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«Le psychologue du travail intervient en tenant compte du principe de la singularité de chaque organisation»

25 Mai 2013 À 15:52

Le Matin Emploi : Quelle place occupe la psychologie du travail dans le monde de l’entreprise au Maroc ?Reda Mhasni : Bien que la psychologie du travail au Maroc trouve ses origines durant la première décennie post-indépendance, elle peine encore à trouver la place qui lui revient de fait, aussi bien dans les départements universitaires que dans la cité industrielle. En effet, repérer un psychologue du travail dans l’organigramme d’une entreprise marocaine revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Nonobstant qu’un nombre considérable de cadres en ressources humaines sont formés, voire même diplômés en psychologie, ils sont souvent nommés responsables de recrutement, de formation ou encore de communication. Ils exercent des fonctions de ressources humaines peu ou prou relatives à leur formation initiale, et de fait, bien éloignées de l’action sur la santé au travail et son organisation. Assurément, la définition du terme «travail» est intimement liée au champ d’action de ce dernier. Si pour les économistes c’est un rapport salarial, pour les sociologues c’est un rapport social ou une activité de production. La psychologie du travail nous apprend, quant à elle, que le fait de travailler est un ensemble de gestes, de savoir-faire, un engagement du corps, la mobilisation d’une intelligence, la capacité de réfléchir, d’interpréter et de réagir à des situations. Autrement dit, un certain mode d’engagement de la personnalité pour faire face à une tâche encadrée par des contraintes matérielles et sociales.

Quels sont les apports majeurs de l’application de la psychologie au travail ?Le psychologue du travail intervient en entreprise en tenant compte du principe de la singularité de chaque organisation ; c’est du cas par cas ! Aucune organisation n’est identique à l’autre, et pour cela l’action du psychologue du travail est articulée en fonction d’un état des lieux. Les entreprises au Maroc font appel aux psychologues du travail pour diverses missions touchant à l’ingénierie de la formation, à l’évaluation individualisée et collective des performances, à la mobilité interne, à l’identification et rétention des talents ou encore pour le out-placement.Quand la santé du corps est essentiellement liée aux conditions de travail physiques, chimiques et biologiques, les conditions sont le champ d’action de la médecine du travail et de l’ergonomie. La santé mentale au travail dépend alors de l’organisation du travail, et c’est précisément là où le psychologue du travail devrait agir, en pensant le travail en termes de procédés à améliorer en vue d’obtenir de meilleurs résultats, et en agissant en faveur de la santé mentale au travail, c’est-à-dire, analyser en profondeur l’organisation du travail en identifiant les conditions qui seraient favorables à la santé mentale des employés et inversement.Une restructuration des effectifs, un licenciement ou un accident mortel d’un collègue au sein de l’entreprise, voire même un acte aussi banal et courant qu’une rétribution jugée inéquitable par les pairs, pourraient être ressentis comme un événement brutal chez les collaborateurs, et entraineraient des conséquences considérables, tant en termes de souffrance humaine que de ralentissements de la performance économique et organisationnelle des équipes concernées.Dans l’urgence, selon l’Observatoire national des arts et métiers de France, 48 heures après l’événement critique, une personne sur trois pourrait développer des symptômes conduisant à des troubles importants et parfois durables de la personnalité, de la relation avec autrui et de la santé, donnant lieu à des répercussions directes sur l’activité professionnelle et dans la vie privée. Ce qui entraînerait une augmentation des retards, de l’absentéisme, des accidents et des maladies. Progressivement, un désengagement à l’égard de l’entreprise s’installerait et, à terme, une importante diminution de la performance prendrait place au sein du groupe.La fonction du psychologue du travail dans ce cas de figure serait de réfléchir et développer des dispositifs d’écoute et d’interventions psychologiques destinés à répondre aux besoins des employés/collaborateurs.

