La reprise du marché de l'emploi serait au rendez-vous
Entre habitants et Brasserie du Maroc : L'entente ne coule pas de source
La conférence de presse à Ifrane du jeudi 22 juillet 2010 concernant le lancement de l'eau de source Ain Ifrane par le groupe Brasseries du Maroc a rapidement tourné au débat humanitaire. En effet, plusieurs associations locales et internationales d'altermondialistes jettent la pierre à l'exploitant en l'accusant de ne pas se soucier de l'impact négatif que cela pourrait avoir sur les villageois dont la survie dépend de cette source.
LE MATIN
02 Août 2010
À 17:15
L'eau de source Ain Ifrane est déjà sur les étalages des échoppes et des grandes surfaces, cependant les différends entre les dirigeants de Castel et les villageois de Ben Smim (bourg agricole situé à 8 Km d'Ifrane) perdurent. Tout d'abord et avant donner dans les détails de ce bras de fer qui dure depuis près de 10 ans, rappelons les faits. La société Euro-africaine des eaux (EAE), propriété de l'homme d'affaires français Nicolas Antaki bénéficiait depuis 2001 d'un contrat avec l'Etat marocain pour l'exploitation de l'eau de source de Ben Smim. L'EAE a été récemment acquise par le groupe mondial Castel qui avait racheté en 2003 (à travers la Marocaine d'investissements et de services) les parts de la Société nationale d'investissement (SNI) détenues dans le capital du groupe des brasseries du Maroc (GBM). Jusque-là tout va bien, les procédures administratives pour obtenir la multitude d'autorisations nécessaires pour l'exploitation de la source sont lancées sauf que les villageois de la Zaouïa limitrophe ne l'entendent pas de cette oreille. Ils estiment que cette eau leur appartient et ce depuis plusieurs générations, ils tonnent haut et fort et à qui veut l'entendre que cette source constitue le noyau dur de leur survie, car leurs activités reposent essentiellement sur l'agriculture et l'élevage et donc dépendent de cette source. Ils craignent que « leur eau » soit partagée avec des millions de consommateurs à travers tout le pays. Plusieurs associations d'altermondialistes nationales (dont l'association ATTAK Maroc) et internationales ont entendu cet appel et ont entamé de nombreuses actions (manifestations, pétitions, blocages du chantier, caravane de protestation…). A leurs yeux, cette affaire revêt le symbole de la "marchandisation des biens publics".
Des intellectuels comme Medhi Lahlou, professeur d'économie et président de l'Association pour le contrat mondial de l'eau (ACME) au Maroc, ont aussi défendres « la cause » pour confirmer que « l'eau est la seule chose qui permet à cette population de vivre » et que « rien ne garantit que le cahier des charges sera respecté et que l'entreprise ne déterminera pas la part des uns et des autres ». L'antagonisme ne s'est pas arrêté là, des violents heurts ont éclaté entre habitants et forces de l'ordre lors du démarrage du chantier. Résultat: un bulldozer calciné, une tente dressée au milieu de la route avec toute la symbolique tribale que cela représente, deux blessés côté gendarmes et sept habitants présentés devant le parquet de justice et encore poursuivis à l'heure actuelle côté paysans. Toutes ces chicanes ont fait prendre trois ans de retard au projet coûtant ainsi plus de 2 millions de dirhams d'après Nicolas Antaki, mais aujourd'hui l'usine est bel et bien achevée et opérationnelle, d'ailleurs une conférence de presse était organisée jeudi 22 juillet pour inaugurer l'unité de production et lancer officiellement cette eau baptisée Ain Ifrane. Cependant, la réunion a vite pris l'allure d'un débat déontologique. Face à la curiosité (presque déconcertante pour les responsables du projet) de certains journalistes, Jean-Marie Grosbois, directeur général du groupe Castel, a lancé un « On est des industriels, pas une association caritative ». La messe est dite, le ton est donné. Des arguments plus crédibles et plus techniques que cela ont été fournis par Nicolas Antaki non pas sans une virulence à peine maîtrisée témoignant du ras-le-bol envers cette polémique. Ainsi, il a expliqué que si le groupe exploite la source c'est qu'il a été autorisé à le faire par l'Etat marocain qui est le principal propriétaire de cette eau selon la loi en vigueur (voir encadré). Il a aussi rappelé que la source d'Ain Ifrane est « une source émergente qui fait sortir le trop plein de la nappe d'eau contrairement à la majorité des autres sources exploitées par des gens qui n'hésitent pas à forer jusqu'à 750 mètre dans la nappe pour capter l'eau ».
