d’un organe représentatif indépendant, chargé de faire entendre leur voix et de participer à l’élaboration des politiques migratoires. Leur frustration principale, relevée dans le rapport, tient au fait d’être souvent perçus comme de simples investisseurs, sans réel statut citoyen. Parmi les leviers d’action proposés figurent la simplification des démarches administratives transfrontalières, la valorisation des compétences acquises à l’étranger et une intégration plus structurée des MRE dans les processus de décision publique.

Des rêves assortis de propositions

Au-delà du diagnostic, le rapport formule des recommandations opérationnelles : création de conseils locaux de jeunes, réhabilitation des maisons de jeunes en milieu rural, simplification des démarches administratives, déploiement d’unités de santé mobiles, ou encore soutien à l’entrepreneuriat féminin. Autant de propositions issues du terrain, traduisant une autre manière de penser l’action publique. Ce que révèle cette démarche, c’est une aspiration à une démocratie vécue au quotidien, hors des seuls temps électoraux. «Je rêve d’un Maroc où la démocratie n’est pas un mot, mais une expérience», confie Tarik, participant à Fès. Aujourd’hui, le rapport est entre les mains des décideurs. La parole citoyenne, elle, a été dite. Si elle reste sans suite, ce ne sera pas par manque d’idées, mais par refus d’écouter.
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