Les meilleurs de l‘année 2009

«La réforme du secteur de la mutualité se pose avec acuité»

Abdelouahid Khouja, secrétaire général du ministère de l'Emploi
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16 Octobre 2009 À 15:06

Fin connaisseur des systèmes de protection sociale dans le monde, A. Khouja dresse un « bilan d'étape » de l'AMO. Le secrétaire général du ministère de l'Emploi estime qu'il est temps de dessiner les limites d'intervention de l'ensemble des composantes du système. Selon lui, la question de l'articulation entre le régime obligatoire et celui complémentaire est déterminante.


Vous avez participé cette semaine au séminaire d'évaluation de la coopération franco-marocaine dans le domaine de la couverture médicale de base. En quoi consiste cette plate-forme de coopération ?

Le cadre de cette coopération touche l'ensemble des sujets ayant trait à la mise en œuvre de l'AMO qui, faut-il le préciser, concerne aujourd'hui toutes les catégories des salariés, que ce soit dans le privé ou dans le public. La couverture médicale concerne également la catégorie des économiquement faibles, appelée communément régime RAMED. Il y a cinq ans, nous étions à un taux de couverture national qui ne dépassait pas 15%. Aujourd'hui, nous sommes à 30%.
Cela concerne exclusivement les travailleurs salariés. `
Reste encore à intégrer la population active occupée qui n'est pas liée par un contrat de travail (indépendants, professions libérales et toute activité non salariée) ainsi que ceux qui travaillent dans l'informel. L'objectif étant de passer de 30% à un taux de couverture de 70%. C'est dans cette perspective, que les institutionnels et acteurs français ont décidé, lors de cette rencontre, d'appuyer notre pays dans ses efforts d'extension de la couverture sociale et médicale aux populations non encore couvertes.

Cinq ans après sa mise en œuvre, êtes-vous satisfaits du bilan actuel de l'expérience AMO ?

Il y a une donnée économique incontournable : il y a peu de salariés au Maroc. Une bonne partie de la population travaille pour son propre compte. Le système obligatoire à travers la CNSS (privé) et la CNOPS (public) a touché beaucoup de gens. Malheureusement, ce système n'a pas encore intégré ceux qui travaillent pour leur propre compte et les démunis. Pour ces derniers, il est prévu un régime de prise en charge direct avec l'assistance de l'Etat. Pour les autres, il est prévu de mettre en place un régime à part qui répondrait obligatoirement aux principes énoncés par la loi 65/00. Il n'est pas question de démultiplier les régimes existants, mais plutôt de les consolider…

On se pose souvent la question de la pérennité du système AMO, Où en sommes-nous aujourd'hui?

Lorsqu'on a entamé l'expérience, dès la publication des décrets d'application, on avait comme considération majeure la viabilité et la pérennité du système. Si on n'avait pas agi sur ce paramètre, on serait tout simplement resté dans un système d'assurance à caractère facultatif au lieu de migrer vers l'« Obligatoire ». C'est une donnée fondamentale dans un régime d'assurance sociale basé exclusivement sur les cotisations salariales et patronales. Les régimes liés aux prélèvements sociaux sont liés automatiquement au marché du travail. Sur la base des résultats des études que nous avons menés pendant trois ans, nous avons décidé d'aller crescendo. Cela explique la raison pour laquelle il a été décidé, en 2005, pour ce qui concerne le régime AMO du secteur privé de laisser de côté les soins ambulatoires. Avec le temps, ce choix stratégique s'est avéré judicieux.
Aujourd'hui, nous constatons qu'il existe un certain matelas, sur le plan financier, qui nous permet d'intégrer les soins ambulatoires pour le secteur privé (CNSS) et de soumettre au Conseil d'administration de la CNOPS la possibilité d'aligner le tarif de responsabilité sur la tarification nationale de référence. Les études sont en cours, l'objectif étant d'aboutir à une situation financière saine. Il faut être cohérent sur cette question. La pérennité est assurée à partir de plusieurs éléments : les taux de cotisation déjà prévus, les capacités des entreprises. En termes de charge, nous sommes à un niveau inférieur par rapport à des pays à économie similaire (Tunisie, Turquie…).

