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La chasse touristique, un business rentable, mais difficile à cerner

L’ouverture de la saison de la chasse est prévue pour le 7 octobre prochain. Armuriers et chasseurs commencent à s’approvisionner auprès des importateurs. Combien de fusils de chasse et de munitions sont importés chaque saison ? À quels prix ? Et quelles sont les caractéristiques de la chasse touristique au Maroc ? Le Matin Éco vous en livre une enquête exclusive.

Les passionnés paient jusqu’à 14 000 DH pour 3 jours de chasse touristique en demi-pension.

03 Octobre 2012 À 16:41

L’activité d’importation de fusils de chasse et de munitions, au Maroc, peut être résumée en quelques chiffres-clés : trois importateurs en activité, une quarantaine d’armuriers et deux sociétés de stockage de munitions. Cependant, s’il est aisé d’en cerner les indicateurs, la quantification pécuniaire et en unités importées n’est, en revanche, guère évidente. Les raisons ne sont pas uniquement liées au caractère sensible de ce sujet, qui touche à la sécurité des personnes : «le nombre d’armes vendues est variable et dépend des autorisations qu’on nous donne ainsi que des conditions climatiques. S’il y a sécheresse, il n’y a, par conséquent, pas beaucoup de gibier, donc nous vendons peu de cartouches», témoigne ce directeur de Falcoz, un établissement bien connu à Casablanca, créé en 1920. C’est le plus ancien importateur d’armes et de munitions connu au Maroc.

Sans apporter davantage de précision, ce responsable, dont l’alarme au bureau est reliée au commissariat de police et à quatre autres numéros de téléphone, estime que «le prix de la plupart des armes vendues au Maroc, et exclusivement à des chasseurs munis d’autorisation de chasse, est plus bas en comparaison à ceux pratiqués en Europe. La raison est qu’il n’y a pas de droits de douane et que les marges bénéficiaires pratiquées par les armuriers marocains sont plus faibles que celles de leurs confrères européens. La différence ne dépasse pas les 100 ou 150 euros». Il précise, par ailleurs, que quelque 66 000 chasseurs (chiffre avancé par le Haut commissariat aux eaux et forêts et de la lutte contre la désertification) constituent actuellement un petit marché en comparaison avec celui, par exemple, de la France où l’on compte près de 1,2 million de chasseurs.

Combien coûtent les cartouches ?

Combien d’armes et de munitions ce professionnel importe-t-il par saison de chasse ? Tout en éludant la question, le responsable de la société Falcoz, à qui l’on prête près de 50% du marché local, exhibe une autorisation d’importation délivrée par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), où sont portés 220 numéros de matricules correspondant à autant d’armes.Plus loquace, Abdelaziz Mesfioui, responsable de La Gambra, entreprise d’importation de fusils de chasse et de munitions créée en 2006, témoigne : «j’importe entre 150 et 250 armes par saison. La cargaison est constituée à 90% de fusils de calibre 12, à 8% de calibre 20 et à 2% de calibre 28».

Également organisateur de chasse touristique, il explique, facture à l’appui, que 90 armes lui sont facturées à 92 300 euros. Au Maroc, ce sont les fusils de calibre 12 qui sont les plus prisés (voir Le Matin, édition du 27 septembre dernier), dont les prix varient de 9 000 DH à 12 000, 14 000 DH et même plus. Concernant les munitions, Abdelaziz Mesfioui dit importer 3 millions de cartouches par saison : «il y a toute une gamme de prix. Par exemple, la 32 grammes (utilisée pour les calibres 12 et 16, qui sont les plus demandés, surtout le calibre 12). Je les importe à raison de 150 euros les 1 000 cartouches (ndlr : environ 1 750 DH, ce qui représente 1,75 DH l’unité). Je les revends au prix de détail à 2,65 DH la cartouche au prix de gros». Chez les armuriers, le prix de ces cartouches varie entre 3 et 3,5 DH. À ce sujet, il faut préciser qu’aussi bien les armes que les cartouches ne sont pas uniquement utilisées pour la chasse : «le tir aux plateaux est en plein essor ; il y a un championnat et des concours nationaux», témoigne notre professionnel aux 50% de parts de marché.

