Comment réussir son intégration

Bourneix… Corsé ou léger ?

«Dring, dring, dring! Bonjour, c'est votre cafetière qui vous parle, nous sommes le jeudi 7 février 2008, il est 6h30 et, selon votre programmation, votre tasse de café sera prête dans exactement 15 minutes, ne vous attardez pas sous la douche, au risque de voir votre premier moment quotidien de plaisir prendre froid… vous n'avez pas d'autres messages… ».

06 Février 2008 À 20:31

Sympa comme cafetière réveil bienveillante et à cheval sur les horaires, non ? Certes, cela n'existe pas encore, mais les adeptes de la tasse de café matinale seraient ravis de disposer d'un joujou pareil. Il faut juste espérer. Mais avant de le humer, d'embrasser ses senteurs et de laisser couler ses arômes dans le gosier, le liquide noir à la mousse dorée a parcouru bien du chemin, avant que votre cafetière parlante ne le prépare avec amour.

54, rue Brahim Nakhai, à Casablanca, par un bel après-midi. Le remue-ménage qui se jouait dans les sous-sols de cette entreprise avait une justification qui tenait la route : 75 tonnes de café frais, de l'arabica en provenance de Colombie, venaient de débarquer du port et il fallait bien les caser quelque part, tout en optimisant l'espace, car une autre livraison était attendue le lendemain. Hassan Yahi était sur le pied de guerre, veillant «au grain» sur le bon déroulement de cette opération à laquelle contribuaient une dizaine d'employés. Les sacs en jute sont préalablement pesés sur une balance romaine, avant d'être stockés dans un recoin de l'entrepôt. L'arabica fraîchement débarqué sommeillera plusieurs mois avant d'entamer le processus de torréfaction.

La matière première des Cafés Bourneix est importée d'Asie, principalement d'Indonésie et du Vietnam, en ce qui concerne le robusta. Pour ce qui en est de l'arabica, le choix des décideurs au sein de l'entreprise s'est porté sur la Colombie, le Costa Rica, le Guatemala et le Honduras.

Des centaines de sacs en jute, classés par date d'arrivée, meublent cet espace où dort du café en grandes quantités, pouvant aller jusqu'à 550 tonnes et représentant un stock qui dépasse allègrement les 10 millions de DH. La raison de cet approvisionnement aussi quantitatif que qualitatif est toute simple : éviter toute fâcheuse rupture de stock éventuelle, qui enrayerait la machine et qui coûterait cher à l'entreprise, car c'est inconcevable de la part des clients.
«Les gros stocks sont également de nature à favoriser la subtilité des mélanges et à obtenir du café de très bonne qualité. Aussi, cela s'avère salutaire en cas de crise mondiale qui toucherait le café, comme dans les années 90, où le prix de la tonne est passé, d'un coup, de 900 à 4.600 $, d'où l'avantage de disposer de stocks importants», explique Daniel Bourneix, cogérant de l'entreprise.
Dans un coin de cet espace se déployant sur quelque 2.500 m2, un premier silo recevra les fèves préalablement mélangées à partir de subtils dosages d'arabica et de robusta. À ce stade, l'on est dans l'une des phases du processus de torréfaction portant la mention «Top secret». Et pour cause. Toute la maîtrise et le savoir-faire pour l'obtention d'un café haut de gamme, cumulés durant des décennies, prennent source dans cette opération menée par Patrick, le frère de Daniel.

Les grains transiteront ensuite par un canal à destination du torréfacteur, situé un étage plus haut. Appareil de marque «Probat», s'assimilant à la Rolls-Royce du café, le torréfacteur en question a mis «K.-O.» quatre de ses congénères au sein de l'entreprise depuis son acquisition, la qualité du café qui en sort dépassant de loin celle sortant des autres machines.