Quid des soins ambulatoires ? C'est pour quand ?

Le conseil d'administration de la CNSS a pris une résolution qui a fait l'objet d'un décret, lequel a été approuvé par le conseil de gouvernement. On attend juste sa publication dans le bulletin officiel pour le rendre applicable. Le choix de l'élargissement aux soins ambulatoires se fera sans aucune charge supplémentaire pour les entreprises…

Cela veut dire que la CNSS compte beaucoup sur l'effet migratoire des entreprises qui ont bénéficié de la fameuse mesure dérogatoire (article 114)?

On n'a jamais voulu prendre en considération l'article 114 de manière politique. La loi a introduit le schéma d'une expérience dérogatoire de 5 ans. Nous avons aujourd'hui une considération majeure : la réussite de l'implémentation de l'AMO. Nous savons pertinemment que l'AMO est une affaire qui devrait être gérée par l'ensemble des acteurs et qui devrait intégrer une réelle articulation du système (régime de base/régime complémentaire, régime obligatoire/régime facultatif, secteur privé/secteur public). L'assurance sociale est une assurance publique de par les textes. La gestion doit être supervisée par l'ensemble des acteurs dans le respect de la loi et des textes pris pour son application.

La migration vers la CNSS a-t-elle eu lieu au même rythme prévu au départ ?

Nous avons constaté que certaines grandes entreprises ont complètement modifié les contours de leur assurance. Ils ont choisi d'adhérer au régime obligatoire de base de la CNSS tout en continuant à bénéficier des contrats du système complémentaire.
C'est louable comme démarche sachant que la loi prévoit ce schéma. Il faut qu'il y ait un débat national serein entre l'ensemble des composantes de manière à arriver à un schéma global. La couverture médicale de base est un grand projet structurant d'où la nécessité de mettre autour de la table l'ensemble des acteurs.

Un débat pour soulever quel genre de questions ?

Jusqu'où peut-on aller dans des régimes contributifs ? De même pour le Ramed, jusqu'où peut-on aller ? On ne cherche pas à ce que ce régime soit un filet social pour tous. L'absence d'une couverture de base pour les indépendants, les travailleurs non salariés et ceux exerçant une activité informelle pourrait peser lourd sur la mise en place du Ramed. Ensuite, il faut traiter la question du partage des rôles. Les prestations offertes aujourd'hui par la CNSS ont été conçues sur des bases universelles en s'appuyant sur le principe de solidarité nationale. Il n y a pas de sélection à l'adhésion comme il n y a pas de plafond en terme de prestations.
Cela pourrait être considéré comme un frein pour les compagnies d'assurance. Il serait judicieux à ce que les institutionnels se mettent autour d'une table de manière à définir le rôle du régime obligatoire et les contours du régime complémentaire. Le problème est posé aujourd'hui avec acuité au niveau des sociétés mutualistes.
Ce sera le moment de revoir notre schéma national de protection sociale de manière consensuelle. Ces derniers temps, partout dans le monde, s'il y a quelque chose qui revient souvent sur la place publique, c'est bien le débat autour de la protection sociale. Tout le monde parle de retraite, de santé. Le monde est en train de changer complètement de paramètre : Hier, on parlait du PIB, aujourd'hui du développement social.

Pour revenir à l'article 114, pourquoi obliger les entreprises qui souhaitent maintenir leur couverture de base auprès des compagnies d'assurance à continuer à cotiser au titre de l'AMO ?

