«Nous renforcerons encore la position du groupe Accor au Maroc»
Interview • Avec Yann Caillère , directeur général pour l'hôtellerie Europe du sud, Afrique, Moyen-Orient et des opérations Sofitel du groupe Accor.
LE MATIN
10 Juillet 2008
À 13:11
LE MATIN : Monsieur Yann Caillère, vous êtes directeur du secteur hôtelier du groupe Accor, né à Agadir, ayant grandi au Maroc avant de rejoindre la France. Vous êtes dans cette même ville aujourd'hui pour participer à la réunion des cadres dirigeants du groupe – soit 300. Depuis votre nomination en 2006, le groupe a évolué, pourriez-vous nous en dire plus ?
YANN CAILLERE : En effet, depuis 2006, je suis directeur général de l'hôtellerie Accor pour la France, de l'Europe du sud, d'Afrique et du Moyen-Orient, toutes marques. Depuis deux ans et demi, nous avons accompli un gros travail de repositionnement de nos marques. C'est certainement une étape significative de l'évolution du groupe. Qu'est-ce que l'on a fait ? On a revisité chacune de nos marques, pour nous assurer que nous étions cohérents…Vous savez que dans l'activité hôtelière, vous avez deux types d'hôtellerie, une hôtellerie standardisée et une autre non standardisée. L'hôtellerie standardisée, c'est par exemple le genre Novotel ; Ibis que vous trouvez par exemple au Maroc ou en Chine. Et puis l'autre catégorie non standardisée, comme Pullman, Sofitel, cela pourrait être aussi Etapes, Mercure, etc. On a un niveau de services, des standards opérationnels mais on n'a pas de standard, autrement dit on n'a pas la même chambre. Si vous allez dans un Mercure, au Maroc, en France ou en Asie, ce sont des chambres différentes. Même entre les pays. On a fait ce travail de repositionnement de nos marques, une par une et en étant – je dirais – assez draconien, au niveau de l'exigence de qualité que l'on voulait. Ce que l'on voulait surtout, c'est éviter que dans une même promesse de vente de marques, on ait finalement des produits pas très différents les uns des autres. C'est le premier travail qui a été effectué, celui des marques. On s'est aperçu, d'ailleurs, qu'il y avait des marques, notamment Mercure qui comportait des hôtels 2 étoiles et d'autres 4 étoiles. Or, Mercure ce sont des hôtels 3 étoiles ou 4 étoiles. Donc tous les hôtels 2 étoiles, nous les avons sortis peu à peu, c'est exactement le même travail que nous effectuons au sein de Sofitel. En 2006, nous avions 206 hôtels Sofitel, et aujourd'hui nous en sommes à 145 à peu près après la sélection. Pourquoi ? Parce que la marque Sofitel est du haut de gamme, et l'on ne pouvait se permettre de garder des hôtels qui ne soient pas du même niveau et ne répondent pas à nos exigences. Sur les marques, ce premier travail a été décisif. La deuxième phase pour nous a été de dire : il faut que l'on modifie notre modèle !
Comment et dans quel sens ?
Au lieu d'être propriétaires de tous nos hôtels, comme c'est souvent le cas, on a adapté notre modèle économique par rapport aux catégories d'hôtels et par rapport aux différents marchés. Comme vous le savez, il y a des marchés qui sont très matures et d'autres à risques, d'autres à moins de risques, etc. On ne peut pas être propriétaires de tous nos hôtels. Si vous regardez, par exemple, nos concurrents américains, en général ils ne sont propriétaires d'aucun hôtel. En revanche, nous appliquons ce qu'on appelle le «bon investissement» et c'est la deuxième chose entreprise. Ensuite, nous avons accéléré la politique de développement. Nous sommes aujourd'hui sur un rythme d'à peu près 200.000 chambres sur cinq ans. Voilà à peu près les axes principaux sur lesquels notre politique s'est appuyée au cours des deux dernières années.
A votre arrivée en 2006 à la tête du secteur Sofitel, l'image de « commando » a été suggérée pour dire que vous alliez mettre en place une gestion rigoureuse…
Je n'appelle pas cela commando, mais quand on a l'ambition d'être un leader mondial, on ne peut l'être sans un certain niveau d'exigence. Si les gens de Ferrari gagnent aujourd'hui autant de grands prix, c'est parce qu'ils sont très exigeants avec leurs ambitions et leurs équipes. Nous avons été à notre tour exigeants et relevé la barre haut, au niveau des produits, des équipes. Et nous avons mis en place un ambitieux programme de formation. Il ne s'agit pas seulement de dire : voilà, on va montrer le chemin aux jeunes, il faut les accompagner et puis intégrer dans les équipes des gens qui ont l'expertise que l'on ne trouvait pas en interne. C'est un mélange…
En êtes-vous satisfaits ?
