La reprise du marché de l'emploi serait au rendez-vous

Interview avec Amine Berrada Sounni Président de la Fédération nationale

02 Août 2010 À 16:38

ECO PLUS: Comment se porte le secteur de l'agroalimentaire ?

Amine Berrada Sounni:
Le secteur de l'agro-industrie est relativement faible ne représentant que 4% du PIB alors que l'agriculture en représente 15%, à l'inverse de ce qui se passe dans d'autres pays où la part de l'agro-industrie est plus importante dans le PIB. Il y a un certain nombre de freins qui empêchent son développement, mais fondamentalement il a un grand potentiel.

A-t-il subi les conséquences de la crise économique mondiale ?

On continue à manger. Le secteur agroalimentaire est le dernier secteur à avoir subi la crise car structurellement il est faible. Le problème que l'on voit aujourd'hui par rapport au contexte national reste la flambée des prix des matières premières. A terme, l'assiette dans les ménages peut être touchée, vu que le coût des produits alimentaires augmente ces dernières années et il risque d'y avoir un certain nombre de problèmes qui toucheront certainement les populations les plus pauvres.

Quels sont les freins qui persistent entravant le développement du secteur ?

Le grand problème confronté reste la fiscalité qui empêche le développement de l'industrialisation, car elle renchérit le coût du produit transformé. Aujourd'hui, les taux d'imposition en matière de TVA et d'IS sont les plus élevés, alors que les produits agricoles sont défiscalisés et dès qu'on les transforme, l'industrie subit toute la fiscalité de l'amont agricole. Certes c'est le consommateur final qui la paye, mais cela rend les produits agroalimentaires plus chers que les produits agricoles.
Par ailleurs, en plus du coût de transformation s'ajoutent les charges fiscales (TVA, IS, etc) qui viennent se greffer au prix et rendent ces produits davantage plus coûteux. Aujourd'hui, le Marocain consomme beaucoup de produits en vrac plutôt que ceux conditionnés car cela lui revient moins cher alors que les premiers ne sont pas de bonne qualité et comportent des risques d'intoxication, en l'absence de contrôle rigoureux à l'inverse du produit conditionné qui est plus sécurisé.
Un autre frein est les droits de douanes sur les matières premières ou l'accès aux intrants. En effet, l'Etat protège l'agriculture locale et parfois on protège même les produits qui n'existent pas localement où il y a des droits de douanes très importants. Mais le problème c'est que l'industrie ne peut pas émerger ou se développer, vu que la production locale ne suffit même pas au marché domestique, en qualité et en prix. Pour ce qui est de la matière première importée, elle est surtaxée pouvant aller jusqu'à 120% tandis que les produits finis sont exonérés notamment ceux couverts par les accords de libre-échange (ALE) alors qu'à l'importation les matières entrant dans la fabrication des mêmes produits sont soumises à imposition et taxation. Paradoxalement, on taxe la matière première et on laisse entrer les produits transformés à 0%.
Résultat : il y a un problème de compétitivité intrinsèque qui empêche le développement de cette industrie dans certaines filières. Donc, l'accès des intrants à un prix compétitifs et en qualité équivalente au marché international est une nécessité et cela passe par une baisse des droits de douanes.
Le troisième frein est la réglementation. Certes, la loi sur la sécurité alimentaire, qui entrera en vigueur en 2011, répondra à un certain nombre de problèmes, mais ce que nous visons c'est qu'elle soit appliquée à tous les intervenants de façon égalitaire. Il est hors de question d'imposer aux entreprises d'appliquer certaines normes alors qu'en face certains produits importés ne subissent pas les mêmes contrôles. Une bonne réglementation donnera une visibilité aux opérateurs et leur permettra d'investir dans ce secteur.
De plus, le problème majeur lié à cela est l'informel, qui crée une concurrence déloyale, empêchant les opérateurs d'investir dans certains créneaux. La réglementation et la qualité ont un coût certes et il faut qu'il y ait plus d'équité en matière de contrôle et de législation, y compris avec le secteur informel.
La formation est un des freins qui empêche également le développement du secteur. Il faut qu'elle soit en adéquation avec les attentes. Nous y travaillons, dans le cadre du Plan Emergence, et nous avons identifié les besoins pour certains secteurs. Normalement, la formation devra s'y adapter et de son côté l'Office de la formation professionnelle et la promotion du travail doit juste ajuster ses programmes. Il y a des échéances qui sont prévus dans le cadre du pilotage du plan Emergence et d'ailleurs, nous allons tenir une réunion prochainement pour étudier les plannings de formation.


Après la finalisation de l'étude, quelles sont vos doléances ? Et où en sont vos discussions avec le gouvernement ?

