Le derby bidaoui, c’était moyen

«Il fallait une vraie restructuration, une opération de chirurgie lourde; c’est ce que nous avons fait»

Reddition des comptes, restructuration, défilialisation, handling, concurrence, gouvernance, contrat-programme avec l’État… Les chantiers sont nombreux à Royal Air Maroc, et les défis tout autant. Le président de la compagnie, Driss Benhima, s’en explique en exclusivité pour «Le Matin».

Selon Driss Benhima, PDG de la compagnie, «Royal Air Maroc a cultivé pendant des dizaines d’années une sorte d’isolement splendide».

26 Juillet 2012 À 19:38

Le Matin : vous deviez en principe être reçu, cette semaine, à la première Chambre du Parlement par la Commission des finances. Quels sujets étaient à l’ordre du jour ?Driss Benhima : l’objet de la réunion tenait à l’examen de la situation financière de la compagnie, mais ce devait aussi être l’occasion pour nous de revenir sur l’analyse des causes structurelles de la crise que nous avons traversée entre 2009 et 2011. C’est cette analyse qui nous a permis de bâtir une stratégie de réponse, incarnée dans le contrat-programme signé en septembre 2011 avec l’État. L’erreur stratégique aurait été de penser que la crise n’était due qu’à des causes strictement internes à la compagnie ou à des causes externes, mais passagères. L’exemple des difficultés similaires que connaissent d’autres compagnies comparables à Royal Air Maroc démontre qu’il fallait un vrai plan de restructuration, une opération de chirurgie lourde. C’est ce que nous avons fait et les premiers résultats sont plus qu’encourageants.

Pouvez-vous nous exposer les causes réelles de cette crise ?Avant 2002, Royal Air Maroc était une compagnie nationale classique, relativement protégée de la concurrence. Elle bénéficiait, entre autres, du monopole de handling sur tous les aéroports du Royaume ainsi que d’un traitement bienveillant du fisc et de la Caisse nationale de sécurité sociale. En 2002, le gouvernement a opté pour une libéralisation extrême et rapide du transport aérien, contrairement au processus suivi, par exemple, dans le domaine des télécoms où les licences ont été accordées au compte-goutte et où le secteur dispose d’une Agence de régulation. Dans l’aérien, on a ouvert les bras à des opérateurs dont certains n’ont pas hésité, comme on le voit aujourd’hui, à faire du chantage pour continuer à opérer sur le Maroc. On a assisté aussi à la création de compagnies soi-disant nationales, mais qui ont perdu régulièrement de l’argent durant plusieurs années tout en recourant à un dumping sauvage et sans que cela n’émeuve personne. Cette stratégie d’ouverture du ciel, dont les résultats sur la démocratisation du transport aérien sont jusqu’à aujourd’hui incontestables, devait normalement s’accompagner de trois actions concernant le groupe Royal Air Maroc : création d’une filiale low cost, Atlas Blue, recentrage de la compagnie sur le hub de Casablanca et injection de 3 à 4 milliards de DH pour permettre au groupe de se restructurer. Or le succès de la croissance de RAM entre 2002 et 2008, marqué par le doublement de son trafic et le début d’une restructuration à ses propres frais – qui a d’ailleurs permis de réduire les coûts unitaires de 19% pendant cette période –, a laissé penser qu’une restructuration lourde, à la fois coûteuse et brutale, pouvait être évitée. Royal Air Maroc était même devenue plus grosse que la somme de toutes les autres compagnies maghrébines, troisième compagnie aérienne africaine et en compétition avec Egyptair pour la deuxième place.

Mais la crise est passée par là entre-temps…Effectivement, une crise mondiale est intervenue en 2008, déstabilisant gravement les activités de la compagnie, prise à contrepieds dans sa politique de croissance. Son trafic a vu son évolution chuter. Les low cost ont accentué leur offensive, passant de 550 000 sièges offerts en 2006 à 7 050 000 en 2010, ce qui a conduit, entre autres, à l’arrêt d’activité d’Atlas Blue au début 2011. Compte tenu de cette concurrence féroce, RAM n’arrivait pas à répercuter la flambée du prix du pétrole sur ses tarifs et devenait rapidement une machine à produire structurellement des pertes…