La loi 65-00 est venue se greffer sur une situation. 7% de la population active salariée avait un régime d'assurance maladie facultative qui permettait aux gens de se faire rembourser et d'accéder à un minimum de soins. La loi 65-00 est venue créer une autre situation : une assurance maladie universelle, obligatoire et accessible à l'ensemble des salariés. Se posait alors une question déterminante. Si l'assurance maladie propose les mêmes prestations que celle servie par les compagnies d'assurance, on pourrait faire migrer l'ensemble de la population. Si l'AMO ne propose qu'un panier de soins restreint, il faut absolument se rappeler d'un principe universel qu'il faudra respecter, celui de la sauvegarde des acquis. La loi est censée venir avec un plus. Nous n'avions pas la possibilité de prévoir
une AMO universelle qui prendrait le tout en charge, cela aurait provoqué une situation grave en termes de cotisations salariales et patronales. Aucune entreprise n'était en mesure de supporter 15 ou 20% de cotisations dans un contexte économique difficile. Ce choix nous a poussé à aller vers une disposition légale qui stipule que les salariés ont jusqu'à cinq avant de migrer vers la CNSS. Le fait que la CNSS propose aujourd'hui l'élargissement du panier des soins peut être considérée par les compagnies d'assurance comme un produit d'appel envers les salariés du secteur privé. Nous ne considérons pas cela en tant que tel. Par contre, on peut jouer sur d'autres paramètres : la qualité du service, la célérité du remboursement. La CNSS est en train de faire des efforts louables pour pouvoir arriver au même niveau de délai de remboursement que celui des compagnies d'assurance. La CNSS, ne l'oublions pas, n'a que cinq ans d'expérience à ce niveau, elle ne fait pas de concurrence aux assureurs.

Dans un récent séminaire organisé à la Faculté de droit à Casablanca, on vous a fait dire une certaine « schizophrénie » du système de l'assurance maladie au Maroc…

De par ma modeste expérience, j'aurais aimé à ce qu'il y ait un vrai partage de rôle, une vraie articulation entre le régime obligatoire et le régime complémentaire. C'est un dossier qui n'est pas facile à traiter. Les Français, par exemple, sont aujourd'hui dans la même logique. Ils sont en train de discuter une meilleure articulation entre les différents régimes, notamment au niveau des mutuelles. Qu'est ce qui aurait été préféré par les salariés? C'est justement de faire appel à un seul guichet pour pouvoir se rembourser par rapport aux deux couvertures (obligatoire et complémentaire). Comment y arriver? Il faut y aller doucement en respectant les intérêts et les obligations des uns et des autres.

Lequel serait à votre avis le chantier qui mérite d'être réformé le plus tôt possible ?

S'il y a quelque chose à réformer aujourd'hui, c'est bien le secteur de la mutualité, en le modernisant et en le démocratisant davantage, rien que pour le mettre en phase avec les obligations de la loi 65-00 et les exigences d'une bonne gouvernance.
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Ce que stipule le fameux article 114*

«A titre transitoire, pendant une période de cinq ans renouvelable, à compter de la date de publication des décrets réglementaires de l'AMO, les organismes publics ou privés qui, à cette date, assurent à leurs salariés une couverture médicale à titre facultatif, soit au moyen de contrats groupe auprès de compagnies d'assurances, soit auprès de mutuelles, soit dans le cadre de caisses internes, peuvent continuer à assurer cette couverture, sous réserve de fournir la preuve de l'existence de cette couverture à la CNSS ou à la CNOPS, selon le cas, et ce selon les modalités fixées par voie réglementaire. Dans ce cas, la couverture doit s'appliquer à l'ensemble des salariés, y compris ceux nouvellement recrutés au cours de la période de transition, ainsi que, le cas échéant, les titulaires de pensions bénéficiant déjà de cette couverture.
A l'expiration de ce délai, les employeurs précités sont tenus de procéder à leur affiliation et à l'immatriculation de leurs salariés et, le cas échéant, des titulaires de pensions ayant bénéficié de la couverture précitée, au régime de l'assurance-maladie obligatoire de base géré par la CNSS ou par la CNOPS selon le cas. Dans tous les cas, sont conservés les droits acquis par les bénéficiaires desdits régimes, tant pour la partie prenant en charge les cotisations que pour le taux de couverture dont ils bénéficient».

*Extraits de la loi 65-00 portant code de la couverture médicale de base.
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