Nous allons demander, dans le cadre de la loi de Finances 2011, une baisse du taux de TVA pour l'agroalimentaire avec un maximum de 14%, et ce, afin de réduire le différentiel entre la TVA agricole et celle industrielle. Aujourd'hui, un gap de 20% est énorme, d'ailleurs nous avons fait un benchmark avec d'autres pays industrialisés, l'étude a démontré que ce différentiel était entre 0 et 3% maximum, beaucoup moins élevé que chez nous.
Pour ce qui est de la sous-facturation, une gangrène de l'économie marocaine en général, faisant partie de l'informel, elle représente aussi un handicap pour le secteur. Les pouvoirs publics s'attèlent à résoudre cette problématique. Des choses concrètes ont été réalisées dans le cadre des commissions interministérielles. A ce titre, le premier secteur qui a été attaqué, dans le cadre de cette problématique, est celui de la biscuiterie-chocolaterie-confiserie, qui a été un secteur pilote. Les mesures qui ont été prises pour combattre la sous-facturation vont être généralisées à d'autres filières agroalimentaires.
Coté réglementation, nous travaillons avec l'ONSSA pour que les décrets d'application de la loi 28.07 soient adaptés.
Pour les importations des matières premières, nous allons saisir la Douane et nous travaillons actuellement avec le ministère du Commerce extérieur pour réduire les droits de douanes sur les intrants.

Comment permettre une meilleure valorisation des ressources agricoles et mettre en place une offre exportable et compétitive ?

Le Maroc dans l'absolu, grâce aux différents accords de libre-échange, peut toucher 1,5 milliard de consommateurs. C'est une carte à jour pour le développement des industries agroalimentaires. Toutefois, il faut avoir une logique «marché» et non «produit», à savoir définir les marchés potentiels et encourager la production au Maroc des produits demandés.
Le problème c'est que dans la plupart des accords, quand on parle d'agriculture et d'agroalimentaire, on a toujours en tête qu'on n'exporte au Maroc que les produits agricoles et non ceux transformés. D'ailleurs, tous les accords signés vont dans ce sens. Le Royaume signe des accords avec des pays industrialisés avec lesquels il ouvre les frontières sachant qu'il va importer des produits finis. Malheureusement, dans les accords avec les pays du Sud, où le Maroc a une carte industrielle à jouer, il exclut l'agroalimentaire de tous ces accords-là, en l'occurrence ceux avec l'Afrique de l'Ouest, le Cameroun, de la Cemac, etc.
Je pense qu'il faut revoir la logique des accords de libre-échange. Cette réflexion de fonds est nécessaire pour avoir une bonne offre exportable vers ces pays. On ne peut y arriver que si on a une industrie forte qui pourra se développer si les freins sont enlevés.
Il faut aussi donner de la visibilité aux industriels sur les marchés local et international.
Compte tenu de la proximité du Maroc et du fait que les produits agroalimentaires sont périssables, je pense que le Maroc a un potentiel de développement de l'agro-industrie très fort.


Quel est l'impact de la promotion à l'international ?

D'abord, l'offre marocaine exportable se limite aux produits agricoles. Il faut revoir l'offre pour mieux répondre à la demande étrangère. Sur le moyen et long terme, avec Maroc Export Plus, tous ces efforts de prospection vont servir à ajuster l'offre marocaine. Donc c'est un investissement à long terme mais il faut être patient.
Dans les salons auxquels nous participons, il y a quelques entreprises qui se démarquent par rapport à d'autres, mais principalement ce sont les produits frais qui sont les plus exportés. Maintenant, nous exportons plus de l'huile d'olive, de poissons transformés… en gros des produits de première transformation, d'où la nécessité d'avoir une industrie forte.

Qu'en est-il de la Recherche & développement ?

Parmi les recommandations que l'étude a faites, c'est le manque de l'innovation. Il y a un certain nombre de mesures que l'étude propose, notamment des mesures fiscales, tel un crédit d'impôt lié à la recherche & développement. Je pense que le marché marocain est très ouvert et que le pouvoir d'achat s'améliore. En effet, davantage de produits à grande valeur ajoutée sont demandés par les consommateurs. Maintenant, il faut les proposer à un prix accessible et il faut que l'industrie locale soit compétitive pour créer ces nouveaux produits qui sont de plus en plus demandés, vu l'augmentation du pouvoir d'achat des Marocains et la sophistication de leur goût.

Comment se porte le secteur du chocolat ?

Le chocolat fait partie des produits de luxe qui auront plus de place avec l'émergence d'une classe moyenne et celle supérieure qui contribuera au développement de la consommation. Aujourd'hui, cette dernière se situe à peine en 500 à 700 grammes/an alors qu'en Europe, elle avoisine 7,5 kg et qu'en Tunisie, où la classe moyenne est plus importante, elle tourne autour de 3,5 kg/an. Certes, il y a un potentiel de croissance mais il y a aussi énormément de concurrence sur le marché international, dominé par de grandes multinationales. Pour tirer notre épingle du jeu, il faut vraiment être dans l'innovation et aussi avoir de la visibilité sachant que le marché est tellement petit et que l'industrie du chocolat est lourde et nécessite énormément d'investissements très capitalistiques. Donc, il faut qu'on ait de la visibilité pour nous encourager à aller de l'avant. Actuellement, nous y croyons et nous développons nos produits.
Reste que c'est un marché qui souffre également de la contrebande. Celle-ci accapare plus de 50% de part de marché, ce qui constitue une concurrence fortement déloyale. Il y a aussi un problème de sous-facturation, mais le gouvernement s'y attelle. Toutefois, c'est un marché très porteur vu que les Marocains consomment encore plus de chocolat.
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