Quelle a été votre stratégie de réponse devant cette situation ? L’on se rappelle, en effet, que vous perdiez 20 millions de DH par semaine, à cette époque !Nous avons compris, début 2010, que le retour de la croissance devenait illusoire et que la restructuration lourde de la compagnie, telle qu’elle était prévue en 2002, devenait indispensable, car découlant de trois impératifs : mettre fin à la politique de croissance, amincir et muscler l’organisation et enfin trouver le financement nécessaire. Voilà pourquoi, dès mars 2010, nous avons demandé à l’État la mise en place d’un contrat-programme, non pas pour nous accorder une subvention destinée à couvrir les pertes d’exploitation, mais pour nous donner les moyens financiers d’opérer les transformations indispensables pour que nous redevenions rapidement une machine à faire des profits. Un objectif ambitieux de réduction des dépenses de 1 milliard de DH par an a été fixé. Royal Air Maroc s’est aussi engagée à améliorer sa gouvernance, à garantir sa qualité de service et à se concentrer sur son cœur de métier en abandonnant les activités annexes, en particulier dans l’industrie et l’hôtellerie. Les autres objectifs du contrat-programme ont consisté à clarifier les attentes de l’État vis-à-vis de RAM, à rappeler la nécessité d’une bonne coordination avec l’Office national des aéroports et Royal Air Maroc et à mettre en place des mécanismes visant l’équilibre des lignes de service public – comme le réseau domestique –, de certaines lignes touristiques et du transport des pèlerins. Malheureusement, il a fallu attendre septembre 2011 pour que ce contrat-programme soit enfin signé. Ce retard a été préjudiciable aux intérêts de la compagnie et même de l’État actionnaire.

Il semble que votre compagnie a échappé de peu à ce qui est survenu dans le secteur du transport maritime où le pavillon national a presque disparu. Comment expliquez-vous le retard, au niveau des pouvoirs publics, dans la mise en place d’une stratégie de sortie de crise ?Je ne veux pas polémiquer et j’aurais souhaité que vous ne me posiez pas cette question, mais elle est importante pour comprendre pourquoi de tels événements ne doivent plus se reproduire. Il faut noter tout d’abord que RAM a cultivé pendant des dizaines d’années une sorte d’isolement splendide qui a fait que lorsqu’elle a eu besoin de soutien, les responsables gouvernementaux ne se sont sentis ni réellement concernés par son sort, ni suffisamment informés de ce qui s’y passait... Il leur a donc fallu du temps pour être convaincus par nos propositions et percevoir les dangers réels de la situation. Il y a aussi ce qu’on pourrait appeler «syndrome de l’ultralibéralisme». L’idéologie de la libéralisation exacerbée, qui prône l’ouverture sans frein ni régulation des forces du marché, a amené à penser que la compagnie n’est qu’une simple participation de l’État, sans intérêt stratégique. D’où la libéralisation du transport aérien sans étapes préparatoires. D’où le retrait du monopole de handling à RAM sans préparation et sans compensation. D’où un contrôle fiscal de 1,4 milliard de DH, le premier dans l’histoire de la compagnie et au pire moment possible. D’où enfin la suppression définitive, depuis janvier 2007, de toutes les spécificités fiscales dont bénéficiait le transport aérien national. La signature devant S.M. le Roi Mohammed VI de la convention conclue avec le Fonds Hassan II de développement économique et social, en vue de son entrée en capital pour 1,6 milliard de DH, a constitué un tournant majeur dans les relations entre Royal Air Maroc et l’État et une grande marque de confiance aussi envers les différents corps de métier de la compagnie. Ces derniers, il faut le rappeler, ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités et d’un esprit d’abnégation tout au long de la crise : gel des salaires et des promotions en 2010 et en 2011, report des décisions du dialogue social en 2011, accord sur le plan de départs négociés d’août 2011 et, enfin, déclaration de soutien des pilotes au plan de restructuration.

Quels sont donc les premiers résultats du contrat-programme, dix mois après son entrée en vigueur ?Le contrat-programme constitue avant tout une rupture dans la conception du rôle de Royal Air Maroc au sein du dispositif étatique : elle n’est plus isolée et représente un outil reconnu par l’État dans le secteur du transport aérien avec des missions mieux définies et des objectifs précis. L’État n’est plus un simple actionnaire ; il intègre la compagnie dans sa stratégie de transport aérien, elle-même articulée autour de ses objectifs globaux en termes de connectivité du Royaume, de régionalisation avancée et de promotion du tourisme. Parallèlement, il installe les instruments de suivi qui assurent non seulement la reddition des comptes, mais lui permettent aussi d’être solidaire des décisions de la compagnie, compte tenu des évolutions parfois brutales de l’environnement aérien. Nous disposons maintenant d’un comité de suivi du contrat-programme, assisté par un cabinet indépendant, ainsi que d’une convention de contrôle par l’État, d’une cellule de suivi des recommandations de la Cour des comptes et de trois nouveaux comités issus du conseil d’administration, chargés de l’audit, des investissements et de la gouvernance.

