Des dates à retenir en repères

Les pilleurs d'eau

La région du Souss-Massa- Darâa n'arrive toujours pas à sortir sa tête de l'eau.

10 Décembre 2009 À 17:19

L'extension rapide du périmètre irrigué, conjuguée à une réduction des apports renouvelables en eau suite à la succession des années de sécheresse, a aggravé la situation. Pour limiter la casse, les autorités interdisent tout nouveau forage. Une police de l'eau a été ainsi instaurée pour renforcer le contrôle. Ceci n'a pas empêché pour autant des petites entreprises de forage de travailler clandestinement sans aucune autorisation. Un business juteux qui a attiré des Marocains mais aussi des Syriens. Corruption et passe-droits, certaines entreprises hors la loi n'ont aucun scrupule de piller les ressources en eau. Enquête.

En cette mi-novembre, le thermomètre indique 34°. La température n'a pas bougé d'un iota depuis quelques jours et la pluie, toujours aussi capricieuse, n'a pas encore pointé son nez. Bienvenu à Sebt El Guerdane dans la province de Taroudant. Sous un soleil de plomb, la région, jadis fleuron de l'agriculture nationale roule au ralenti. A l'exception de quelques parcelles verdoyantes, la route poussiéreuse menant à la ville de Taroudant n'offre qu'un paysage de désolation : des milliers d'hectares d'anciennes cultures d'orangers, de citronniers et de mandariniers délaissés.

Un paysage digne du décor d'un film de far west. A quelques kilomètre de la Commune de Sidi Moussa, M'barek, propriétaire d'une trentaine de hectares assiste incrédule à l'arrachage des arbres de clémentine desséchés de son exploitation. La sécheresse et la raréfaction de l'eau dans la région ont eu raison de sa récolte. «En principe, cette récolte, je devais la vendre à 300.000 DH, mais maintenant, elle ne vaut plus rien. Tout ce que je peux espérer de gagner c'est le prix de vente du bois, soit environ 5000 DH», explique-t-il les larmes aux yeux. Une perte sèche que M'barek a du mal à encaisser. Dans la foulée, cet agriculteur a été obligé de se séparer d'une dizaine de main d'œuvre.

Surexploitation
Pour connaître l'origine de cette situation, il faut revenir au début des années 70. A cette époque, la région de Souss-Massa-Daraâ a commencé progressivement à s'illustrer en matière agricole pour devenir au fil des années la première zone primeuriste, intensive et prépondérante en produits agrumicoles et maraîchères notamment en petits fruits, oranges et tomates. Cette position privilégiée de la région a encouragé de nouveaux investisseurs à s'y installer. Un intérêt qui s'explique aussi par l'ouverture de nouveaux marchés à l'export comme celui de la Russie. Cette extension rapide du périmètre irrigué s'est traduit naturellement par une surexploitation des eaux d'irrigation. L'accroissement de la demande conjugué à une réduction des apports renouvelables suite à la succession des années de sécheresse a aggravé la situation. Conséquence : une baisse notoire de la nappe phréatique de la région et un déficit annuel qui se chiffre à 233 Mm3. Pour répondre aux besoins en eau de leurs exploitations, les agriculteurs n'avaient d'autres alternatives que de creuser de nouveaux puits. Sentant le bon filon, plusieurs entreprises de forages ont commencé alors à offrir leurs services aux agriculteurs. Un business prometteur qui a attiré non seulement les Marocains, mais aussi des Syriens !

Séjour illégal
Connus pour être des experts en génie hydraulique, surtout en forages des puits, les Syriens ont été très actifs dans plusieurs pays arabes, notamment la Tunisie et l'Algérie. Le durcissement de la réglementation en matière de forage dans ces deux pays a poussé les entreprises syriennes à chercher d'autres débouchées, d'où l'intérêt pour le Maroc. Les premières d'entre elles se sont installées à Béni Mellal et Berrechid à partir de 1995. Il a fallu que la sécheresse s'accentue dans la région de Souss-Massa-Daraâ pour que les Syriens renforcent leur présence sur le marché marocain. Un réseau qui a commencé à s'organiser et à se renforcer au fil des jours en profitant de certaines complicités. D'ailleurs, la presse avait fait largement écho en août 2008 de l'arrestation de quatre ressortissants syriens pour séjour irrégulier et trafic de devises entre le Maroc et la Syrie. Le principal accusé dans cette affaire avait reconnu faciliter l'immigration clandestine de 50 Syriens vers le Maroc en les aidant à obtenir des visas d'entrée dans le Royaume. Des responsables lui auraient facilité la tâche en contrepartie de sommes d'argents.

«Les Syriens qui entraient au Maroc grâce à ce réseau opéraient notamment dans le domaine de forage», explique un membre de l'association des entreprises de forages de Souss. Une fois au Maroc, ils parvenaient à s'organiser en offrant leur expertise aux agriculteurs marocains. D'après certaines sources, ces personnes pouvaient s'équiper en sonde soit en faisant appel à des sociétés intermédiaires d'importation de matériels de forage (sondes et compresseurs) ou en les ramenant de l'Algérie.