Je suis comme un patron de société – je parle ici au niveau du groupe Accor – je suis un membre de l'équipe. Nous avons tous effectué ce genre de travail. Mais les résultats sont là : nous avons terminé l'année 2007 avec des chiffres records, on a réalisé un résultat de 907 millions d'euros de résultats au niveau du groupe – ce qui est un record. Avec un niveau d'endettement très bas, puisqu'il y a quatre ans, nous étions à 3 milliards d'euros de dettes et l'on a achevé l'année 2007 avec un chiffre de 200 millions de dettes, c'est-à-dire rien du tout…alors qu'il y a cinq ans, le groupe faisait seulement entre 5 et 600 millions d'euros comme résultat. Sommes-nous contents ? Oui. Pourrions-nous faire mieux ? Je dis toujours oui. Nous avons de la marge pour améliorer nos résultats, à la fois dans la formation, dans la distribution où nous avons une marge de manœuvre ainsi que sur les marques où nous avons beaucoup de travail à réaliser, à accomplir encore sur notre image, sur le revenu management qui est une donnée très précise, etc. Effectivement, tout au début, l'impression était de dire que l'on secouait un peu tout le monde. Mais, à partir du moment où l'on devait obtenir des résultats et qu'on le faisait honnêtement, eh bien ! à la fin, les équipes ne peuvent que s'en réjouir. Si je prends par exemple le Maroc, les équipes adhèrent et sont contentes des résultats réalisés, en France c'est la même chose. Quand des objectifs sont tracés et fixés, les gens courent, s'entraînent, s'impliquent et gagnent.
L'offre de votre groupe correspond-elle aux attentes du marché et comment la préparez-vous ?
Aujourd'hui, le constat que l'on a, c'est qu'au niveau du monde du luxe, il existe une nouvelle catégorie de clients qui est de plus en plus présente, notamment celle qu'on appelle les « BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine) – terme que l'on verra de plus en plus dans la littérature économique actuelle -, ce sont en somme les 4 nouveaux pays qui ont un potentiel de personnes riches, très importantes et qui, contrairement aux époques précédentes, voyagent. Ils représentent aussi une population nombreuse qui viendra en appui à la population existante déjà comme les clientèles européenne, américaine, du Moyen-Orient. Ces « BRIC » alimentent le tourisme de luxe, ils constituent des apports supplémentaires importants. Ils se situent donc au niveau de la demande. En revanche, sur l'offre, pour répondre à votre question, il convient de signaler que toutes les marques sont actuellement en train de revisiter et redéployer leurs produits. Nous ne sommes pas les seuls à le faire. C'est comme pour les voitures, il n'y a jamais eu comme aujourd'hui autant de nouveaux modèles de luxe…Pour les montres de luxe, c'est le même engouement. Cependant, il ne faut pas se méprendre ni se tromper : il y a le vrai luxe puis l'imitation, le toc…Dans l'hôtellerie, il faut prendre les choses sérieusement, cela demande du temps mais dans l'hôtellerie, la force du luxe n'est pas tellement dans le décor, l'aménagement, la taille mais dans le niveau de service et de la qualité. Or, le niveau de service ne se décrète pas. Mais nécessite beaucoup de formation, de standard, beaucoup d'attention portée aux équipes aussi.
Le luxe au sein de votre groupe se maintient surtout au niveau du groupe Sofitel ?
