Abdelali Benamour, président du Conseil de la concurrence >
LE MATIN
08 Janvier 2010
À 18:17
«Je militerai jusqu'au bout pour que le projet de réforme du Conseil aboutisse» Installé officiellement depuis le 6 janvier 2009, le Conseil de la concurrence réactivé après une hibernation qui a duré pratiquement une dizaine d'années, souffle sa première bougie. Une année intense au cours de laquelle l'équipe de Abdelali Benamour a été confrontée à un défi majeur : faire émerger une institution forte, capable d'instaurer un environnement concurrentiel adapté. Un excès d'optimisme dont la nouvelle équipe va vite s'en rendre compte. Au fil des mois, Benamour s'apercevra en effet que le Conseil tel que régi actuellement par le texte de loi est loin de répondre à la vision initiale. Le Conseil est réduit à une institution sans âme avec une action limitée sans aucune marge de manœuvre. En somme, une simple coquille vide. Benamour connu pour ses prises de position et son pragmatisme ne se laisse pas faire. Il s'attelle immédiatement à la conception d'un projet de réforme du Conseil qu'il transmet à la Primature. Depuis, il attend. Pour combien de temps encore ? Personne ne le sait. Il semblerait que l'Exécutif conscient de la portée d'une telle réforme joue la prudence en attendant un signal d'en haut. Une position qui arrange certains lobbys d'affaires qui n'ont pas intérêt à ce que le Conseil se transforme en une autorité. Que du temps perdu ! En tout cas, Benamour est déterminé à aller jusqu'au bout. Explications.
ECO PLUS : Avant d'entrer dans le vif du sujet et pour rester dans l'actualité, que pensez-vous du dernier remaniement ministériel ?
ABDELALI BENAMOUR : C'est un changement technique qui correspond à une rectification d'un certain nombre d'éléments. La remarque que je pourrais faire est qu'on fait appel à plus de technocrates, même si ce n'est pas une donnée globale au niveau de ce changement. Vous avez Saâd Alami et Driss Lachguer qui sont des politiques et vous avez le remplacement de Abdelouahed Radi par un technocrate et le remplacement d'un technocrate par un autre au niveau de l'Intérieur. Bref, à mon avis, ce n'est pas un changement profond au niveau de l'action gouvernementale.
Le Conseil est opérationnel depuis exactement une année. Quel est le bilan ?
Nous avons travaillé avec deux logiques. L'une correspond à opérer dans le cadre du texte actuel et une logique qui tend vers son évolution. Quatre dossiers importants ont constitué les principaux éléments de nos activités. Le premier chantier a été le renforcement institutionnel. Il fallait avoir des locaux, les meubler et les équiper. Entre-temps, nous avons conclu un accord avec la CDG pour acquérir un terrain qui devra abriter le nouveau siège du Conseil. Nous avons surtout essayé de constituer la première équipe de gestion de l'institution. Cela n'a pas été facile dans la mesure où nous sommes dans un domaine qui nécessite des profils pointus, économistes et juristes. L'équipe actuelle compte une vingtaine de cadres.
Le deuxième chantier a consisté à répandre la culture concurrentielle. Sur ce registre, nous avons entrepris plusieurs actions, notamment l'organisation de séminaires de sensibilisation sur les questions de la concurrence au profit d'une part des institutions qui peuvent nous saisir et d'autre part de l'opinion publique d'une manière générale. Une trentaine de rencontres ont été ainsi organisées. Le troisième volet sur lequel nous avons agi est relatif aux études. Nous avons lancé un appel d'offres pour la réalisation de sept études sectorielles, six ont été attribuées et sont maintenant en cours de réalisation. Elles devraient être bouclées dans les trois mois à venir. L'objectif ne consiste pas à donner des recommandations puisque les textes ne nous permettent pas d'avoir des auto-saisines. Ce sont des études qui nous donnent l'image de ce qui existe. Par ailleurs, le Conseil a décidé de lancer sept autres études sectorielles.
Concernant les saisines, nous avons reçu jusqu'à fin 2009, une dizaine de dossiers dont 4 sont recevables à 100%. Deux d'entre elles nous ont été transmises : l'une par le Premier ministre et l'autre par un syndicat. Après études, le Conseil a envoyé ses avis au Premier ministre pour le dossier concernant le livre scolaire et au syndicat pour le pilotage maritime. Par la suite, nous avons reçu deux autres saisines, l'une de la part du Premier ministre concernant le beurre et l'autre émanant d'une association professionnelle sur la plasturgie. Les rapporteurs ont été désignés et sont en train d'examiner ces dossiers pour les soumettre au Conseil dans les trois mois à venir. Par ailleurs, nous venons de recevoir une demande concernant le dépôt des céréales dans les ports et une autre concernant un projet de concentration, le premier du genre à nous parvenir. Le quatrième dossier sur lequel nous avons travaillé cette année est relatif aux suggestions concernant la réforme de notre texte. Nous avons préparé dans le cadre de notre équipe un projet de réforme que nous avons soumis à notre Conseil. Celui-ci a tranché et nous avons envoyé ces propositions au Premier ministre il y a environ deux mois.
Avez-vous eu une réponse ?
Nous attendons. Le Premier ministre nous a clairement fait savoir qu'il n'est pas contre ce projet, mais que celui-ci est toujours en cours d'étude.
Justement, quelles sont les principales propositions de ce projet de réforme ?
