A qui profitent les dérogations ?
EVALUATION. 26,9 milliards DH, soit l'équivalent de 4% du PIB, tel est le manque à gagner pour les finances publiques en 2008, rien qu'au titre des dispositions dérogatoires du système fiscal marocain.
LE MATIN
23 Octobre 2008
À 15:54
Le système fiscal marocain est connu pour la diversité des dérogations accordées aux acteurs économiques sous forme d'exonérations, réductions, abattements ou encore les taux préférentiels. Ces dérogations représentent un enjeu budgétaire majeur. Connues sous le nom de «dépenses fiscales» dans le mesure où leur effet sur le budget est comparable à celui des dépenses publiques; on peut simplifier les choses en disant qu'il s'agit d'un arsenal de carottes fiscales provoquant un manque à gagner direct pour les finances de l'Etat. Pour répondre au souci de transparence budgétaire, le Maroc s'est engagé, il y a de cela quatre ans, dans un processus de mesure du coût de ces dépenses. Chose qui permet d'asseoir une sorte de visibilité à même d'orienter les chantiers ouverts par l'administration fiscale.
Ainsi, un inventaire de 392 dispositions dérogatoires a été dressé en 2008, contre 410 en 2007, 405 en 2006 et 337 en 2005. D'après le document consacré à cette thématique et qui a accompagné le projet de la Loi de finances 2009, les mesures fiscales introduites dans le cadre du budget 2008 ont permis de réduire de 15 le nombre des dispositions dérogatoires. L'impact de cet élargissement de l'assiette est évalué à environ 2,7 milliards DH, soit 12% du montant des dépenses fiscales évaluées en 2007. Le nombre des mesures recensées est passé de 410 en 2007 à 392 en 2008. Parmi ces mesures, 192 ont fait l'objet d'évaluation en 2008 contre 178 mesures en 2007, soit 8% de plus en dépit de la suppression de 9 mesures déjà évaluées en 2007.
Pour les finances publiques, le manque à gagner issu des dépenses fiscales évaluées en 2008 s'élève à 26.9 milliards DH contre 23,6 milliards en 2007, soit une augmentation de 14%. Pour se rendre compte de l'ampleur de ce système dérogatoire, le manque à gagner en 2007 représente 15,8% du volume global des recettes fiscales et environ 4% du PIB national. La ventilation de ces dépenses par types d'impôts révèle la prédominance de la TVA. A elle seule, cette taxe a été à l'origine de 51% des dépenses fiscales de l'exercice budgétaire 2007. Le montant y afférent est passé de 11 à 13,7 milliards DH entre 2007 et 2008. S'agissant de l'Impôt sur les sociétés (IS), le montant des dépenses fiscales estimées est de 3,5 milliards DH en 2008. Le système dérogatoire, au titre de l'IS, aurait profité essentiellement aux entreprises (3,4 milliards DH dont 1,3 milliards concernant les exportateurs).
Pour ce qui concerne l'Impôt sur le revenu, l'estimation de l'administration fiscale laisse apparaître un montant de 3,2 milliards DH dont 1,6 milliards profitant aux ménages. Enfin, les droits d'enregistrement et de timbre auraient engendré un manque à gagner évalué à 3,8 milliards DH bénéficiant, consommés en bonne partie à travers les dérogations liées aux acquisitions immobilières pour 2.287 MDH.
Le rapport du ministère des Finances a le mérite de détailler les secteurs d'activités qui profitent le plus du système dérogatoire. A ce titre, sans surprise, on constate une prédominance des dispositions dédiées aux activités immobilières. Celles-ci font l'objet de 38 mesures évaluées à 4,5 milliards DH en 2008 contre 3,9 milliards une année auparavant, soit une progression de 14%. De ce fait, elles représentent 17% de l'ensemble des dépenses fiscales évaluées.
Autre détail, les dispositions afférentes aux conventions conclues avec l'Etat se rapportant à l'exonération de tous impôts et taxes au profit des programmes de logements sociaux en cours, s'élèvent à 1,1 milliard DH, dont 643 millions pour la TVA et 460 MDH pour l'IS. Au deuxième rang des secteurs bénéficiaires, l'énergie a bénéficié de l'équivalent de 2,7 milliards DH sous forme de dérogations, soit 10% de l'ensemble des dépenses. Une part importante de ces dépenses (2 milliards) provient uniquement de la TVA.
Quant au secteur du transport, classé troisième, il bénéficie de 22 mesures dérogatoires dont 14 ont été évaluées à 1 milliard DH au titre de l'année 2008. Le secteur du tourisme bénéficie, lui aussi mais dans une moindre mesure, des dérogations. Le montant y afférent totalise 482 MDH en 2008, consommé essentiellement par la réduction de 50% sur les bénéfices au prorata du chiffre d'affaires en devises.
Par ailleurs, les entreprises exportatrices totalisent environ 1,8 milliard de dépenses fiscales, dont 1,3 milliard au titre de l'IS. Quant aux régimes fiscaux préférentiels, dont bénéficient les régions, le manque à gagner pour le budget de l'Etat en 2008 se chiffre à 864 millions DH en 2008, se référant en bonne partie à la zone de Tanger avec 473 millions DH pour l'IS et 52 millions pour l'IR.
Au-delà des milliards DH dont se prive le budget de l'Etat, le système de la dérogation fiscale est un outil efficace qu'on peut retrouver dans presque tous les pays, permettant aux gouvernements d'atteindre certains objectifs économiques et sociaux. L'étude d'impact de ce système a détecté à ce niveau quelques niches d'amélioration du dispositif. Au niveau des incitations relatives à l'activité immobilière, il a été constaté que les avantages fiscaux bénéficient beaucoup plus aux promoteurs qu'aux catégories sociales ciblées, et ce en raison de la fraude constatée dans ce secteur.
D'une manière générale, les dépenses fiscales bénéficient dans une large mesure aux entreprises qui profitent de 52% du montant total contre 35% au profit des ménages. L'évaluation budgétaire des mesures dérogatoires montre aussi que l'effort important accordé aux différents secteurs d'activités pèse lourdement sur le rendement du système fiscal. Ce qui devrait inciter l'administration à poursuivre la révision des exonérations accordées aux secteurs qui bénéficient le plus d'avantages fiscaux. L'allusion est faite aux secteurs de l'immobilier, le tourisme, l'export, l'énergie ainsi que les industries alimentaires. Une réforme de TVA est également en perspective... Elle touchera surtout les domaines du sucre, le péage dans les autoroutes, la distribution de l'eau et enfin le transport des voyageurs et des marchandises.
L'ESPRIT D'UNE DEMARCHE
Les dérogations constituent un enjeu fiscal important. Elles occasionnent un manque à gagner pour le Trésor et leur effet sur le budget de l'Etat est comparable à celui des dépenses publiques. C'est la raison pour laquelle elles sont appelées «dépenses fiscales», «subventions fiscales» ou «aides
fiscales». A l'instar d'autres pays, le Maroc a pris l'engagement de publier, chaque année, des données relatives aux dépenses fiscales, en intégrant le processus de leur évaluation dans ses instruments de gestion des politiques publiques.
Comme ceux qui l'ont précédés, le quatrième rapport, rendu public cette semaine, est adossé au projet de la Loi de finances dans l'objectif d'assurer une meilleure transparence et de fournir un cadre favorable à la mise en oeuvre des réformes du système fiscal, notamment en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée et l'Impôt sur le revenu.