La Douane gagne une manche face à Brasseries du Maroc
Le tribunal administratif de Casablanca s'est déclaré incompétent, donnant ainsi raison à l'Administration des douanes. En attendant, le brasseur continue sa production mais marquée fiscalement par les machines de Sicpa.
LE MATIN
10 Décembre 2010
À 16:09
Rebondissements dans l'affaire qui oppose les Brasseries du Maroc à l'Administration des douanes et des impôts indirects (ADII) au sujet des tarifs du marquage fiscal sur les boissons. En effet, le tribunal administratif de Casablanca s'est déclaré, lundi 6 décembre, incompétent, donnant ainsi raison aux Douanes qui ont construit leur défense sur la base de l'article 9 du code des tribunaux administratifs.
Celui-ci prévoit que seule la Cour suprême est compétente en matière de recours en annulation dirigés contre les décisions des autorités administratives dont le champ d'application s'étend au-delà de la compétence territoriale du tribunal en question. Jusqu'à aujourd'hui donc la Douane est protégée, elle, qui est liée par contrat ferme de 5 ans renouvelable avec SICPA MAROC, filiale du Groupe suisse SICPA, leader mondial de la fourniture d'encres de sécurité et de solutions destinées aux billets de banque, de loterie et de passeport.
Traçabilité fiscale
L'affaire remonte au mois de janvier 2010, lorsque l'ADII avait lancé un appel d'offres pour choisir un prestataire pour le marquage fiscal dont la mise en place a été décidée par la loi de Finances 2010. Ce système permet aux Douanes de disposer d'une traçabilité pour contrôler le volume de la production de tous les produits soumis à la taxe sur la consommation intérieure (notamment les eaux, boissons gazeuses, bières, vins, spiritueux et cigarettes) et s'assurer que les quantités déclarées correspondent bien aux quantités produites. Le lancement du marquage fiscal a porté en premier lieu sur le groupe Brasseries du Maroc qui a refusé de payer les factures des mois de juin et de juillet sous prétexte que l'ADII avait le droit de choisir un mandaté mais pas celui d'appliquer un tarif différencié pour une même prestation. En fait, le tarif fixé est de 1 centime pour les eaux minérales, 3 centimes pour les boissons gazeuses et 20 centimes pour la bière, 1,2 DH pour les vins, 2,3 DH pour spiritueux et 50 centimes par paquet de cigarettes. Pour le brasseur, toute facture de l'Administration des douanes liée à l'alcool ne doit être payée que sur la base de 1 centime.
Il avait en conséquence appliqué son propre tarif en recevant une facture de 5 millions de DH de la part de l'Etat à fin juin dernier. Et pour cause, selon les défenseurs de la thèse du brasseur, « le marquage n'est pas une taxe et devra être négocié et surtout pas fixé ».
Pour l'ADII, son choix tarifaire est irrévocable étant donné que la consommation d'une boisson gazeuse ou d'une eau minérale ne doit pas être alignée sur celle d'une boisson alcoolisée. L'affaire a été ainsi portée devant la justice. Le leader national du secteur des boissons alcoolisées, avec une part de marché de 97,5%, avait alors décidé de cesser la production le 4 septembre 2010. Cette décision aurait nourri certaines craintes sur les perspectives économiques de la société, elle qui a enregistré une baisse significative d'activité au titre du premier semestre. En effet, le résultat d'exploitation et le résultat courant ont enregistré des baisses respectives de 2,7 et de 6,7% par rapport à la même période de l'année 2009.
Toutefois, ce moyen de pression n'a pas eu d'effet sur la décision de l'ADII ni sur sa tutelle. Ce qui a poussé le brasseur à reprendre rapidement la production tout en publiant un communiqué le 24 septembre dernier précisant que l'approvisionnement du marché n'a pas été interrompu. Par cette déclaration, le groupe voulait rassurer ses partenaires, notamment fournisseurs, banques et surtout porteurs en bourse, au sujet de sa situation financière et sociale. De même, le communiqué a été interprété comme une façon de reconnaître sa réaction un peu impulsive et se faisant, couper court aux rumeurs qui donnaient le brasseur perdant à l'issue de ce bras de fer qui lui a coûté 9 millions de dirhams de chiffre d'affaires par jour, en plus de mettre 850 personnes au chômage technique.
L'affaire est restée depuis devant le tribunal administratif, même si les deux parties avaient montré plus de souplesse dans leur attitude. L'ADII avait déclaré, en effet, qu'elle était ouverte pour l'amélioration du système de marquage fiscal et que sa démarche s'inscrivait uniquement dans un souci de plus de transparence dans l'environnement fiscal et de traçabilité des productions des produits soumis à la TIC. Mais, aucune révision des tarifs n'a été proposée. Maintenant que le tribunal administratif de Casablanca s'est déclaré incompétent, donnant ainsi raison à l'Administration des douanes, le litige ne pourra être réglé que devant la Cour Suprême. La question est de savoir que fera le Brasseur si cette juridiction se prononce en faveur des Douanes ? Dans le cas contraire, que fera l'ADII de son contrat ferme avec Sicpa ? Affaire à suivre.
Le brasseur dans l'impasse ?
La société Brasseries du Maroc, cotée en bourse, se trouve désormais dans l'impasse. La décision du tribunal administratif de Casablanca qui s'est déclaré incompétent dans l'affaire oblige le brasseur à attendre plusieurs autres semaines, voire des mois pour voir plus clair quant à ses perspectives économiques.
Déjà, la société avait déclaré en septembre dernier que les augmentations de prix appliquées à partir du 1er janvier 2010 à la suite de l'augmentation de la taxe intérieur de consommation sur les bières n'avaient pas uniquement entraîné des baisses significatives de l'activité du groupe, mais que cette tendance pourrait s'amplifier le reste de l'année avec un impact sur les résultats opérationnels au titre de tout l'exercice 2010.
A l'heure où nous mettions sous presse, la société n'avait pas encore réagi à la décision du tribunal administratif de Casablanca ni précisé si elle allait porter l'affaire devant la cour suprême. Elle devra, selon un observateur, être prudente côté communication, pour éviter un mauvais impact sur sa cotation en bourse. Sa seule issue serait de se contenter de répercuter les 20 centimes sur le consommateur.