Sofitel se trouve effectivement dans l'hôtellerie de luxe avec trois déclinaisons. La première relève de l'hôtellerie classique de luxe appelée Sofitel. Il y a ensuite une deuxième déclinaison que l'on va déployer et qui relève des hôtels historiques. Ce sont généralement des hôtels considérés comme des palaces, qui ont une histoire et que l'on classera sous le vocable de «Legends» de Sofitel. Il s'agit par exemple de «Métropole» à Hanoï, construit tout au début des années 1900, «Le Cataract» d'Assouan et le Windsor Palace à Louqsor et vous en avez un au Maroc que l'on aimerait inscrire dans cette catégorie, qui est le Palais Jamaï à Fès. Notre troisième déclinaison d'hôtels relève de ce qu'on appelle So Bay Sofitel, de catégorie en général moyenne, qui ont entre 100 et 150 chambres à peu près, des boutiques hôtels plutôt tranding. On pourra alors parler So Bay Sofitel Paris ou London, etc. Le premier hôtel de cette catégorie qui verra la jour, sera celui de Paris, on va aménager un hôtel qui se trouve à côté des Champs Elysées et qui porte le nom de l'Arc de Triomphe qui va devenir le premier «SO», qui est confié à une décoratrice célèbre, Andrée Putmann, qui va mettre au point pour nous ce nouveau concept. Nous en aurons un autre ensuite en Allemagne. Autant notre rêve est d'avoir 250 Sofitel dans le monde, et surtout 200 Sofitel, à peu près une vingtaine de Legends et une vingtaine de «SO».
La place du Maroc dans le redéploiement de la politique des Sofitel sera-t-elle consolidée ?
Nous avons des positions plutôt fortes au Maroc. Deux choses ressortent quand je regarde les villes et nos hôtels dans ces villes: soit nous sommes présents, et alors nous sommes forts. Soit, nous ne sommes pas présents et alors nous devenons présents. Si vous regardez les villes où nous sommes présents, par exemple Agadir et Marrakech, on vous dira que le meilleur hôtel à Agadir, et je reste objectif, c'est le Sofitel. C'est où il se passe des choses, où il y a du nouveau. Marrakech, c'est le deuxième, considéré comme le meilleur hôtel qui marche bien. Cela dit, sur Marrakech, les choses seront de plus en plus dures parce que la concurrence haut de gamme arrive et s'installe, il va falloir faire des choses pour améliorer encore le service. D'ailleurs, Hamid Bentahar, en charge jusqu'ici d'Agadir, va être nommé à Marrakech et prendra en charge les Sofitel du sud du Maroc, c'est-à-dire ceux d'Agadir, d'Essaouira et de Marrakech. Il va apporter son dynamisme, son impulsion pour un meilleur service. En fait, l'hôtellerie, ce sont les hommes ! Il y a des villes où nous n'étions pas présents et où nous allons être présents. On a racheté par exemple le Hilton de Rabat qui, après les travaux qui commenceront le 1er janvier 2009, deviendra à la fin 2009 l'hôtel Sofitel. On va investir et le repositionner comme un vrai Sofitel. Nous sommes ensuite en train de travailler pour la construction d'un autre hôtel Sofitel à Casablanca. Il nous faudra ensuite en trouver un autre à acheter à Tanger, comme Al Minzah par exemple dans la lignée du Legends. On se prépare aussi à construire un autre Sofitel haut de gamme à Essaouira. Dans toutes les villes principales du Maroc, on aura un Sofitel qui aura naturellement l'ambition affichée d'être le meilleur hôtel de la ville…
Vous tenez compte dans cette réflexion de la concurrence et comment situez-vous la gamme Novotel, y'en aura-t-il d'autres en plus de celui de Casablanca ?
L'hôtellerie est en train de se sous –segmenter. C'est comme pour les voitures, avant vous aviez les petites voitures et les grosses voitures, les breaks. Maintenant vous avez une large gamme de spécificités, voitures de sports, 4x4 etc. L'hôtellerie connaît le même processus. Vous avez une hôtellerie très économique (Etapes), une autre économique (Ibis) et une autre milieu de gamme ( Mercure ou Novotel), le haut de gamme (Pullman et Mercure) et enfin encore dans le luxe avec Sofitel. Novotel, c'est du milieu de gamme qui correspond à des Holliday Inn qui sont nos concurrents, certains Shératon aussi. C'est une hôtellerie très moderne, et notre référence à ce niveau est celui que nous avons ouvert à Monaco. C'est une hôtellerie complète qui comprend la restauration, l'art, les salles de réunion, un type de chambre et une salle de bain très modernes, l'écran plat et les nouvelles technologies. Celui que nous avons à Casablanca est typique de la nouvelle génération des Novotels et non ship, avec « disc jocker », Lounge. Au Maroc, le premier Novotel a ouvert ses portes au Casa City Center en octobre 2007. Il a démarré sur des chapeaux de roue le Novotel de Casablanca. C'est une hôtellerie d'affaires et c'est pour cette raison qu'il pourra y en avoir dans d'autres villes du Maroc, notamment Rabat, Tanger, on attendra un peu pour Marrakech. Mais Casablanca est une ville qui pourrait supporter un autre Novotel. Prenez Paris, il y en a une vingtaine, au Caire trois et à Dubaï deux déjà…Il y a un marché pour cela…
Quelle est la part du chiffre d'affaires Maroc ?
