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«La loi sur la défense commerciale est exempte de toute tentative de protectionnisme»

«Tous les pays, surtout développés, ont activé depuis longtemps l’instrument de la défense commerciale pour remédier à une concurrence déloyale à l’importation ou à un flux massif des importations, ce qui est légal en droit international, pourquoi alors priver notre pays de cet instrument ?» s’interroge Nabil Boubrahimi, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Ibn Toufail de Kénitra et spécialiste en Commerce international. Considérant la loi relative aux mesures de défense commerciale comme une avancée certaine, il estime toutefois qu’un changement est nécessaire dans la structure ou l’autorité qui veillera à son application. Aujourd’hui, la taille et les moyens humains et techniques dont dispose la structure chargée d’administrer ces mesures nécessitent un renforcement pour accomplir efficacement la mission prévue par la loi, entre autre, le bon déroulement des enquêtes, note-t-il.

03 Avril 2013 À 14:59

Le Matin ÉCO : Le Maroc s’est doté d’une loi sur la défense commerciale. Y avait-il un vide juridique qui la justifie et qu’est-ce que ce texte apporte de nouveau ? Nabil Boubrahimi : Effectivement, il n’y avait pas de vide juridique en matière de défense commerciale étant donné que la loi 13-89 relative au commerce extérieur a abordé ces mesures au niveau de ses paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 15 ainsi que des articles 22 à 30 de son décret d’application. Ces dispositions de la loi 13-89 restent embryonnaires par rapport au cadre multilatéral et ne détaillent pas les procédures et les déterminations liées à cet instrument notamment en ce qui concerne le champ de définitions des concepts, les méthodes de calcul des prix, des marges de dumping et du montant de la subvention, l’évaluation des dommages, ainsi que les procédures d’enquête. Cette loi 13-89 reste incomplète et très abrégée puisqu’elle a été élaborée avant la conclusion des accords de Marrakech créant l’OMC et de ce fait n’a pas pris les dernières versions des accords multilatéraux relatifs aux mesures de défense commerciale, représentant le soubassement juridique à ce sujet pour les 157 pays membres. L’adoption des dispositions multilatérales et les leçons tirées de l’expérience de mise en œuvre de la loi 13-89 ont milité en faveur de l’élaboration d’un nouveau cadre juridique relatif aux mesures de défense commerciale. Ainsi, dans le cas de la céramique et du contreplaqué, la Commission consultative des importations (autorité chargée des enquêtes) s’est référée directement aux textes de l’OMC compte tenu de l’absence des règles de fond et des règles de procédures dans l’ancienne loi 13-89. Aussi, il était nécessaire d’adapter les exigences de l’OMC à la réalité marocaine ainsi que de prendre en considération l’évolution du contexte des échanges internationaux. C’est pour ces raisons que le département du Commerce extérieur a élaboré la loi 15-09 relative aux mesures de défense commerciale, en s’inspirant des dispositions de l’OMC en vigueur, pour détailler davantage et justifier toute décision ou mesure prises, ou en termes purement juridiques, les droits et obligations de chacun des intervenants dans le processus d’une affaire depuis le dépôt de la requête jusqu’au la mise en œuvre des mesures définitives de défense commerciale, chose qui n’était pas possible dans le cadre de la loi 13-89 relative au commerce extérieur.

Que pensez-vous de cette loi ?Je pense que la loi n° 15-09 relative aux mesures de défense commerciale a l’ambition d’une refonte globale du cadre réglementaire des mesures commerciales correctives conformément aux engagements internationaux du Maroc et en tenant compte, dont des dispositions adoptées à l’OMC. Je pense qu’elle est indispensable dans le contexte actuel où le Maroc a conclu plusieurs accords de libre-échange, car elle permettra au tissu productif national de se prémunir du faux jeu de la concurrence. Au-delà d’un système national de défense commerciale non complet, plusieurs requêtes initiées par des branches productives nationales sont restées inachevées à cause de la méconnaissance des droits et des obligations justifiant le déclenchement de ces mesures.Sauf que cette loi, à mon avis, nécessite un changement dans la structure ou l’autorité qui veillera à son application. Aujourd’hui, la taille et les moyens humains et techniques dont dispose la structure chargée d’administrer ces mesures nécessitent un renforcement pour accomplir efficacement la mission prévue par la loi notamment le bon déroulement des enquêtes.Il convient de noter aussi que la loi relative aux mesures de défense commerciale demeure, globalement, conforme aux dispositions multilatérales en la matière et constitue, à cet égard, une avancée certaine. Le changement introduit à la suite de son entrée en vigueur est, d’ailleurs, plus adapté aux dernières évolutions des pratiques internationales ce qui lui permettra d’éviter la connotation d’envie à un retour à des systèmes déguisés de protectionnisme à travers l’usage d’une manière plus claire des mesures de la défense commerciale uniquement à des fins de préservation des équilibres extérieurs. Ce qui est intéressant aussi dans cette loi, c’est la création de la Commission de surveillance des importations dont la mission vise à statuer sur les décisions quant aux mesures de défense commerciale qui seront appliquées et les enquêtes qui seront menées.

Après l’entrée en vigueur de cette loi, on assiste à un foisonnement des demandes de protection contre la concurrence déloyale des importations (importations massives, dumping…). Est-ce que cela signifie que la production nationale était mal protégée par le passé ou que certaines branches de production nationale voudraient profiter de cette loi pour avoir une protection injustifiée ?Je pense que l’entrée en vigueur de la loi permettra de renforcer le cadre juridique et je ne pense pas qu’elle serait une manière de masquer le manque de compétitivité pour instaurer une protection injustifiée. Car, premièrement, les mesures de défense commerciale sont des mesures commerciales correctives, c’est-à-dire appliquées en cas de concurrence déloyale à l’importation à savoir l’importation d’un produit en dumping ou bénéficiant d’une subvention (mesures anti-dumping et mesures compensatoires) et en cas d’accroissement massif des importations d’un produit (mesures de sauvegarde). Deuxièmement, ces mesures ne sont appliquées que pour supprimer un dommage causé à l’industrie nationale d’un produit similaire au produit importé, alors, qu’il ne faut, absolument, pas confondre avec le protectionnisme injustifié. D’ailleurs, cet instrument est l’un des principes fondamentaux de l’OMC en l’occurrence le principe de la concurrence loyale qui vise à encourager le commerce libéral et la concurrence loyale entre les pays. Il est à signaler que les pays développés, à savoir les États-Unis et l’Union européenne, sont les pays qui appliquent le plus ces mesures d’après les dernières statistiques de l’OMC quant à l’usage de ces mesures. Le Maroc comme tous les membres de l’OMC a vu nécessaire d’avoir une loi qui cadre ce domaine afin de profiter, d’une manière plus efficace, de ces instruments au moment où notre marché commence à sentir les effets de l’ouverture. Et suite aux exigences de transparence de l’OMC, chaque pays est appelé à notifier toute décision ou mesure prise dans ce cadre afin de donner l’occasion aux autres pays membres de l’OMC, en général exportateurs du produit concerné par une mesure corrective, de déposer leurs commentaires ou demandes d’explications à laquelle il convient de répondre. Tous les pays, notamment développés, profitent depuis longtemps de cet instrument pour remédier à une concurrence déloyale à l’importation ou à un flux massif des importations chose qui est légale en droit international, pourquoi alors priver notre pays de cet instrument ?

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