Quels sont les moyens d’évaluation utilisés par le psychologue du travail ?Les principaux moyens d’évaluation du psychologue du travail s’articulent autour des entretiens, les tests psychologiques et les PV de simulation professionnelle ou des exercices de dynamique de groupe. Cependant, ces techniques d’évaluation ne se réduisent pas à informer l’entreprise sur les potentielles aptitudes d’un candidat en vue de le recruter ou de le remercier, mais le psychologue du travail met à la disposition de l’entreprise ses outils d’évaluation afin de l’accompagner sur l’ensemble de ses besoins accrus en termes d’évaluation des personnes. Évaluer pour fidéliser les talents, développer les compétences managériales pour fédérer les équipes, orienter en menant un bilan de compétences, en construisant un projet professionnel afin de révéler le potentiel de chacun de ses collaborateurs, ou encore évaluer pour prévenir sur les risques psycho-sociaux.

Quels sont les principaux facteurs psychologiques qui peuvent affecter les comportements professionnels dans les entreprises et les organisations ?Selon Christophe Dejours, psychologue du travail et chercheur au CNRS, l’évolution contemporaine des formes de l’organisation du travail et du management repose sur des valeurs qui induisent précisément au sacrifice de la subjectivité au nom de la rentabilité et de la compétitivité.Alors que l’essentiel du travail relève de la subjectivité, la nouvelle forme de l’organisation du travail fait appel à la concurrence entre les personnes, les équipes et les services. La concurrence généralisée entre les agents et la précarisation des formes de l’emploi conduisent au développement de conduites déloyales entre pairs et à la ruine de la solidarité. Cette dernière étant indispensable dans tout travail d’équipe. Si le travail peut générer le pire, pousser certains salariés à la dépression, à l’abandon, voire au suicide, il pourrait aussi générer le meilleur et être un levier puissant dans la construction de la santé. Alors pourquoi la situation tourne-t-elle au bonheur ou bascule-t-elle dans le cauchemar ? Quel rôle peut jouer le psychologue du travail pour corriger les dysfonctionnements ?Le rôle du psychologue du travail ne pourrait se réduire à celui de l’excellent technicien, examinateur ou directeur d’entretiens, dans lequel il est souvent relégué. Son action ne se limiterait pas à s’axer sur l’application aveugle des dispositifs, mais il devrait porter une réflexion sur la politique en matière de recrutement et d’évaluation du personnel et de fait, il a une fonction de contrôle des dérèglements observés. Ceci dit, le psychologue du travail, par sa manière de penser le travail, participe activement à rapprocher les discours, souvent antagoniques, des différentes composantes de l’organisation, administration, collaborateurs et syndicats. Le psychologue du travail est alors un scientifique qui développe des dispositifs tout en considérant la réalité économique ; un communicateur qui informe, explique, justifie l’usage de procédures qui sont, par leurs nouveautés, régulièrement non acceptées, car souvent mal comprises. Pour toute organisation, afin d’atteindre ses objectifs et faire face aux contraintes externes et internes, cela ne nécessite nullement l’obéissance aveugle et la soumission de ses collaborateurs, mais leur intelligence, leur savoir-être et donc leur subjectivité pour surmonter des situations compliquées, des dysfonctionnements et anomalies qui sont foncièrement imprévisibles. Dans cette situation de conjoncture internationale, où les entreprises marocaines et celles implantées au Maroc sont mises à l’épreuve en permanence pour faire face à la pénurie des ressources matérielles, elles gagneraient à faire appel aux psychologues du travail pour réaménager intelligemment l’organisation du travail, de sorte qu’elle soit propice à la réalisation des projets des femmes et des hommes qui constituent la vraie richesse des entreprises. L’État à son tour devrait s’intéresser à la question de la santé mentale au travail, que ce soit dans le secteur public ou privé, en menant des études statistiques précises – au-delà des initiatives individuelles de quelques spécialistes du sujet – afin de porter un diagnostic fiable et élaborer une réponse adaptée aux besoins des hommes et des femmes qui enrichissent ce pays.

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