Notre chiffre d'affaires Maroc augmente de quelque 25% par rapport à l'année dernière et qui est de 936 millions de dirhams. Notre volonté est de nous appuyer sur les acquis et le passé du Maroc pour consolider et amplifier notre présence et nos produits. Et surtout de renforcer le développement et pas seulement sur le créneau du luxe. Le Maroc est une destination privilégiée pour notre groupe. C'est vraiment le pays sur lequel nous tablons beaucoup. Nous partons de ce constat que nous sommes le premier groupe hôtelier au Maroc, non seulement nous le sommes, mais nous voulons le rester. Nous allons accélérer le développement. Comment ? Si vous regardez notre évolution, auparavant, nous étions positionnés sur une hôtellerie haut de gamme et milieu de gamme et surtout vacances. Ce que nous faisons maintenant, c'est instaurer et réussir l'équilibre entre haut de gamme et l'économique. Il y a un grand développement des Ibis à présent, et puis une hôtellerie loisirs, notamment à Agadir et une autre d'affaires – prévue à Casablanca et Rabat. Il nous faut mettre en place un double équilibre entre le haut de gamme et l'économique, et l'hôtellerie affaires et celle des loisirs. Le Maroc incarne pour nous énormément de potentiel et de perspectives de développement. C'est un modèle sur lequel nous fondons nos espoirs et auquel nous croyons beaucoup. Plus : non seulement le Maroc marche bien et fort pour nous, mais nous avons de très bons partenaires. Le partenariat au sein de Risma, où nous détenons 35%, est un modèle bien équilibré de partenariat…En fait, le Maroc pour nous, ce n'est que du bonheur !
Les 300 cadres dirigeants du groupe Accor, éparpillés dans le monde se sont réunis au Sofitel d'Agadir en conclave pour quelques jours. Cela participe du souci de concertation mais, avec l'Académie Accor que vous animez, c'est aussi le souci accordé à la formation ? Qu'en est-il ?
Dans le groupe Accor, la formation reste essentielle. Nous sommes certainement le groupe qui investit le plus au niveau de la formation. Notre vision, quand on arrive dans un pays pour investir, c'est de créer une Académie. Au Maroc, il existe une Académie, elle est justement à Agadir pour accueillir et former tous nos personnels, comme en France et ailleurs. Nous croyons beaucoup au développement humain et notamment aux cadres locaux. Au Maroc, il n'y a que trois expatriés et tout le reste des employés sont des Marocains. C'est notre credo. Ce sont des Marocains que nous envoyons en France et ailleurs pour recevoir une formation, un recyclage ou des stages. Et quand ils sont de retour au Maroc, nous leur confions la direction et le management des hôtels. Nous allons prendre deux maîtres d'hôtels marocains pour les envoyer dans les hôtels du groupe aux Etats-Unis. Ils y apprendront, entre autres, l'anglais, découvriront comment on travaille dans nos hôtels et pour nous, c'est un acquis précieux à leur retour au Maroc. Ils progresseront, nous croyons beaucoup aux promotions internes. Nous avons beaucoup de directrices, des femmes qui dirigent les établissements du groupe. C'est le cas de la Kasbah à Agadir notamment, qui avait relancé le Mercure à Rabat. On souhaite établir des partenariats avec les gouvernements et tous ceux qui s'intéressent au problème de la formation.
Comment vous vivez votre rapport au Maroc, où vous êtes né et où vous avez grandi ?
Moi, au Maroc je suis chez moi. Je suis gadiri et reste très attaché au Maroc, même quand j'étais directeur général à Disneyland Paris, je faisais venir des jeunes Marocains pour les former. C'est mon pays, je l'aime et le respecte et en plus, c'est un pays qui évolue et avance très bien. Travailler avec une génération de ministres et responsables comme vous en avez aujourd'hui, c'est un vrai plaisir. On sent que tout le pays a envie d'avancer et de progresser et c'est encore plus valable dans le tourisme. C'est l'un des rares pays où vous avez le chef de l'Etat, le Roi qui s'implique personnellement et directement dans le développement de la politique touristique. C'est assez remarquable pour que ce soit souligné. Cela ne fait que renforcer ma conviction personnelle pour travailler encore davantage au Maroc.