Hajjar El Haïti
29 Décembre 2025
À 15:58
Depuis le coup d’envoi de la
Coupe d’Afrique des nations, organisée au Maroc du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, une réalité saute aux yeux : la ferveur autour de l’équipe nationale se vit aussi au féminin. Fan zones investies, stades plus mixtes, salons transformés en espaces de célébration, réseaux sociaux saturés de vidéos de préparatifs et de cris de joie... les femmes, encouragent, analysent et célèbrent. La CAN, en se jouant à domicile, ne crée pas cette passion, elle la confirme et montre, une fois de plus, que soutenir l’équipe nationale n’est plus une passion genrée, mais une émotion collective partagée.
Cette présence féminine, déjà perceptible lors des grandes compétitions précédentes, s’impose aujourd’hui comme une évidence. La Coupe d’Afrique agit comme un révélateur grandeur nature : le football, longtemps perçu comme un territoire masculin, est devenu un espace d’émotions partagées, où les femmes occupent une place centrale.
Jeunes femmes : une ferveur visible et assumée
Dans les fan zones et sur les réseaux sociaux, les jeunes femmes sont particulièrement présentes. Maillots rouges, visages peints, drapeaux noués autour des épaules, elles chantent, filment, commentent et partagent chaque moment. Sara, 20 ans, étudiante à Casablanca, raconte : «Aller en fan zone entre amies, c’est devenu normal. On ne se pose même plus la question. On vit le match à fond, on crie, on pleure, on célèbre. Le football, c’est aussi à nous.» Les réseaux sociaux amplifient cette visibilité. À chaque match du Maroc, Instagram et TikTok se remplissent de stories de préparation, d’analyses à chaud et de célébrations collectives. Une manière de revendiquer sa place, sans discours militant, simplement par la présence.
Mères de famille : la CAN comme moment de transmission
Pour les mères, la CAN prend souvent une dimension familiale. Le football devient un temps fort partagé, un espace de dialogue et de complicité avec les enfants. Samira, 44 ans, mère de trois enfants, confie : «Quand le Maroc joue, toute la maison s’organise autour du match. On prépare à manger, on s’installe ensemble, on encourage. Mes enfants me voient vibrer tout au long du match, et ça leur montre que le football, ce n’est pas réservé aux hommes.»
Certaines mamans vont plus loin et choisissent de vivre l’événement à l’extérieur, dans les stades ou les fan zones. «Aller au stade avec mes enfants, c’est leur laisser un souvenir fort», explique Nadia, 39 ans. «C’est aussi leur montrer que leur mère a toute sa place dans cette ambiance.» Dans de nombreux foyers, ce sont les femmes qui donnent le rythme des soirées CAN. Préparation de plats spéciaux, snacks, boissons, décorations improvisées aux couleurs du Maroc, commandes de pizzas... Le match devient un événement à part entière. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses influenceuses partagent ces moments : tables dressées avant le coup d’envoi, réactions en direct, joie débordante après une victoire.
Chez les femmes plus âgées, la CAN est souvent vécue comme un moment de fierté nationale plus que comme une analyse sportive. Amina, 68 ans, à Fès, explique : «Je ne comprends pas tout, mais quand le Maroc joue, je regarde. J’aime voir le pays uni, et mes petits-enfants heureux». Le football devient alors un lien intergénérationnel, un langage commun qui traverse les âges.
Une passion installée, que la CAN vient amplifier
Si la CAN 2025 donne autant de visibilité à cet engouement féminin, c’est parce qu’il ne sort pas de nulle part. Depuis plusieurs années, et plus encore depuis le parcours historique des Lions de l’Atlas lors de la Coupe du monde 2022, le football s’est imposé comme un espace d’expression commun. «Aujourd’hui, suivre l’équipe nationale est devenu un réflexe, un rituel, parfois même un marqueur identitaire. Le rapport des femmes marocaines au football a changé de nature. On est passé d’une curiosité ponctuelle à une appropriation réelle de cet espace sportif et symbolique. La Coupe du monde 2022 a marqué une rupture : pour la première fois, le football a été vécu comme une victoire collective, incarnant la réussite, la dignité et la reconnaissance du pays sur la scène internationale», analyse Hamid Wajdi, sociologue.
Selon lui, cette dynamique s’est renforcée avec les succès successifs des différentes sélections nationales, qu’elles soient masculines ou féminines, dans toutes les catégories d’âge. «Les titres et performances des équipes nationales toutes catégories confondues, ainsi que la progression du football féminin, ont installé un sentiment de continuité. Le football n’est plus un événement exceptionnel, mais un récit national permanent, dans lequel les femmes se reconnaissent pleinement».
Hamid Wajdi souligne également le rôle central de l’espace domestique dans cette évolution. «Historiquement, les femmes ont investi le football à partir de la sphère privée, du foyer. Les salons sont devenus des lieux de ferveur, de discussion et de transmission. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le passage massif vers l’espace public : stades, fan zones, cafés. La CAN organisée au Maroc légitime ce déplacement et rend cette présence incontestable». Autre facteur clé : les réseaux sociaux, qui ont permis aux femmes d’exprimer leur passion sans passer par les codes traditionnels des supporters masculins. «Les plateformes numériques ont joué un rôle fondamental. Elles ont offert un espace d’expression autonome, où les femmes peuvent célébrer, analyser et commenter sans se sentir jugées. Cette visibilité crée un effet d’entraînement et contribue à normaliser leur présence dans l’univers du football».
Enfin, le sociologue insiste sur la dimension générationnelle de ce phénomène. «Les jeunes femmes n’ont pas les mêmes barrières symboliques que leurs aînées. Elles ont grandi avec des modèles féminins visibles dans le sport, les médias et la société. La CAN 2025, vécue au Maroc, consolide cette évolution en montrant que le football est désormais un espace inclusif, où l’émotion nationale dépasse les clivages de genre», explique le sociologue. Et de conclure : «Ce que l’on observe aujourd’hui n’est pas un simple engouement autour de la CAN, mais l’expression d’un changement durable dans la manière dont les femmes marocaines s’approprient les symboles de la nation. Le football en fait désormais pleinement partie».