Saloua Islah
27 Novembre 2025
À 16:45
Au Maroc, il suffit parfois de quinze jours de formation pour que certains s’auto-proclament psychologues, une dérive préoccupante née d’un vide juridique qui permet à des intervenants non qualifiés de s’attribuer un titre pourtant chargé de responsabilités. En l’absence de contrôle, les pratiques douteuses se multiplient et les patients, déjà vulnérables, en paient le prix.
La faiblesse du cadre devient encore plus visible lorsque l’on compare la psychologie et la psychiatrie. Les deux disciplines sont censées se compléter dans la prise en charge de la santé mentale, mais cette complémentarité n’est pas reflétée dans la loi marocaine. La psychologie, qui relève des sciences humaines et repose sur l’étude rigoureuse des comportements et des processus mentaux, ne bénéficie d’aucun encadrement juridique. La psychiatrie, en revanche, appartient au champ médical et s’appuie sur une réglementation précise définie par la loi 131-13, qui en réserve l’exercice aux médecins spécialistes. Ce décalage ouvre une zone de vulnérabilité où un conseil mal formulé, une évaluation erronée ou un accompagnement sans compétences peut causer autant de dommages qu’un traitement médical inadapté.
C’est dans ce climat d’incertitude et face à l’essor croissant de pratiques non encadrées que le Syndicat national des psychologues a choisi d’alerter les autorités. Pour la première fois, il s’est tourné vers le ministère de l’Intérieur. Une lettre, datée du 24 novembre, signale la délivrance d’autorisations permettant l’ouverture de cabinets se présentant comme psychologiques alors que leurs responsables ne possèdent aucun diplôme universitaire reconnu. Fouad Yaakoubi, vice-président du Syndicat, rappelle que cette démarche intervient après plusieurs correspondances adressées au ministère de la Santé et restées sans réponse, alors qu’elles avaient pour but d’établir un cadre légal protecteur pour les patients et structurant pour la profession.
Selon le représentant syndical, le mécanisme contesté s’appuie sur ce que l’on appelle une
« autorisation coutumière », délivrée par
le Secrétariat général du gouvernement via les préfectures et arrondissements pour des activités de coaching, de développement personnel ou d’accompagnement relationnel, entre autres. Ces autorisations, obtenues au terme de
formations très brèves parfois limitées à quelques jours, sont proposées par des académies privées ou des structures de formation continue qui ne bénéficient d’aucune reconnaissance officielle. Une fois ce document en main, certains bénéficiaires transforment sans difficulté leur bureau en
cabinet psychologique, modifient leurs cartes de visite, ajustent leurs profils en ligne et s’approprient le titre de psychologue avec une facilité désarmante, affirme Yaakoubi.
Ces intervenants ne cherchent d’ailleurs pas à rester discrets puisqu’ils participent à des panels, animent des ateliers et interviennent dans des cycles de formation continue où ils se présentent comme formateurs. Leur présence dans ces espaces leur confère une légitimité apparente et entretient la confusion auprès d’un public qui peine à distinguer le professionnel qualifié du faux expert. Le syndicaliste insiste sur le fait que les véritables psychologues sont ceux qui ont suivi
un parcours universitaire complet, de la licence au master en psychologie dans des établissements reconnus, et que toute autre trajectoire ne devrait jamais mener à une autorisation d’exercice. Il estime également que
les activités de
coaching doivent être strictement contrôlées afin de prévenir les dérives.
Du côté du ministère de la Santé,
Amine Tehraoui a récemment déclaré devant la Chambre des représentants qu’une
feuille de route nationale pour la santé mentale à l’horizon 2030 avait été finalisée et qu’elle incluait la création d’un cadre légal pour organiser la profession de psychologue. Fouad Yaakoubi accueille cette annonce avec prudence et rappelle que
l’Organisation nationale pour le soutien psychologique et social, dont il est membre, a sollicité le ministère à plusieurs reprises « sans obtenir de réponse ». Il souligne que « les références répétées à des textes en préparation ne se traduisent par aucune mesure concrète sur le terrain et que les pratiques non encadrées continuent ainsi de se développer ».
Les conséquences apparaissent clairement dans
les parcours des patients. Beaucoup, convaincus de consulter un professionnel qualifié, se retrouvent face à des intervenants sans formation, incapables d’identifier une dépression sévère, un trouble anxieux ou un risque suicidaire. Lorsque l’accompagnement échoue, ils attribuent leur souffrance à une fragilité personnelle, ce qui ne fait qu’aggraver leur état. Dans les situations les plus sensibles, comme le souligne Yaakoubi, l’absence de repérage clinique peut conduire à
des crises aiguës ou à
un passage à l’acte. Le Syndicat cite notamment le cas d’un intervenant à Dcheira, à
Agadir, qui se présente comme psychologue sans disposer du moindre diplôme tout en affichant un mois entier d’attente pour obtenir un rendez-vous. Pour son représentant, cet exemple illustre l’innocence des patients qui accordent leur confiance à ces intrus, mais aussi
la responsabilité des institutions chargées de délivrer les autorisations, révélant le désordre profond qui caractérise aujourd’hui le secteur.
Le problème trouve également ses racines dans les limites du système académique. Le Maroc ne compte que
six universités publiques offrant un cursus en psychologie, à
Rabat, Casablanca, Mohammedia, Kénitra, Fès et
Meknès. Les capacités d’accueil y sont faibles, poussant de nombreux étudiants vers des formations continues ou privées dont les certificats ne sont pas reconnus. En
l’absence de loi, seule leur conscience professionnelle les empêche d’utiliser un titre auquel ils ne peuvent prétendre. Pendant ce temps, des intervenants non qualifiés investissent massivement l’espace médiatique et numérique, devenant des références pour un public qui n’a pas les outils pour évaluer leurs compétences réelles.
Dans ce paysage,
Fouad Yaakoubi appelle à accorder à la
santé mentale la même importance qu’à la
santé physique, considérant l’ampleur des enjeux humains. Il se dit confiant dans la capacité du ministère de l’Intérieur à agir et espère une
révision des autorisations, un
examen des anciens dossiers et une clarification attendue depuis des années. À ses yeux, seule une pratique organisée, où chacun exerce dans les limites de ses compétences, permettra d’assurer aux Marocains un accompagnement psychologique sûr, qualifié et digne de la confiance qu’ils accordent à ceux qu’ils consultent.