Anarchie
La présence des entreprises syriennes ne se limitait pas uniquement à la région de Souss-Massa-Daraâ. Grâce au réseau constitué, ces entités étaient capables de travailler sur tout le territoire national et par conséquent concurrencer les entreprises marocaines. Une demande de plus en plus forte et une réglementation quasi absente, il n'en a pas fallu plus pour que le secteur prenne son élan sans qu'il soit pour autant structuré. C'est ainsi que pendant plusieurs années, le pillage de l'eau s'est poursuivi dans une anarchie totale. Mais depuis 2002, l'ampleur du phénomène commençait à se faire sentir avec les vagues successives de sécheresse. Une enquête réalisée en 2004 a tiré la sonnette d'alarme sur ce qu'elle a appelé « un scénario catastrophique ».

Autrement dit, il fallait agir et vite. Une convention-cadre a été ainsi signée en 2007 avec l'implication des différents acteurs (conseils élus, autorités locales, services extérieurs, administrations centrales, associations professionnelles) concernés par la préservation et le développement des ressources hydriques au bassin Souss-Massa. Cette convention s'articule autour de plusieurs axes, à savoir l'économie et la valorisation de l'eau, la recherche de ressources alternatives mais aussi l'interdiction des nouveaux puits et forages. Des autorisations pouvaient toutefois être délivrées par l'Agence du bassin hydraulique dans des cas précis, comme l'approfondissement d'un forage ou le remplacement d'un autre fermé. Pour cela, une police de l'eau a été instituée.

Sa mission : renforcer le contrôle en matière de forage illicite. En fait, il faut savoir que conformément à la loi 10-95 sur l'eau, tout creusement ou forage est soumis à autorisation délivrée par l'Agence du bassin hydraulique. Une disposition jusque-là ignorée par les agriculteurs. «En cas de demande d'autorisation, l'agriculteur est obligé de payer 1000 DH de frais de dossier plus les redevances cumulées de l'utilisation ultérieure de l'eau d'irrigation et qui sont calculées à partir du nombre d'hectares irrigués», explique Abdeslam Agouram, président de l'Association des entreprises de forage de Souss.

Autant dire que l'agriculteur a tout intérêt à creuser le puits clandestinement. Pour mettre fin à cette anarchie, la Commission du contrat de nappe s'est attelé en parallèle à l'organisation des entreprises de forage. Ces dernières doivent impérativement respecter un cahier de charge très strict les obligeant à déposer les statuts, le Registre du commerce, la copie de la CIN et la fiche technique du matériel de forage auprès de la Chambre de commerce et d'industrie. Une condition pour avoir un agrément d'exercice.

85 sondes confisquées
Le renforcement du contrôle effectué par la police de l'eau à partir de 2008 a limité relativement le phénomène de creusement non autorisé mais sans pour autant le stopper.

En face, la mafia des forages illicites s'est organisée. «Malgré le contrôle renforcé de la police de l'eau, des entreprises de forage opèrent actuellement sans autorisation tout simplement en corrompant certains responsables locaux», nous explique un professionnel du secteur. D'après lui, les pots-de-vin peuvent varier entre 3.000 et 7.000 DH. Pour ne pas être démasquées, certaines entreprises en complicité avec les agriculteurs préfèrent travailler le soir, ou choisissent des endroits discrets.

Des précautions impératives compte tenu des risques encourus. En effet, en cas de creusement non autorisé, la sonde ou le compresseur est automatiquement confisquée et les responsables du forage (agriculteur et entreprises de forage) sont obligés de payer de lourdes amendes.

Depuis 2006, une vingtaine de forages illicites ont été fermés et près de 80 sondes et 10 compresseurs ont été confisquées par la police de l'eau (dont pratiquement la moitié appartient à des Syriens).
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Le business d'abord !

Selon les professionnels du secteur, une soixantaine d'entreprises de forage opèrent actuellement dans la région de Souss-Massa-Daraâ (syriennes et marocaines), dont seulement une vingtaine est organisée. Cet intérêt pour la région s'explique par une demande de plus en plus forte exprimée par les agriculteurs, mais aussi par des marges bénéficiaires intéressantes. Les prix de forage diffèrent d'une région à une autre selon la composition des terres à forer et par conséquent de la durée consacrée au forage. A El Guerdane, par exemple, un creusement peut coûter entre 250 et 300 DH le mètre linéaire et nécessiter jusqu'à 25 jours de travail. Dans la région d'Aoulouz, il faut consacrer au moins deux mois pour creuser un puits d'une profondeur de 250 m. Dans ce cas, le prix est beaucoup plus élevé (1.300 DH le mètre). A Oulad Berrehil, les prix oscillent entre 400 et 500 DH le mètre.
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