Macro ambitions

«La logique de sous-traitance de produits en fin de vie est dépassée»

INTERVIEW: Mohamed Benbrahim El Andaloussi, président du GIMAS

23 Janvier 2008 À 19:01

LE MATIN : Quelle place occupe notre pays sur la scène aéronautique internationale et pourquoi l'organisation de ce salon ?

M. B. A. :
L'Aéroexpo de Marrakech est un moment structurel dans le développement de l'industrie aéronautique au Maroc. Réunissant les exposants déjà implantés au Maroc et leurs homologues internationaux qui s'intéressent à notre pays, il traduit la place qu'occupe aujourd'hui le Royaume dans cette industrie de la mondialisation. Une place qui n'est pas le fruit du hasard et qui est légitime grâce à l'histoire du Maroc dans le domaine du transport aérien et aussi à sa position géographique à la croisée des routes Nord/Sud et Est/Ouest.
Autre élément qui légitime cette situation c'est que le Maroc représente un vrai vivier technologique. Notre pays a une vieille tradition dans le domaine de l'entretien des avions développée par la Royal Air Maroc. Sur ce terreau favorable, l'environnement général de la construction aéronautique a fait que le Maroc a un certain nombre d'atouts pour l'implantation de cette industrie.

Aujourd'hui, nous avons une base aéronautique solide composée d'un certain nombre de groupes de référence et de PME très importantes. Toutes ces sociétés ont développé, notamment ces dernières années, un véritable pôle industriel aéronautique de qualité. Je dis bien de qualité parce que nous ne sommes pas dans une logique ancienne de sous-traitance de produits en fin de vie mais nous sommes dans une logique de développement de centres d'excellence au Maroc.
Ceci afin d'accompagner le développement à l'international d'un certain nombre de champions et de sociétés qui possèdent de la technologie, des machines, mais qui ont besoin d'une plus grande compétitivité au niveau international.

Alors à côté de leurs sites en Europe, ils développent une activité de production, de service ou même d'ingénierie d'intelligence au Maroc. Voilà pourquoi je dis que ce sont des centres d'excellence. Aujourd'hui au Maroc, on assiste à l'émergence d'une industrie du 21e siècle qui s'insère dans la mondialisation et où le Maroc contribue à la conception, à la création, au développement et à la fabrication des avions.

Quelle est l'origine de cet engouement ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre quel est le processus de conception et de fabrication d'un avion. Aujourd'hui, le monde de l'aéronautique commercial est limité à un microcosme très fermé d'acteurs lourds : Airbus et Boeing pour la construction des avions et quatre fabricants de moteurs.
De plus en plus, ces avionneurs et ces motoristes sortent de la production et se concentrent sur leur cœur de métier qui est la conception des produits et la stratégie des marques. Ainsi, une bonne partie de la production se fait auprès d'autres opérateurs. Toute cette restructuration de l'industrie aéronautique, engagée depuis une vingtaine d'années, a consisté d'abord au regroupement des fabricants et ensuite à la reconversion progressivement des fabricants en assembleurs.

Ainsi, les demandes éclatent et l'industrie aéronautique n'a jamais connu un cycle aussi porteur. Mais, simultanément à cette forte demande, les donneurs d'ordre obligent les sous-traitants à baisser les prix. Pour répondre à cette pression, les industriels sont contraints d'améliorer leur productivité, d'être plus innovants et puis fatalement, ils doivent réaliser une partie de leur production dans des zones à bas coût. Tout cela donne au Maroc des opportunités pour installer des industries et des services dans le domaine de la fabrication et même dans le domaine de l'ingénierie aéronautique.

Quels sont les atouts du Maroc ?

D'abord, la proximité géographique, linguistique et culturelle. Le Maroc jouit d'une position d'exception. Il représente une base arrière logistique de l'Europe. Surtout que les conditions de compétitivité des pays de l'Europe de l'Est s'amenuisent depuis qu'ils ont rejoint l'Europe communautaire. Le Maroc jouit aussi d'un cadre général très compétitif grâce aux encouragements donnés à ce secteur considéré comme stratégique. Les autorités sont très réactives et accompagnent fortement le secteur. On peut noter l'existence d'autres atouts, notamment celle d'une base logistique et industrielle de qualité ainsi que la possibilité de monter rapidement un site opérationnel.