Une stricte traçabilité à l’importation

Importés d’Italie, d’Espagne et de France, fusils de chasse et munitions sont suivis à la trace par les services compétents, en l’occurrence la police et la Gendarmerie royale. «Tout ce que nous faisons rentrer est immédiatement signalé aux autorités, police et Gendarmerie royale, ainsi qu’aux autorités portuaires ou aéroportuaires. Lorsque nous vendons des armes ou des cartouches à des armuriers, c’est consigné sur un registre de police. À leur tour, quand les armuriers vendent au détail à un chasseur porteur d’un permis de chasse, c’est porté sur un registre de police. Tout est tracé», atteste-t-il. De son côté, Abdelaziz Mesfioui précise que les armes sont acheminées par avion alors que les munitions le sont par bateau : «nous adressons une demande d’importation à la Direction générale de la sûreté nationale via le gouverneur après enquête de la police. Le processus est bien huilé».

Il faut préciser qu’au Maroc, un chasseur ne peut chasser qu’avec le fusil dont le numéro figure sur son permis de chasse. C’est cette restriction qui constituerait, selon Abdelmalek Laraïchi, président de l’Association des organisateurs de chasse et de pêche touristiques du Maroc, l’une des contraintes que subit la chasse touristique : «la réglementation marocaine n’autorise pas les organisateurs à mettre des armes de chasse à la disposition des touristes venus sans armes, soit parce qu’ils répugnent à les transporter, soit parce que les compagnies aériennes refusent de les transporter. Les pouvoirs publics ont été saisis, auprès desquels on souhaite des mesures d’assouplissement», confie le président de cette association, crééeil y a une vingtaine d’années et qui regroupe aujourd’hui 34 adhérents.En plus d’être une passion et un sport, la chasse est aussi une niche économique. Sur ce chapitre, le Haut Commissariat aux eaux et forêts et de la lutte contre la désertification note une augmentation des recettes de 8% par rapport à la saison précédente (2011-2012), avec un niveau de 32 828 178,64 de DH provenant essentiellement des redevances versées par les associations de chasseurs et les droits de permis de chasse.

Une passion, un sport et une niche économique

La chasse touristique, à elle seule, par l’entremise des 3 000 touristes-chasseurs qui ont séjourné au Maroc la saison écoulée, a généré 60 millions de DH et permis de produire 400 000 journées de travail. Cependant, et à l’image des autres secteurs économiques ayant subi les effets de la crise financière qui sévit en Europe, la chasse touristique a subi le contrecoup de la conjoncture : «la crise économique a touché notre secteur, comme tous les autres au Maroc, en plus du problème de vieillissement de la population des chasseurs étrangers et du manque d’engouement des jeunes pour la chasse», reconnaît Abdelaziz Mesfioui, également directeur général délégué de Sochatour, société de chasse et de pêche touristique, créée en 1980. Ce problème de renouvellement des chasseurs en Europe, principal marché émetteur de touristes, est en partie dû à la baisse du nombre de chasseurs en raison de la pression exercée par les militants écologistes.

Basé à Marrakech, Jean-Charles Puech, de la société Chasse Passion, dit avoir arrêté la pratique de la chasse pour plusieurs raisons dont la cherté du séjour et la sécheresse ayant sévi au Maroc lors de la dernière décennie et dont aurait souffert le gibier.Pour s’adonner à leur sport favori au Maroc, les touristes ont un large choix de formules. Les tarifs ainsi que les prestations sont variables. À titre d’exemple, Jawad Chwikri, directeur de la société Comatour, entreprise sise à Sidi Kacem, facture à près de 9 000 DH les 3 jours de chasse en demi-pension. Chez d’autres opérateurs, ces tarifs peuvent dépasser 14 000 DH. Ces montants, précisons-le, couvrent également les prestations administratives telles que l’établissement d’un permis de chasse touristique marocain, valable toute l’année cynégétique du 1er octobre à fin août, précise Abdelaziz Mesfioui. Il faut également établir un permis de port d’armes, une licence et une assurance de chasse. Une autorisation d’importation d’armes est valable un mois. Dépassé ce délai, l’arme est saisie à la frontière marocaine. 

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