Les sillons de l'avenir

De l'historique d'une sous-traitance salutaire

Fin des années 90. Comparée à une mine d'or depuis son introduction au Maroc, la prothèse dentaire en tant que profession entame une sérieuse phase de perte de vitesse.

30 Janvier 2008 À 21:16

En effet, les commandes en provenances des chirurgiens dentistes se font de plus en plus rares. Un seul facteur allait prendre le rôle principal et déterminant dans cette disgrâce : le charlatanisme.
En effet, l'anarchie qui caractérise ce secteur devait permettre à toute personne ayant appris des notions de prothèse dentaire de s'installer à son compte, chez lui, à l'abri des impôts et de ce qui va avec.
Sur ce registre, les charlatans prothésistes allaient non seulement piquer leurs clients aux prothésistes dentaires officiellement proclamés, mais aussi aux chirurgiens dentistes, puisqu'ils se permettent de faire le travail des deux.

Dans cette situation où la concurrence déloyale était la maîtresse des lieux, le dentiste se retrouvait avec beaucoup de clients en moins, et cela se répercutait sur ses commandes à destination du laboratoire de prothèses avec lequel il collabore. Sur un autre plan, certains chirurgiens sans scrupule commençaient à privilégier ces charlatans, pour quelques dirhams de plus dans la caisse, au détriment des laboratoires réglementés. Le déclin s'installait doucement mais sûrement, sauf que le salut allait venir d'ailleurs.
Après avoir parcouru plusieurs miles à travers la planète, la prothèse dentaire en provenance d'Europe finit par trouver la destination qui lui sied à merveille : le Maroc.

En effet, des années durant, les laboratoires de prothèses dentaires européens, submergés par des commandes qui ne cessent de prendre de l'ampleur, finiront par opter pour la solution de la sous-traitance. Nous sommes au tout début des années 90 et, comme chacun le sait, la Chine était en pleine phase d'éveil, tout comme une bonne partie du continent asiatique.
Du coup, la solution était toute évidente : l'on sous-traitera en Asie et le problème sera réglé. La machine fut mise en branle mais du souci s'entrevoyait en perspective. Tout d'abord, les délais de livraison, s'étalant sur une dizaine de jours, étaient trop longs pour les praticiens européens. De surcroît, le décalage horaire entre le Vieux Continent et l'Asie se répercutait de façon négative sur les transactions.

Car, rien que pour communiquer, il fallait avoir de la patience, le temps que le prestataire sorte de son sommeil, pour que le commanditaire établisse une communication téléphonique à partir de sa chambre à coucher. Une fois consommé, le mariage se terminera par un divorce sous la contrainte, les objectifs assignés au départ par le client européen n'ayant pu d'aucune manière aboutir. Pendant ce temps là, la Turquie prenait du poil de la bête. C'était parti pour la contrée d'Atatürk, sauf que, encore une fois, les délais de livraison, s'étalant sur une semaine, allaient occasionner la rupture de cette idylle, pourtant prometteuse, en vertu du caractère de proximité qu'elle revêt.

En pleine période de désarroi, les laboratoires de prothèses dentaires auront droit à une planche de salut, véritable providence du ciel. En effet, le Traité de Maastricht allait ouvrir bien des horizons jusque-là inespérables. L'ouverture des frontières entre voisins européens allait ouvrir une brèche dans les portes des pays de l'Est. Divers investisseurs européens y trouvèrent leur compte, exception faite des prothésistes dentaires sous-traiteurs qui, malheureusement, se payeront une douche froide en lieu et place de la planche de salut à laquelle ils s'accrochaient. Et pour cause : les laboratoires de prothèses dentaires de l'Est étaient caractérisés par leur rapidité d'action, leur proximité, mais pas pour leur coût de production. Ces derniers coûtaient tellement cher que l'idée - l'espoir - d'une collaboration passera rapidement aux oubliettes.

A cette époque, les produits en provenance du Maroc commençaient à faire plus de bruit qu'ils n'en faisaient auparavant. «Pourquoi ne pas tenter le Maroc ?», pensera à voix haute l'un des douchés à froid. Ce sera chose faite et le résultat sera supérieur, et de loin, aux espérances.
C'était en 2003. Les premières expériences allaient annoncer la couleur, non pas en termes de coût uniquement, mais sur plusieurs registres. Tout d'abord, un décalage horaire de deux heures au maximum permettant de collaborer dans les meilleures conditions. La proximité et le nombre de vols (3 par jour) allaient, à leur tour, faire briller bien des yeux. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ?
De plus, les laboratoires de prothèses dentaires marocains allaient sortir, comme de sous le chapeau, deux critères qui ne peuvent se réunir sous aucun prétexte : rapidité et qualité.