C'est un atout très important étant donné que nous sommes dans un secteur où le facteur temps est très stratégique. Beaucoup d'entreprises ont besoin de monter d'urgence un pôle à l'extérieur de l'Europe pour accompagner leur développement. Au Maroc, cela est possible en 7 à 9 mois. Ce qui représente un atout considérable. La qualité de nos ressources humaines figure également sur la liste des atouts capitaux. Le Maroc étant un bassin de l'emploi très important. Aussi, les réussites des premières installations au Royaume qui dépassent leurs objectifs initiaux sont aussi un atout parce que ces success story représentent d'excellents produits d'appel et une bonne communication pour le pays. Elles incitent d'autres opérateurs à venir investir au Maroc.

Notre pays a-t-il une spécialisation dans cette industrie ?

Le Maroc est déjà bien installé dans les systèmes de câblage électrique. Près d'un millier de techniciens supérieurs qualifiés travaillent dans ce domaine. Il est également très présent dans la mécanique et la tôlerie fine aéronautique. Un autre domaine très important et dans lequel le Maroc est en train de s'installer est celui des matériaux composites. Les autres niches sont le traitement des surfaces et la pièce primaire.

Quelles sont les actions à mener pour développer davantage ce secteur ?

Trois actions lourdes et très importantes sont à mener. Il faut d'abord une communication ciblée vers les opérateurs et les décideurs étrangers. Il faut leur montrer et leur expliquer les atouts et les réalisations du Maroc. Expliquer comment l'Etat peut les accompagner et quelles sont les conditions de compétitivités du pays. La deuxième action concerne la structure d'accueil, l'implantation ainsi que tout ce qui est lié à l'installation des PME. Le Maroc doit impérativement innover et apporter des solutions globales et multiservices pour l'implantation des PME qui sont, certes, pressées par le temps mais qui, en revanche, disposent de marchés et de technologie.

Le troisième axe d'intervention est relatif à la formation des ressources humaines parce que nous sommes dans un secteur d'une très grande exigence au niveau de la qualité des ressources humaines (le cadre qui travaille à Casablanca ou à Tanger doit être au même niveau de technicité, de compétence et de qualité que celui qui travaille à Wichita, à Toulouse ou à Taiwan).

Quelles sont les perspectives du secteur ?

En agissant ensemble (professionnels et autorités) et rapidement sur ces trois leviers principaux, le Maroc a la possibilité de capitaliser sur la réussite actuelle de ce pôle émergent et d'attirer un nombre important de PME pour renforcer, développer, solidifier et rendre plus compétitif économiquement son pôle aéronautique et en faire un véritable levier de compétitivité. Aujourd'hui, nous dépassons le cadre pur de la sous-traitance pour couvrir la production, les services, les études, l'ingénierie et la conception. C'est un secteur du 21e siècle, en mesure de participer d'une façon capitale à la modernisation du pays, à son industrialisation et à son encrage dans les industries modernes de la mondialisation.
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Un CA de 3 milliards de DH

Selon le Groupement des industriels marocains aéronautique et spatial (Gimas), l'industrie aéronautique est un secteur stratégique pour le Maroc. Il fait partie du plan Emergence et le gouvernement est décidé à l'encourager encore plus par des moyens d'accompagnement incitatifs. Selon Mohamed Benbrahim El Andaloussi, tous les intervenants travaillent afin de faire de notre pays une place de choix pour l'implantation de nouvelles industries aéronautiques.

Côté chiffres, le secteur compte une soixantaine d'entreprises et quelque 6.000 emplois de très haute technologie (niveau bac+2 + formation appropriée de 6 à 8 mois), selon les données récentes du Gimas. L'investissement global s'élève à 1,5 milliard de DH alors que le chiffre d'affaires à l'export est de l'ordre de 3 milliards de DH. Le secteur connaît un développement rapide et accéléré de plus de 25% par an. «Le Maroc a montré sa capacité d'établir une base aéronautique de qualité et il attire de plus en plus de sociétés à la recherche de développer des sites en dehors de l'Europe.

Une forte croissance de ce secteur est prévue dans les trois années à venir», souligne M. Benbrahim El Andaloussi. «Cela est perceptible à travers les délégations des chefs d'entreprises qui viennent visiter les installations au Maroc ainsi que le succès et la large participation quantitative et qualitative prévue pour le salon de Marrakech», ajoute-t-il.
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