«Une volonté profonde pour promouvoir le commerce équitable»
Radouane Zahrou , Directeur du laboratoire des études et de recherches en économie sociale et développement solidaire et vice-doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales - Mohammedia.
LE MATIN
19 Mars 2010
À 15:27
Depuis l'organisation de la première semaine du Commerce équitable en juin 2007, le débat sur cette nouvelle forme de commerce n'a fait qu'intensifier. Il se trouve que ce secteur encore naissant, avance lentement mais sûrement. L'essentiel de ses produits, fabriqués notamment dans le nord du Royaume, est destiné à l'export. Pour son développement, nombreux sont les problèmes à résoudreMais le plus urgent est d'arrêter la tendance à l'informalisation du travail. Le point avec un observateur de ce secteur.
ÉCO-PLUS : Le commerce équitable, on en parle de plus en plus au Maroc. Comment se diffère-t-il du commerce normal ?
Radouane Zahrou :
Le commerce dit normal est strictement inscrit dans une logique économique de court terme et basé sur des gains monétaires. Alors que le commerce équitable est un type d'organisation collective permettant d'assurer des revenus dignes à des populations majoritairement rurales. Il vise à relier production locale et marché international dans le cadre de la norme sociale, environnementale et économique mise au service de la promotion des droits de l'Homme et de la démocratie sociale.
Malgré toutes les opportunités qu'offre le Royaume, le Commerce équitable (CE) est encore dans une phase embryonnaire. Pourquoi ?
Certes, le processus avance lentement mais sûrement. Il y a une volonté profonde pour promouvoir le commerce équitable, et ce, depuis 2004, date de la création du premier organisme de Commerce équitable au Maroc (PMCE : plate-forme marocaine pour le Commerce équitable). Si cela paraît à certain égard un peu lent, c'est que les responsables du développement de ce genre de commerce sont bien conscients que la notion de commerce équitable doit être pensée avec la notion de développement durable, ce qui suppose un certain rythme progressif, afin de mettre en correspondance la réalité locale et les besoins internationaux.
Quelles sont les spécificités du commerce équitable au Maroc ?
Le commerce équitable dans le Royaume se distingue par le rôle important joué par les coopératives, et par une production de très haute qualité prisée par le consommateur des pays du Nord. Deux opérateurs œuvrent pour la promotion de ce genre de commerce au Maroc. Il s'agit d'abord de l'Association marocaine d'appui à la promotion de la petite entreprise (Amappe), qui a pour but d'aider et de financer les projets de petites entreprises, en les adaptant aux besoins des futurs promoteurs. Il y a également AlterEco Afrique et Moyen-Orient, une filiale du groupe français Alter Eco créée en 1999, dont la mission est d'organiser de manière efficace les structures (coopératives, associations) des petits agriculteurs afin de leur permettre d'augmenter leurs revenus.
Est-ce possible d'avoir une idée sur la participation du Commerce équitable dans la formation du PIB et dans l'export ?
Il y a une absence des données statistiques. Ce qui fait qu'il est donc très difficile, voire impossible, d'estimer l'apport du commerce équitable aux producteurs marocains. Tout comme il est impossible de connaître le chiffre d'affaires ou les quantités exportées et vendues au Maroc et à l'étranger. Un manque dont les organismes publics ont pris conscience.
Comment s'organise ce genre de commerce au Maroc ?
On observe une tendance à l'informalisation du travail, reflétant une difficulté croissante à s'intégrer dans le marché formel d'emploi. Ce qui débouche sur une création/expansion des niches informelles, et une tolérance forte des pouvoirs publics à l'égard des formes d'emploi non déclarées. Cette informalisation trouve sa justification dans le besoin de renforcer la compétitivité sur les marchés internationaux. D'autant plus qu'il n'y a pas encore de certifications marocaines en matière de Commerce équitable permettant de garantir le respect des hommes dans la production des biens, ni d'organisme certificateur. Leur création est à l'étude. Il n'y a pour le moment que des certifications internationales telles que Max Havelaar et AlterEco.
Quelles sont les zones géographiques les plus actives ?
Ce sont les régions du nord du Maroc qui sortent du lot, notamment dans l'Atlas qui concentre ce type d'activités. Des associations et des coopératives de femmes mettent en commun leurs récoltes annuelles pour faire des économies d'échelle et assurer une qualité de produits supérieure grâce à un soutien technique et commercial.
Que produisent et vendent-elles au juste ?
Il y a un peu de tout : Huile d'olive, miel biologique, produits cosmétiques, pâtisseries, épices, menthe séchée, produits artisanaux (Babouches, tuniques, tentures, ceintures, bijoux, paniers, poterie, carrelage, etc.), eaux florales, parfum, ghassoul, savon noir, maquillage, plantes, herbes aromatiques, crèmes, pierres de gommage... Bref, le savoir-faire ancestral des femmes en la matière n'est plus à démontrer.
Pour la structuration de ce secteur naissant au Maroc, que faut-il faire?
La participation du Maroc dans le commerce équitable tend à se diversifier ces dernières années. Le pays est d'abord un fournisseur habituel de matières premières qui entrent dans la composition des produits cosmétiques et alimentaires. Mais le Maroc doit approfondir sa démarche et commencer la fabrication sur place de produits finis plutôt que la seule exportation de matières premières. Une façon d'optimiser les bénéfices du commerce équitable en matière d'emploi au niveau local. Le commerce équitable a aussi tendance d'intensifier la dépendance des populations du Sud des consommateurs du Nord. D'où l'importance de promouvoir la consommation locale. Car l'essentiel des recettes se fait à l'export. D'autres problèmes sont à résoudre. Il en est ainsi de la disponibilité nationale des produits. Vient ensuite la problématique du prix. Aujourd'hui, un produit issu du commerce équitable coûte plus cher qu'un produit conventionnel. D'où des difficultés à attirer le consommateur classique plus enclin à rechercher le meilleur rapport qualité/prix.
Et enfin, pour l'essor de ce secteur, les professionnels s'accordent à dire qu'il doit s'accompagner de régularité, de suivi de la production et de solutions logistiques adéquates.
Une idée sur la consommation locale…
Le marché local est très étroit, malgré l'implication des grandes surfaces dans le développement de ce mode de consommation. Ce qu'il faut, c'est sensibiliser le consommateur marocain pour capter son attention.
Qu'en est-il du marché européen et de ses exigences ?
Le marché européen est notable pour légitimer la production destinée au commerce équitable. Car en l'absence de label, il est difficile de vérifier l'origine d'un produit qui s'auto-qualifie de «commerce équitable».
On a besoin donc d'une charte qui permet de répondre à un certain nombre de critères comme l'équité dans les termes de la relation commerciale, en particulier du prix, l'exigence sur les conditions de travail ou encore le respect de l'environnement.