Il a rajouté que le débit de prélèvement autorisé n'est que de 3 litres par seconde alors que le débit naturel de la source est de 60 à 80 litres par seconde, et qu'il n'est jamais descendu sous la barre des 20 litres depuis quarante ans. Ceci est vrai mais n'oublions pas que le Maroc sera de plus en plus confronté à des pénuries d'eau dans les années à venir selon les experts. L'entrepreneur a aussi précisé que le véritable problème vient des techniques agricoles utilisées par les maraichers qui entrainent des pertes significatives des eaux. Enfin l'homme d'affaires a joué la carte du social rappelant que se projet va être bénéfique pour la région en termes d'emplois (plus de 90% des salariés seront de la région) et de taxes versées à la commune rurale de Ben Smim qui pourront atteindre cinq à dix millions de dirhams par an d'après lui. Notons (bonne foie oblige) que cette région n'a connu presque aucun investissement sur plusieurs décennies et que le montant de cette opération dépasse les 100 millions de dirhams ce qui n'est pas négligeable et sans conséquence sur l'économie locale. De tout ce remue-ménage une chose est certaine, la qualité de cette eau ne peut être qu'excellente sinon elle n'aurait pas fait l'objet d'autant de tractations, de convoitises et de persévérances des deux parties (surtout de la part de l'exploitant). Voila qui est de bon augure pour le futur consommateur.
Le marché national de l'eau en bouteille
Le marché de l'eau en bouteille est un petit marché en termes de volume. Ceci est la conséquence directe de la faible consommation de cette eau dans le Royaume. Les spécialistes s'accordent à dire qu'un marocain boit en moyenne 11 à 15 litres d'eau en bouteille par an, ce qui est faible en comparaison avec les pays européens qui consomment parfois jusqu'à 189 litres par an et par habitant comme le cas de l'Italie. Même en comparaison avec la zone méditerranéenne la consommation du pays reste modérée. A titre d'exemple, un tunisien consomme en moyenne 22 litres par an d'eau en bouteille. Actuellement sept « vraies » marques d'eau en bouteille sont commercialisées sur le marché national, se partageant ainsi les plus importantes parts de marché. Ceci conduit inexorablement à la conclusion suivante : Ce marché est voué à un bel avenir. De plus, on assiste durant cette dernière décennie à un changement des habitudes du consommateur marocain de plus en plus soucieux envers une alimentation saine et équilibrée. Enfin le nombre d'établissements qui utilisent ce produit (Hôtels, cafés, restaurants, salles de sports, …) ne cessent d'augmenter drainant des besoins en eau de bouteille de plus en plus visible.
Ce que dit la loi
Le premier texte qui régit le domaine public hydraulique au Maroc date de 1914. Il s'agit du dahir du 7 chaabane 1332 (1er juillet 1914) sur le domaine public qui sera complété par la suite par les dahirs de 1919 et 1925. Depuis cette date, les ressources en eau ne peuvent faire l'objet d'une appropriation privative, à l'exception des eaux sur lesquelles des droits ont été légalement acquis. Cependant, le contexte actuel de l'utilisation de l'eau n'est plus celui d'il y a un siècle où la demande en ressources en eau était beaucoup moins importante que de nos jours. Ainsi pour cause de refonte de cette législation et son unification en une seule loi, la loi 10-95 a vu le jour le 16 août 1995. L'article premier de cette loi stipule clairement que: « L'eau est un bien public et ne peut faire l'objet d'appropriation privée sous réserve des dispositions du chapitre II », font partie du domaine public hydraulique au sens de ce texte toutes les nappes d'eau, qu'elles soient superficielles ou souterraines ; les cours d'eau de toutes sortes et les sources de toutes natures ; ainsi que les lacs, étangs, berges etc… Les droits de propriété sont définis dans l'article 6 qui précise que « sont maintenus les droits de propriété, d'usufruit ou d'usage régulièrement acquis sur le domaine public hydraulique antérieurement à la publication du dahir du 7 chaabane 1332 (1er juillet 1914) sur le domaine public, à celle du dahir du 11 moharrem 1344 (1er août 1925) sur le régime des eaux, tels qu'ils ont été modifiés et complétés ou, pour les zones où ces textes ne sont pas applicables, à la date de récupération de ces dernières par le Royaume. Les propriétaires ou possesseurs qui, à la date de publication de la présente loi, n'ont pas encore déposé devant l'administration des revendications fondées sur l'existence de ces droits disposent d'un délai de cinq ans pour faire valoir ces derniers. Passé ce délai, nul ne peut se prévaloir d'un droit quelconque sur le domaine public hydraulique ». Enfin l'article 73 spécifie que les eaux dites "de source " et " de table " ne peuvent être mises en vente et vendues que si elles sont officiellement autorisées et soumises au contrôle de l'administration et que si leur mode de captage et de conditionnement a été approuvé.