RCA, OCS, MAS :trio « gagnant » !

L'argent des banques mal transporté

Experts, banquiers et prestataires de services sont quasi-unanimes.
>Le transport de fonds au Maroc n'est pas assuré dans les règles de l'art, même si les transporteurs sont des filiales de grands groupes internationaux.

08 Décembre 2010 À 16:52

Les banques courent un grand risque. Il ne s'agit pas des fameux risques de crédit ou de transformation. Ni celui des fluctuations du marché (taux, change, …). Il s'agit d'un risque opérationnel lié au transport de leurs fonds. La chaîne présente en effet plusieurs maillons faibles. A commencer par la vétusté des fourgons blindés fabriqués spécialement pour cette activité. Malgré l'engagement des deux opérateurs, Group4 Securicor Maroc (G4S) et Brink's Maroc, à renouveler leur flotte, ce n'est pas encore fait complètement. L'essentiel de la flotte est constituée d'anciens fourgons amortis en Europe.
Pour expliquer le pourquoi des choses, l'ex-patron de G4S, Quentin Loontjens, propose revenir un peu en arrière. « L'introduction en 1997 de cette activité au Maroc a coïncidé avec le changement de certaines réglementations dans le Vieux Continent ». Conséquences, « nombreux sont les fourgons en bon état qui n'ont plus le droit de circuler dans les pays de l'Union européenne ». C'était une opportunité à saisir par les filiales marocaines des deux grands groupes. Toutefois, Rachid Mounacifi, ancien formateur à G4S en Suède et directeur général de la société Dream Part Security, ne le voit pas de cet œil. « Le Maroc s'est transformé en poubelle de l'Europe ». Et tenez-vous bien ! Cette expression n'est pas assez forte au sens de notre expert qui a passé plus de vingt ans pratiquement dans toutes les différentes activités stratégiques du secteur de la sécurité privée et du transport de fonds. En faisant ce choix, les deux groupes présents dans le royaume gagnent, semble-t-il, sur tous les fronts.
Les maisons mères trouvent acquéreurs pour des véhicules qui ne peuvent plus servir à transporter des fonds dans certains de leur pays d'installation. Et ce, soit pour des raisons réglementaires, soit à cause des conditions exigées par leurs clients. Bien plus, au moment où le recyclage de ce genre de véhicule coûte cher sous d'autres cieux, au Maroc il rapporte de l'argent. En effet, en Europe, après le démontage des fourgons en fin de vie, une issue qui évite que les fourgons tombent entre les mains de criminels, leurs propriétaires payent les ferrailleurs pour les reprendre. Nos ferrailleurs marocains, par contre, les achètent auprès des transporteurs de fonds après leur démontage, fait savoir Najib Fassi Fihri, directeur général de Brinks Maroc.

Cela étant, « même dans le cas où les fourgons utilisés sont encore neufs, l'entretien fait parfois défaut », remarque à maintes reprises Mounacifi, qui préside également l'association professionnelle des agences de sécurité au Maroc (APASM). Résultat, la situation des véhicules, en principe blindés, transportant des millions, voire des milliards chaque jour laisse à désirer. Et ce n'est pas tout. Pour le courrier, les transporteurs utilisent généralement des véhicules légers. Si la communauté bancaire juge la situation normale, pour notre expert qui se base sur les normes de l'activité en vigueur dans plusieurs pays, ce n'est pas le cas. « Un courrier doit être considéré comme des fonds et être transporté dans des véhicules adéquats respectant des règles de nature à minimiser au maximum tout risque de perte, dégradation ou vol ». Pis encore, alors qu'un prestataire déclare que tous ses véhicules « sont dotés de GPS (global positioning system)», le second reconnaît qu'il n'a pas encore fait le pas. Ce système permet d'une part, de relier l'équipage de chaque fourgon avec une cellule de contrôle logée dans le siège de l'entreprise, et d'autre part de localiser la position géographique des véhicules. A défaut, c'est difficile, voire impossible de contrôler si le convoyeur suit à la lettre l'itinéraire qui lui a été communiqué peu avant le départ. En effet, « le transport de cette marchandise spéciale, en l'occurrence l'argent, obéit à des procédures strictes et pointilleuses, dans le but de la protéger contre tout risque d'attaque », rappelle Q. Loontjens. Et d'ajouter, « une simple erreur peut s'avérer fatale pour le prestataire et pour le client ».

Des maillons faibles du transport de fonds, il y en a encore. « Malgré l'installation de panneaux d'interdiction de stationnement devant les agences bancaires, le risque trottoir est toujours là », fait savoir un membre de la commission sécurité, instituée auprès du Groupement Professionnel des Banques du Maroc (GPBM) et réunissant autorités publiques, banques et prestataires. « Le risque trottoir est le laps de temps durant lequel l'argent est sorti du coffre-fort du fourgon pour être introduit à l'intérieur de l'agence bancaire », explique R. Mounacifi. Il constitue pour les convoyeurs le moment le plus dangereux, notamment au Maroc. « On a le sentiment d'être une proie facile aux attaques, d'autant plus qu'on n'utilise pas des valises intelligentes qui détruisent automatiquement leur contenu », souligne un convoyeur. Conscient de toutes ces failles, « la communauté bancaire n'a de cesse de rappeler les opérateurs à l'ordre », indique-t-on auprès de la commission sécurité. Apparemment, en vain.

