Un «oui» historique pour un Maroc en marche

Les centres de domiciliation entre le marteau et l'enclume

Des centres de domiciliation d'entreprises ne savent plus où donner de la tête face à l'administration fiscale et certains tribunaux de commerce. Pour défendre leur gagne-pain, ils comptent bien se mobiliser.

11 Février 2011 À 12:46

Les opérateurs de la domiciliation d'entreprises n'en peuvent plus. Le vide juridique commence à peser lourdement, pas uniquement sur leur rentabilité, mais également sur la continuité de leur activité. « Quand il y avait uniquement quelques petits centres, on exerçait notre activité sans grands problèmes. Mais dès qu'on a grandi et que notre business a pris de l'ampleur, des institutions administratives, notamment le fisc et les tribunaux de commerce, commencent à nous mener la vie dure », commente un domiciliataire basé à Rabat, qui a préféré garder l'anonymat. La riposte des professionnels ne s'est pas fait attendre, quoique de manière individuelle. Faute d'action concertée et organisée, des patrons de centres de domiciliation n'hésitent pas à porter le sujet sur la scène publique. Ainsi, la question du vide juridique et son impact sur l'activité des entreprises domiciliées a été posée par un grand opérateur de la capitale économique, lors de la conférence organisée, fin janvier, par un journal de la place. Surprise ! Abdellatif Zaghnoun, le directeur général des Impôts, n'était pas au courant du problème, alors que ces centres « domicilient, rien que sur Casablanca, environ 50.000 entreprises », estime Anas Chorfi, président de l'Agence marocaine pour le développement de l'entreprise. Ce qui est, à la limite, compréhensible, vu que Zaghnoun ne préside aux destinées des Impôts que depuis juin 2010. Mais ce qui ne l'est pas, c'est que même le staff de cadres qui l'accompagnait ce jour là était peu au fait de la question.

Une vraie galère !

Les domiciliataires d'entreprise n'ont pas baissé les bras. Certains d'entre eux étaient également présents à la conférence organisée par la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc (CFCIM), sur « les dispositions fiscales de la loi deFfinances 2011 dans la perspective d'une vision nouvelle de la relation administration-contribuable », le 3 février dernier. Et là, c'est un « domicilié » qui prend la parole, afin d'exposer, brièvement, ses difficultés. « Je galère pour avoir des papiers comme l'attestation de patente ou l'attestation fiscale auprès de l'administration des Impôts », a-t-il fait savoir. Cette fois-ci, le directeur général du Fisc a pris connaissance de la nature du problème. Pour justifier l'attitude de l'administration fiscale, des exemples ont été évoqués. Sur un ton plein d'ironie, Mohamed Fathi, directeur régional des Impôts du Grand Casablanca, compare le domiciliant à un mécanicien domicilié au quatrième étage d'un immeuble (aller voir le lien).

Reconnaissance à double tranchant

Le patron des Impôts a mis l'accent sur un autre exemple. Celui d'un importateur domicilié auprès d'un centre spécialisé qui a fait entrer au Maroc en admission temporaire, une quantité très importante de tissu, avant de le vendre et disparaître dans la nature. Cet exemple est puisé à coup sûr, à la fois, dans son expérience en tant que patron de l'Administration des Douanes et Impôts Indirects qu'il a chapeautée, entre 2004 et 2010, et son expérience actuelle. Les deux intervenants se sont mis d'accord sur au moins une chose : « un domicilié en règle a le droit de bénéficier de tous ses droits ». La réponse est on ne peut plus claire. Mais que pour les non initiés. Les domiciliataires comme les domiciliés, eux, ont un autre avis. Etre en règle, c'est par rapport à un cadre juridique. Or, le vide juridique est le maître-mot dans cette activité. La domiciliation d'entreprises n'est citée en tout et pour tout que dans deux textes de loi. « Il n'y a pas de cadre juridique en bonne et due forme, réglementant tous les aspects de ce métier à part entière, comme c'est le cas sous d'autres cieux », confirme Hassan El Hihi, avocat au Barreau de Casablanca. D'abord, le code de commerce qui donne la possibilité aux créateurs d'entreprises pour exercer leur activité d'acheter, de louer un local ou d'élire domicile chez une entreprise existante. Il reconnaît au moins l'activité de domiciliation des entreprises. Sauf que c'est une reconnaissance à double tranchant. C'est en tout cas ce qui ressort à la lecture de l'article 93 du second texte, celui formant le code de recouvrement des créances publiques. Celui-ci dispose que « les rôles d'impôt, états de produits et autres titres de perception régulièrement mis en recouvrement sont exécutoires contre les redevables qui y sont inscrits, leurs ayants-droit, leurs représentants ou toutes autres personnes auprès desquelles les redevables ont élu domicile fiscal avec leur accord ». Autrement dit, si le domicilié ne respecte pas la réglementation fiscale ou sociale, le domiciliataire est co-responsable. « Ce qui n'est plus le cas dans des pays comme la France, de laquelle le législateur marocain s'est inspiré », renchérit Hassan El Hihi. Tout récemment, l'administration fiscale exige que l'article 93 soit mentionné noir sur blanc dans l'accord liant les parties. Toutefois, la co-responsabilité du premier avec le second n'est valable que pendant la durée de la domiciliation. Cette dernière est fixée à 3 mois renouvelables par une instruction, respectée par quelques tribunaux de commerce, même si elle n'a pas force de loi.

Une association dans le pipe

Pour défendre leurs intérêts, des centres de domiciliation, de création et de promotion des entreprises sont sur le point de créer leur propre association. Le nom est déjà choisi : « Association marocaine des centres d'affaires ».
Son cheval de bataille sera de combler le vide juridique, en prenant contact avec les différentes parties prenantes, notamment le département de tutelle, la commission nationale de l'environnement des affaires (CNEA) et les parlementaires.

Quand une instruction se transforme en loi !

Lors d'une journée d'études organisée en 2003, les juges ont adopté une instruction (n°1421) précisant que la durée de la domiciliation ne devrait pas dépasser six mois. Or, l'essentiel des entreprises domiciliées dépassent largement cette durée. Sont-elles dans l'illégalité ? Oui et non. Les tenants de la première thèse expliquent que les juges ont un engagement moral vis-à-vis de l'instruction (recommandation) produite par leurs confrères. Ils ajoutent que dès son application par un premier tribunal de commerce, cette recommandation entre dans le cadre de la jurisprudence. Ce qui lui donne plus de valeur. Mais pas jusqu'à avoir force de loi, selon le deuxième groupe. Résultat, « chaque ville fait la loi comme elle l'entend », constate Lahlou Fayçal, gérant du Centre de Domiciliation de l'Entreprise. L'instruction est appliquée à Casablanca et Marrakech, à en croire des domiciliataires. Mais pas dans toutes les villes, car des tribunaux de commerce « ferment les yeux ». Les entreprises domiciliées qui pâtissent de l'application de la fameuse instruction sont celles voulant procéder à un transfert de siège chez un autre centre de domiciliation après avoir dépassé les 6 mois en question. N'importe quel tribunal de commerce peut brandir le dépassement de la durée et réclamer un contrat de bail ou passer outre. A chacun sa chance !
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