La manipulation de l'appareil en question possède, elle aussi, ses secrets qui sont jalousement gardés. À ce propos, au niveau des Cafés Bourneix, les étapes de cuisson du café ne sont pas régies par ordinateur, mais bel et bien par des mains et des yeux humains, rompus à cet exercice qu'ils ont pratiqué depuis des décennies.
«Lors de l'acquisition du torréfacteur, nous aurions pu bénéficier en échange d'un petit montant d'un système informatisé qui gérerait l'opération de A à Z, mais cela ne correspond en rien à nos ambitions, car nous n'aurions plus aucun contrôle sur le processus, alors que l'on se considère, chez Bourneix, comme des maîtres torréfacteurs», précise Daniel.

Les grains de café aspirés par le tube à destination du torréfacteur, par lots de 100 kg, finissent par atterrir dans une sorte de four, par le biais d'un gros entonnoir. Le processus est aussitôt lancé et deux machinistes ne détournent plus les yeux de ce qui se passe à l'intérieur. À travers une sorte de petit compartiment, le café, cuit tout en étant brassé, est contrôlé de temps à autre pour garantir une cuisson optimale, évitant ainsi d'être grillé.

Les fèves tourneront ainsi durant une quinzaine de minutes dans ce cylindre, jusqu'à torréfaction. À ce propos, 15 minutes représentent un temps long par rapport à ce qui se fait ailleurs, où le temps de la cuisson est de 4 minutes. Un choix légitimé par le souci d'obtenir du café torréfié de très bonne qualité et qui, conséquemment, se répercute sur le coût de production. En effet, celui-ci se traduit dans le concret par une consommation supérieure de fioul, en plus d'un séchage accru où les grains perdent davantage de leur poids. En somme, effectuer l'opération en 15 minutes au lieu de 4 occasionne un manque à gagner de plus de 4%.

«Lorsque la cuisson est lente, cela augmente inéluctablement les charges, mais nous gagnons beaucoup sur la qualité du produit fini et, sincèrement, je ne pense pas que ce soit peine perdue, car nous avons un nom à préserver et à perpétuer. C'est comme pour un tagine, lorsque le temps de cuisson est de 3 heures, cela ne saurait être comparable à une cuisson à la va-vite, en 30 minutes !», souligne Daniel Bourneix. Et de préciser : «Sur ce plan, nous sommes les seuls au Maroc à ne pas utiliser du café en provenance de Guinée, de mauvaise qualité, mais nous sommes plutôt adeptes des cafés nobles. Ajoutez à cela un processus de torréfaction lent et coûteux, vous êtes sûr d'obtenir du café haut de gamme».

Dans ce registre, une nouvelle expression vient d'être introduite dans le monde du café chez nous, «le tout venant» en l'occurrence. Cette expression est tributaire d'une situation qui s'est établie au fil du temps. Selon Daniel Bourneix, les importateurs de café à partir de Guinée gagnent doublement, aussi bien sur le coût à l'achat que sur l'exemption douanière dont ils bénéficient et qui est relative aux produits en provenance de ce pays. Parallèlement, en vertu des accords passés entre plusieurs pays africains, le produit destiné à l'export peut provenir de pays limitrophes à la Guinée, d'où l'expression «le tout venant».

Dans le même ordre d'idées, le café du Continent noir n'a pas toujours été une mauvaise affaire, bien au contraire. En effet, ayant atteint une renommée mondiale des années de cela, les producteurs de café africains se sont quelque peu endormis sur leurs lauriers.

Résultat : des champs agricoles délaissés au hasard du temps et aux aléas du climat, aboutissant, in fine, à des productions aux qualités médiocres auxquelles s'attachent, pourtant, des cafetiers bien de chez nous, le souci du gain primant plus qu'autre chose.
«Là, face à cette situation où la concurrence déloyale règne en maître, on fait de notre mieux pour tenir bon ; on tient bon, certes, mais jusqu'à quand ?», s'interroge Daniel.

Bref, de retour d'Afrique et de ses histoires «cafetières» aux locaux des Cafés Bourneix, on était juste en face du torréfacteur qui tourne depuis 15 minutes environ, vous-en souvenez vous ? Tant mieux pour la suite de l'histoire. La bouche du four où avaient tourné les grains de café s'ouvre et déverse son contenu – 100 kg de fèves - sur une sorte de plate-forme circulaire, avec un fond criblé de trous, muni de trois palettes et en dessous duquel se situe un système de ventilation. Après une première phase au sein du four même, les grains de café cuits traversent leur phase ultime de refroidissement. Celle-ci arrivée à terme, les grains de café seront éjectés vers un silo situé en hauteur, à travers un processus de poussée d'air et non d'aspiration, lequel process évite aux grains bien des cassures afin de rester entiers, tout luisants, tout beaux.