La législation demeure incomplète

Trois ans après l'entrée en vigueur de la loi 27-06 relative aux activités de gardiennage et transport de fonds, un premier décret a vu le jour en novembre dernier. Il précise que l'autorisation d'exercice de ces activités est délivrée par le Wali de la région duquel relève le siège social ou le principal établissement. Plusieurs conditions sont exigées, mais aucune ne se rapporte à la formation ou à l'expérience des fondateurs ou gérants. L'article 21 dispose que les employés des entreprises de gardiennage et de transport de fonds justifient de leur aptitude professionnelle par la détention d'un diplôme ou certificat sanctionnant l'acquisition des compétences conformément aux conditions à fixer par un arrêté conjoint de plusieurs ministres. Toutefois, les employés qui exercent l'activité de gardiennage ou transport de fonds, à la date de la publication du décret (4 novembre 2010), justifient de leur aptitude professionnelle par la détention d'un titre justifiant l'exercice des activités pour une durée, non interrompue, équivalente ou supérieure à 18 mois. Dans tous les cas, ces personnes exerçant des activités de gardiennage ou de transport de fonds doivent être en possession d'une carte professionnelle, délivrée par leur employeur. Quant aux véhicules utilisés pour le transport de fonds, ils doivent présenter toutes les qualités techniques requises garantissant la sécurité des biens transportés notamment contre le vol.

Mais il faut attendre la publication d'un arrêté conjoint des ministres de l'Intérieur et de l'Equipement et du transport pour connaître de quelles caractéristiques techniques il s'agit. Cela étant, tous les moyens de transport, qu'il soient utilisés par les entreprises de gardiennage ou de transport de fonds, peuvent être équipés de dispositif de communication aux fins d'établissement de liaisons de sécurité. L'utilisation de sirènes, de gyrophares ou de tous autres accessoires de signalisation lumineuse est interdite. En vertu de l'article 8 de ce décret, l'autorisation d'exercice peut être suspendue immédiatement par le Wali de la région concerné en cas d'urgence ou de nécessité tenant à l'ordre public.

La continuité d'activité n'est pas garantie

Des membres de la commission sécurité déplorent l'absence d'un plan de continuité d'activité (PCA). Ce dernier est du ressort à la fois des banques et des prestataires. Du côté des premières, le problème est résolu en partie, puisque la plupart des établissements bancaires ont signé des contrats avec les deux transporteurs. De cette façon, « si pour une raison ou une autre, une entreprise ne peut pas assumer sa mission, la deuxième la remplace », souligne Q. Loontjens. Mais si les deux sont dans la même situation, la banque se trouve dans une mauvaise posture. Certes, sa solvabilité reste garantie, mais sa liquidité est remise en cause. Du coup, il se peut qu'une opération simple comme encaisser un chèque, ne soit pas possible. Du côté des opérateurs, rien n'est prévu. Un haut cadre d'un prestataire se contente de nous expliquer qu'un PCA n'atteint jamais la qualité de la prestation initiale.

Difficile de résister à une situation de crise

Pour montrer la gravité de la situation actuelle du transport de fonds au Maroc, l'ancien patron du Group4 Securicor (G4S) Maroc, Q. Loontjens, lui qui est habitué à gérer des situations de crise, pousse son imagination à l'extrême. En connaissance de cause, il prévoit le scénario d'une grève chez les deux prestataires de services. Conséquence automatique : « toute l'économie marocaine se trouvera paralysée à cause d'un manque de liquidité ». A cet égard, il ne faut perdre de vue que la mission des transporteurs de fonds consiste à réaliser des convois d'argent généralement entre les banques commerciales et Bank Al-Maghrib ou entre les banques elles-mêmes. Ce scénario de crise est tout à fait plausible, surtout que les banques ne peuvent pas assurer leur transport, à défaut de moyens adéquats et de savoir-faire.

Plusieurs raisons ont été mises en avant par nos interlocuteurs. En premier lieu, les conditions sociales des employés de ces deux sociétés. Le salaire des convoyeurs, qui transportent des valises et des sacoches pleines d'argent liquide, ne dépasse pas en moyenne 3.000 DH nets mensuels. Alors que ce métier à la fois difficile et extrêmement exigeant nécessite d'abord des personnes à fortes conditions physiques, contrairement aux autres activités exercées par les sociétés de transport de fonds, comme le tri et le comptage des billets. Les procédures de sécurité du convoyage de l'argent sont également extrêmement rigoureuses. Pour les convoyeurs, leur métier est porteur de dangers. « Les attaques sont attendues à n'importe quel moment, malgré l'utilisation de technologie de pointe», répètent certains d'entre eux à qui veut les entendre.

D'autres sources de démotivation reviennent sur les lèvres de convoyeurs, comme les conditions de sécurité qui ne sont pas tout le temps remplies. Mais également, la faiblesse de la formation, de l'encadrement et le suivi. Pour s'en convaincre, il suffit de suivre des fourgons des prestataires de services. Plusieurs cas de manquements aux règles du comportement professionnel ont été repérés par notre expert, R. Mounacifi, parfois photos et enregistrements vidéo à l'appui. Ainsi, « même si ce n'est pas monnaie courante, il arrive de voir des fourgons spécialisés circulant avec vitre ouverte, des convoyeurs en train de téléphoner ou même de fumer ». Vu l'état des lieux de cette activité dans le royaume, Q. Loontjens va jusqu'à proposer aux autorités publiques de garder une certaine emprise sur le transport de fonds, d'autant plus « qu'il n'y a pas de partenaires sociaux dignes de ce nom et que les organes de conciliation sont parfois aux abonnés absents », renchérit-il.
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