Une qualité à toutes épreuves et un délai de livraison dépassant généreusement les espérances des sous-traitants, voilà ce que découvriront nos amis européens, sachant que les deux concepts sont difficilement conciliables. La collaboration se mit petit à petit en place, jusqu'à assurer, aujourd'hui, aux laboratoires marocains
tellement de pain sur la planche que des restructurations sont entamées çà et là, dans le seul souci de répondre «présent» à l'appel européen.
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De la main-d'œuvre philippine

Hamid était tout satisfait de sa quinzaine d'employés. Ses commandes étaient honorées sans le moindre grain de sable qui oserait venir enrayer la machine. Le développement de sa société, un laboratoire de prothèses dentaires, allait même l'amener à établir des contrats avec des sous-traitants en provenance de la France. La machine tournait à fond la caisse et la prospérité de la boîte s'annonçait sous les meilleurs auspices. Jusqu'au jour où, à l'arrivée d'un colis «français», les céramistes qui composaient son équipe croisèrent les bras, lui annonçant clairement qu'ils n'allaient pas bouger le petit doigt, à moins qu'ils ne soient augmentés, «salarialement» parlant. Petite précision : tous autodidactes, ils touchaient tout de même un salaire net de 10.000 DH chacun.

Hamid commençait à vaciller, car il ne disposait que de 48 heures pour livrer sa commande, sinon perdre le client qui assurait la bonne marche de son entreprise. «Ecoutez les gars, je n'y vois pas d'inconvénients, terminez ce travail et on se mettra à table pour discuter de la question», lancera Hamid à l'attention de ses protestataires de céramistes.
Ulcéré par ce souci qui risquait de se répéter à tout instant et mettre ainsi en péril ce qu'il a bâti, notre ami prendra conseil auprès d'un confrère, qui lui parlera de prothésistes philippins, réputés être bons travailleurs et ne sachant pas ce que signifie le terme «rouspéter». Hamid n'y ira pas par quatre chemins et se rendra en effet aux Philippines. Sur place, il se rendit dans une usine de fabrication de dents destinées à l'export, une ancienne «colonie» du marché européen.

Sans la moindre complication, il mettra la main sur six Philippins partant pour le Maroc, pour un salaire de… 8.000 DH chacun. Doutant fortement de l'affaire qu'il venait de réaliser, il allait bientôt en prendre plein la vue. Une fois de retour au Maroc, Hamid installa ses nouveaux employés dans un petit appartement et, avant de les quitter, leur annonça que le lendemain il viendra les récupérer vers 9h pour la découverte du laboratoire. «9h ???», s'exclama l'un des Philippins. «On commence le travail à 6h… si vous ne pouvez être là à cette heure, donnez nous l'adresse et les clés du labo, on le retrouvera facilement…», poursuivit la nouvelle recrue.

L'employeur n'en revenait pas et dut se réveiller un peu plus tôt que d'habitude, le lendemain, afin d'escorter ses hôtes dans leur nouveau cadre de travail. Dès ce premier jour, le premier réflexe des nouvelles recrues a été de revoir l'organisation de tout le staff. Il s'avérera rapidement qu'ils travaillent de 6h jusqu'à 23h, sans pour autant perdre le sourire. De plus, ils effectuaient le travail de manière plus rapide et beaucoup plus esthétique que la quinzaine d'employés que comptait le labo à Hamid.

Les commandes augmentaient de façon significative sans pour autant surbooker les six jeunes étrangers, qui assuraient comme des maîtres, toujours dans le sourire. Hamid fut tellement submergé par des sollicitations d'ordre professionnel qu'il reprit son bâton de pèlerin à destination des Philippines, pour le recrutement de six autres prothésistes. Aujourd'hui, son laboratoire tourne avec plus de 150 personnes, toutes chapeautées par la douzaine de Philippins qui, non seulement se contentent de réaliser du bon travail, mais qui forment également ces jeunes Marocains initiés à la prothèse dentaire.
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