Mais quels sont les axes de ce contrat-programme ?Il comporte cinq piliers : rationalisation des dépenses, contraction de l’organisation et amélioration de la qualité de service, réduction des effectifs et plan de départs négociés, augmentation de capital, engagements de l’État et stratégie de développement et de recentrage sur le cœur de métier. Les objectifs visés par les trois premiers points sont aujourd’hui derrière nous. Le milliard de DH annuel d’économies est en effet déjà réalisé sur les huit premiers mois, notamment grâce à la suppression des 17 lignes les plus déficitaires et des ressources y afférentes, mais aussi grâce au plan de réduction des effectifs, réalisé avec un an et demi d’avance. Ces effectifs sont ainsi passés de 5 600 à 3 900 agents en juin dernier. Nous sommes aussi en avance sur nos objectifs de réduction de consommation de carburant grâce à la coopération des pilotes et à l’intégration d’un nouveau logiciel de planification des vols. La ponctualité a fortement progressé ainsi que les indicateurs d’incidents bagages. Il faut préciser par ailleurs que la contraction de la flotte a permis son rajeunissement, ramenant l’âge moyen des avions à moins de sept ans. Un programme de rénovation des cabines est également en marche, en particulier pour les appareils long-courriers.

Où en est la capitalisation de la compagnie ?Une augmentation de capital de 1,6 milliard de DH a déjà été réalisée. Mais il y a un point très important à souligner : le contrat-programme prévoyait la nécessité de compléter cette augmentation de capital par un apport complémentaire de 1,2 milliard de DH, à chercher entre 2013 et 2014. Or les résultats provisoires d’exploitation actuels montrent une reconstitution meilleure que prévu des fonds propres de la compagnie, dans un ordre de 600 millions de DH. Cette appréciation est due aux efforts soutenus de l’ensemble du personnel ainsi qu’à une politique commerciale plus intelligente et plus audacieuse. Si cette tendance se confirme, le renforcement des fonds propres ne nécessitera aucune nouvelle augmentation de capital, sauf si le plan de développement actuellement à l’étude par le cabinet KPMG l’exige.

Et qu’en est-il du recentrage sur votre cœur de métier ? Y a-t-il des projets de partenariat stratégique avec une autre compagnie aérienne ?Le cabinet KPMG, assisté du bureau d’études américain SH&E, travaille avec nous sur un plan de développement pour la période 2015-2025. Nous devons identifier les marchés porteurs de Royal Air Maroc, la configuration de la flotte pour cette période-là, les besoins éventuels en financements additionnels et les atouts que présenterait un partenariat stratégique avec un opérateur international. Mais il restera évidemment à l’État actionnaire de se prononcer sur l’entrée éventuelle d’un partenaire et sur son choix. Toutefois, il n’est pas envisagé que l’État perde le contrôle stratégique de la compagnie. La meilleure santé financière de RAM et la réussite de sa restructuration permettront de prendre ces décisions importantes dans un esprit serein et sans contrainte particulière. Royal Air Maroc n’est pas à brader et le choix de ses partenaires se fera dans le respect des intérêts stratégiques du Royaume. Quant au recentrage sur notre cœur de métier, il concerne actuellement trois activités industrielles, outre la formation dont nous nous délestons au profit d’institutions publiques comme c’est déjà le cas pour la formation des mécaniciens, assurée désormais par l’OFPPT. S’agissant de la maintenance, du handling et du catering, le modèle est déjà retenu et les processus engagés : recherche d’un partenaire de premier plan comme Air France Industries pour la maintenance, création de filiales où RAM garde au moins 50% du capital, gestion prise en charge par le partenaire et recherche de nouveaux marchés… Tout devrait être réglé d’ici à la fin de 2012, ce qui permettra à la compagnie de transformer de nombreux coûts fixes en charges variables. Ce faisant, nous visons une amélioration de la qualité de ces services, qui sont très importants, et une meilleure adaptation aux fluctuations fréquentes des activités du secteur de l’aérien international. 

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