Les principales propositions sont celles qui existent dans tous les Conseils de par le monde. J'assiste à plusieurs rencontres dans ce sens, et nos homologues n'en parlent même pas parce que pour eux c'est l'évidence. Par exemple, la compétence générale au niveau de la concurrence. Pour éviter un télescopage, l'aval, représenté par le Conseil de la concurrence est séparé de l'amont. C'est une bonne chose parce que le Conseil est éloigné de ceux qui produisent. Ensuite, pour travailler en toute liberté, le Conseil doit être indépendant des autorités administratives et du monde économique. Aujourd'hui, non seulement le Conseil dépend de la Primature mais sa composition ne relève pas tout à fait cette indépendance. Nous avons émis des suggestions dans ce sens au Premier ministre concernant la composition du Conseil et son autonomie financière. J'insiste, l'objectif ne consiste pas à transformer le Conseil en un tribunal. La troisième proposition concerne le côté décisionnel. Tous les conseils de par le monde décident d'agir lorsqu'il y a une pratique anti-concurrentielle. Ce sont eux qui interpellent, conseillent ou prennent des sanctions.
La quatrième proposition est relative à l'auto-saisine. Aujourd'hui, nous n'avons pas cette autorité. Le Conseil se retrouve tributaire des autres, à savoir le gouvernement à travers le Premier ministre, les commissions parlementaires, la magistrature, les régions, les chambres de professionnel, les associations professionnelles, les syndicats et les associations de défense des consommateurs à condition qu'elles bénéficient de l'utilité publique.
Imaginez qu'à un certain moment nous ne recevons pas de demandes. Qu'est-ce que nous allons faire ?
Est-ce qu'il y a d'autres pistes de réforme ?
Dans sa configuration actuelle, le Conseil n'a pas le droit de publier les résultats des saisines. Une disposition que nous avons proposée d'amender. Par ailleurs, un chef d'entreprise ne peut pas saisir le Conseil sur un problème. Plusieurs opérateurs nous ont contactés mais nous les avons orientés vers leurs associations professionnelles. Le problème est que ces associations abritent aussi l'autre partie concernée par la saisine.
Autrement dit, avec cette configuration actuelle, le Conseil ne remplit pas sa mission…
Il a des difficultés à pouvoir remplir réellement la mission d'une autorité de la concurrence telle que conçue universellement. Que ce soit en Egypte, en Tunisie, en Algérie, en Afrique du Sud ou encore au Ghana, les institutions compétentes ont un statut décisionnel. Si vous voulez créer une autorité de la concurrence, il faut la doter des outils nécessaires.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous avons signé plusieurs accords avec l'Europe, les Etats-Unis, la Turquie et le groupe d'Agadir, sans oublier l'accord sur le Statut avancé. Tous ces accords vont dans le même sens : que le Maroc soit compétitif et pour qu'il le soit, il faut s'ouvrir à la concurrence. De même, les investisseurs demandent à ce qu'ils soient assurés en mettant en place une base concurrentielle.
Le ministère délégué chargé des Affaires économiques et générales ne semblerait pas très chaud pour ce virage du Conseil : un statut décisionnel au lieu d'un statut consultatif. Qu'en pensez-vous ?
C'est vous qui le dites. Nizar Baraka m'a dit qu'il était d'accord sur le fonds de ce texte mais qu'il faut prendre le maximum d'avis. Le Premier ministre également. Je suis encore très optimiste. Je ne fais jamais de chantage dans mon activité et je ne voudrais pas en faire. Pour le moment, je travaille avec le texte actuel comme s'il était pérenne et je milite pour le nouveau texte comme s'il devait entrer en vigueur demain.
Comment expliquer alors que dans les mois qui ont suivi l'institution du Conseil, le ministère des Affaires générales s'est employé à renforcer les compétences de sa Direction de la concurrence ?
Posez-lui la question. Je veux travailler en toute entente et convaincre plutôt que de rentrer dans des débats de querelles ou de compétence.
Jusqu'où vous êtes prêt à aller si ce projet de réforme n'aboutit pas ?
Je militerais jusqu'au bout pour qu'il aboutisse. Si j'ai été proposé pour remplir cette mission il faut que je la remplisse correctement.
Justement, qui a intérêt à ce que le Conseil reste une coquille vide ?
L'objet de toute autorité de la concurrence est d'arriver à des offres multiples et aboutir aux prix les plus bas avec la meilleure qualité. Parallèlement à cela, il y a l'idée de l'éthique des affaires et l'idée de lutte contre toute forme de rente. Les autorités de la concurrence n'ont pas que des amis. Il y a toujours des résistances.
Si on confère au Conseil la possibilité d'engager des enquêtes. Quelles seraient vos priorités ?
Ça serait la pire des choses si je vous répondais maintenant. Nous ne partons avec aucun préjugé. Si nous avons la possibilité d'auto-saisine, à chaque fois qu'on voit une présomption de problème quelque part on l'étudie en toute âme et conscience. Nous ne voulons pas travailler comme une épée de Damoclès sur le monde économique. Nous voulons l'accompagner.
L'action du Conseil ne risque-t-elle pas d'empiéter sur le terrain d'autres instances de régulation comme l'ANRT ou la HACA par exemple ?
Lorsque nous sommes arrivés, nous avons constaté que beaucoup de ministères et de régulateurs sectoriels s'intéressent aussi à la concurrence. Et parfois les textes ne sont pas harmonisés. Nous avons rédigé des projets de chartes de coopération que nous avons transmis à toutes les parties concernées. Nous avons tenu plusieurs réunions avec elles pour essayer de leur expliquer que le Conseil ne travaille pas en terme de conflit de compétence mais en terme de coopération et de complémentarité.