Ces derniers seront par la suite ensachés en vrac, dans des sacs en jute de 50 kg, avant leur ensachage final à destination des étals des grandes surfaces ou ceux des cafés qui osent les Cafés Bourneix. À préciser que ces derniers restent la principale cible de cette manufacture pionnière dans l'art du café.
Sur ce volet, qu'il soit moulu ou en grains, le café est mis en sachet, pesé puis soudé manuellement. À cet effet, l'on ne s'en rend peut-être pas compte, mais la majorité des étapes parcourues jusqu'à présent par le café s'est faite de manière manuelle. C'est que l'entreprise a privilégié, depuis l'essor qu'a connu l'industrie en général, de fonctionner de manière artisanale afin de ne pas perdre de vue le volet qualité. Les choses subiront, cependant, quelques modifications pour la simple raison qu'il faudra réduire les frais afin de pouvoir vivre.
«Notre façon de travailler coûte excessivement cher et c'est pour cette raison que nous avons décidé de perfectionner un tant soi peu le processus. Des travaux sont actuellement en cours dans le but de rendre certaines étapes plus performantes, comme le stockage ou l'ensachage, sans pour autant toucher au processus de torréfaction, car cela reste le secret de notre réussite», indique Daniel Bourneix.

Pour saisir la portée de ce surcoût de production, il faudrait appréhender que l'emballage à lui seul, fait de cette façon, occasionne à la société des frais supplémentaires à hauteur de 40% par rapport à ce qu'il aurait coûté s'il était fait de manière mécanique et non pas manuelle. Ceci s'explique par le coût des sachets préfabriqués dans lesquels ira le café, contrairement à une machine qui ne nécessitera qu'un rouleau qui sera découpé en fonction de l'ensachage.

Cependant, cette automatisation en marche n'est pas sans susciter des soucis par rapport à d'éventuels licenciements que dictera la modernisation de l'entreprise. À ce propos, Daniel se veut plutôt rassurant : «Il n'est pas question de licencier qui que ce soit. Les femmes que vous voyez là et qui s'occupent de l'emballage nous ont accompagné pendant une trentaine d'années, elles étaient de toutes petites filles quand nous les avions embauchées et, chez Bourneix, nous avons du cœur et je puis vous assurer que nous ne nous en séparerons pas, quitte à ce qu'elles restent là sans rien faire».
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Un amour de biscottes

Pierre Bourneix et M'barek Yahi n'allaient pas se contenter de faire de la production du café leur seul créneau, à savoir le café. Une fois leur association consommée, ils introduiront d'autres produits portant le même nom, une fois que la petite société tiendra sur les pieds plus solides d'une autre. En effet, les deux amis-associés lanceront les biscottes Bourneix, un produit qui allait se faire une place honorable sur le marché du pain grillé «prêt à consommer». D'ailleurs, aujourd'hui, les biscottes Bourneix sont les plus présentes dans les rayons et autres étalages.

Quelques années plus tard, après l'association, M'barek Yahi fera l'acquisition de la société «Biscottes Bourneix», qui ne fera plus partie du groupe, mais plutôt du patrimoine de la famille Yahi.

Le groupe lancera également sur le marché des amandes et cacahuètes salées en conserves estampillées «Bourneix». Sauf que ce créneau s'avérera plus handicapant que rentable. «Nous utilisions, à titre d'exemple, des amandes Marcoma, qui nous coûtaient 100 DH le kilo, et cela nous laissait une marge bénéficiaire de 1 DH sur chaque boîte vendue. C'était une activité qui tirait l'entreprise vers le bas et que j'ai dû arrêter», déclare Daniel Bourneix, entre deux clics de souris sur son ordinateur, scrutant le moindre mouvement du cours
mondial du café, afin de faire des affaires au moment opportun.
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