Un siècle de tracasseries !

Les couacs de Moukawalati

Les chefs d'entreprises Moukawalati en difficulté réclament le rééchelonnement de leurs dettes et une baisse du taux d'intérêt sur leurs crédits. Du coup, le débat s'anime entre responsables régionaux du programme et les banques.

18 Décembre 2010 À 14:00

Il y a quelques années déjà, Moukawalati était le programme phare de promotion et d'appui à la création d'entreprises du gouvernement de Driss Jettou. Sur le papier, on lui prédisait un brillant avenir. Aujourd'hui, son image est affectée par les difficultés et les cas d'échec enregistrés depuis son lancement en 2006. « A Fès, la majorité des 160 jeunes promoteurs qui ont bénéficié des emprunts bancaires via le programme Moukawalati rencontrent des difficultés de remboursement de leurs crédits bancaires.

Certains ont été réorientés vers le contentieux. Nous avons essayé d'approcher le CRI, l'Anapec et les banques pour trouver une solution. Mais sans résultats », explique, navré, Issam Jdidi. Il est promoteur dans la filière des produits cosmétiques et président de l'association des chefs d'entreprises Moukawalati de Fès. Pour lui, ce sont les banques, leur manque de souplesse, la lenteur des transactions et une inadéquation des services financiers offerts par rapport aux besoins des jeunes promoteurs qui sont à l'origine de cette situation.

« Après l'avis favorable de la banque, le promoteur constitue une entreprise, crée un compte bancaire avec un capital social et loue un local pour l'entreprise. Et dans l'attente du déblocage du crédit, opération qui prend de six mois à un an, il s'endette pour payer le loyer et les autres frais pour une entreprise qui n'existe que sur le papier », regrette-t-il. Saïda Astaoui partage cet avis.

La fondatrice et gérante d'une crèche pour enfants et membre de l'association indique que le contrat de financement stipule que le promoteur bénéficie de deux années de différé. « Le processus entre l'accord de la banque, le déblocage des fonds et le lancement du projet est tellement long que le promoteur se retrouve très vite devant ses responsabilités financières auprès de la banque. Et il commence à payer son crédit, les intérêts et d'autres frais bancaires qui fusent comme par enchantement lors des remboursements », précise-t-elle. Résultat, des promoteurs qui croulent sous les dettes, avant même de démarrer réellement leurs projets. Certains se sont retirés du programme pour limiter la casse comme le cas de cette jeune fille porteuse d'un projet de production de charcuterie. Sur le conseil de son banquier et des responsables du programme et après avoir reçu l'avis favorable de sa banque, elle a investi dans un local et des équipements à Oulad Taib. Une commune rurale située à une dizaine de km de Fès.

Mais en attendant que les fonds soient débloqués, elle s'est vu refuser l'autorisation du projet en raison de l'absence d'un réseau d'égouts au niveau de cette commune. Saïda indique cependant que la faille n'est pas dans le programme lui-même. Celui-ci a fait l'objet de plusieurs corrections. Mais l'handicap se situe au niveau des banques et des guichets de Moukawalati. « Ceux-ci ne dispensent pas de formation solide aux promoteurs pour pouvoir gérer leurs entreprises et il n'y a aucun suivi ni encadrement du promoteur. Sachant que le programme a consacré à la formation 10.000 DH par projet et qu'il devrait y avoir un suivi de 24 mois », se plaint-elle.

Manque de formation solide

Youssef Rabouli, directeur du CRI de Fès-Boulemane affirme de son côté que l'existence de cas d'échecs ne remet pas en cause le succès du programme Moukawalati. « Il s'agit d'une dizaine de jeunes entreprises dont les dossiers sont classés impayés et huit cas au contentieux au niveau d'une seule banque. Les autres banques n'ont pas répondu à notre requête sur les cas d'impayés les concernant. Aujourd'hui, nous avons proposé aux banques et aux promoteurs en difficulté de traiter cas par cas », précise-t-il. Il reconnaît néanmoins que l'échec de certains projets Moukawalati vient du manque de formation solide et du retard enregistré dans le traitement des dossiers par certaines banques partenaires du programme. « Depuis le début de l'année, un plan d''actions a été adopté pour assurer la relance de ce programme en impliquant davantage les banques et en renforçant le volet formation», ajoute-t-il.
Pour un banquier de la ville qui a requis l'anonymat, les banques se sont impliquées dès le début, mais il y a un seuil de sécurité qu'elles s'assurent pour un emprunt Moukawalati ou autres. « Le promoteur ne doit pas se voiler la face. Aucun jeune ne peut créer une entreprise avec 0 DH et sans aucune expérience professionnelle. L'acte d'investir doit traduire une réelle volonté d'entreprendre. Il ne doit pas être le dernier recours des recalés du marché de l'emploi. Si certains échouent, c'est par ce qu'une fois le crédit en poche, ils font cavalier seul », souligne t-il.

Ceci étant, les membres de l'association des chefs d'entreprises Moukawalati campent sur leur position et refusent le traitement de cas par cas des dossiers en difficultés. Ils plaident pour une solution globale. « Nous réclamons le rééchelonnement de nos dettes et un taux d'intérêt normal, comme il est stipulé dans la convention signée entre la CCG et les banques partenaires du programme, et non pas les 7,5 à 8% que les promoteurs imposent aujourd'hui », martèle Saïda Astaoui. Une condition sine qua non, selon elle, pour pérenniser les projets Moukawalati et repartir sur de nouvelles bases plus solides. Ce coup de pouce est aussi demandé pour que les bonnes idées de projets ne se perdent en cours de route...

Moukawalati en chiffres

Le CRI de Fès-Boulemane indique dans un rapport que plus de 1.490 jeunes sont inscrits au programme. Près de 120 séances de sélection ont été tenues dans ce cadre et présidées par le Centre. 700 projets ont été sélectionnés dont 280 déposés au niveau des banques. En revanche, 160 projets ont reçu l'avis favorable pour le financement et 85 entreprises ont été créées.

D'après le CRI de Fès, seule la direction régionale de la Banque populaire Fès Taza a collaboré et a transmis les informations sollicitées (les dossiers financés par la BP représentent environ 60% du total des dossiers financés au niveau de la région). Et d'après une première analyse des données de cette banque, il a été constaté que 34 projets (62%) sont en situation régulière, 7 (13%) sont impayés et 14 (25%) classés contentieux. C'est pratiquement la même configuration observée chez autres banques, selon des professionnels.
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