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«L’entreprise a besoin de cerveaux capables d’imagination»

L’Association nationale des gestionnaires et formateurs des ressources humaines (AGEF) a organisé le 26 novembre à Casablanca, en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer, un diner-débat sur l’adéquation entre la formation et l’emploi au Maroc. Abdellah Chenguiti, DRH de Sews Cabind Maroc et vice-président de l’AGEF dresse le compte rendu
de cet événement.

Abdellah Chenguiti.

30 Novembre 2013 À 16:49

Le Matin Emploi : Qu’est-ce qui a motivé l’organisation du diner-débat sur l’«Adéquation formation emploi», le 26 novembre dernier à Casablanca ?Abdellah Chenguiti : Comme vous le savez, l’adéquation formation emploi vise à faciliter l’insertion des jeunes diplômés sur le marché du travail et les préparer à jouer pleinement leur rôle en tant qu’acteurs du processus de développement de notre pays. Elle a aussi pour finalité de réduire le chômage à travers l’amélioration de l’employabilité des diplômés. Cette adéquation suppose que la formation professionnelle soit liée au marché du travail dans une logique de réponse aux demandes de compétences des entreprises et non une logique d’offre de formation déconnectée des besoins du marché. L’évènement organisé par l’AGEF se veut une modeste contribution à la réflexion sur la problématique de l’inadéquation formation – emploi, qui est aujourd’hui au cœur du débat national sur l’efficacité de notre système d’enseignement et de formation. Les constats sont alarmants. Alors que plus de 20% des ressources publiques sont consacrés au secteur de l’enseignement et de la formation et malgré le nombre impressionnant de diplômés déversés annuellement sur le marché du travail, l’entreprise marocaine n’arrive pas à recruter les profils dont elle a besoin et notre système éducatif ne répond que partiellement aux besoins de l’économie.Les chômeurs diplômés représentent 75% de la population active en chômage en milieu urbain. Le taux d’insertion est légèrement meilleur pour les formations de niveau intermédiaire (techniciens), mais notre système éducatif ne délivre pas en quantité suffisante des lauréats de ce niveau, qui n’attire que 9% des bacheliers. Par ailleurs, les taux de redoublement et d’abandon dépassent les 40%.

Quelle sont les conséquences de l’inadéquation entre la formation et les besoins de l’entreprise ?L’inadéquation structurelle entre formation et emploi explique une part importante du chômage des jeunes, mais aussi de sous-emploi de ceux qui arrivent à trouver du travail. C’est le cas par exemple des techniciens bac+2, voire des bac+4, qui acceptent un emploi d’ouvrier. Pour éviter cette dévalorisation de leurs diplômes, les jeunes prolongent la durée de leurs études afin d’augmenter leur probabilité d’emploi. Cette situation entraîne une «course aux diplômes» et une croissance des titres bien supérieure à celle des emplois offerts.Le phénomène d’inadéquation s’explique en partie par le fait que la formation initiale est aujourd’hui réalisée sans contribution significative des opérateurs économiques, notamment pour la conception des programmes correspondant à leurs besoins. Les formateurs n’ont souvent pas de vécu professionnel et les lauréats n’ont qu’une connaissance limitée du monde de l’entreprise. Ceci dit, des initiatives louables sont menées par le gouvernement : l’approche par compétences et la contextualisation des apprentissages permettent de faire en sorte que l’environnement de formation soit le plus proche possible du milieu professionnel et que les activités d’apprentissage soient développées en fonction de la pratique du métier. Il y a aussi la formule IDMAJ, principal dispositif d’insertion au Maroc, qui donne de bons résultats : 75% des chercheurs d’emploi bénéficiaires de ce système ont pu accéder à un emploi durable.

Quelles recommandations pour réussir cette adéquation ?Le débat organisé par l’AGEF a permis de dégager plusieurs recommandations. J’en citerais notamment : Le développement et la diversification des processus d’apprentissage et de professionnalisation ; la mise en place de nouvelles formes d’emploi (temps partiel, temps partagé…) ; la promotion d’un véritable partenariat entre le système éducatif et le monde des affaires, visant à intégrer l’apprenant dans le système productif et à faire en sorte que les filières de formation soient plus proches du terrain et puissent s’adapter aux changements qui s’y opèrent ; l’amélioration du système d’orientation ; La mise en place d’un système de formation - reconversion alternée (TAATIR) ; le développement de l’autonomie des centres de formation, à travers la création de centres à gestion concédée ou cogérée avec les professionnels et la mise en place d’un système de validation des acquis. Dans un monde où la concurrence s’intensifie, où les nouvelles technologies prolifèrent et où l’environnement économique se montre de plus en plus complexe et incertain, l’entreprise a moins besoin de «techniciens», de «spécialistes», que de cerveaux capables d’imagination, de créativité et d’adaptation à des situations changeantes. Elle cherche moins des diplômés qui reproduisent des techniques ou appliquent des outils que des collaborateurs en mesure de se remettre constamment en cause, de mener une réflexion, d’analyser des situations et de trouver des solutions. Nos écoles et universités se doivent d’être un lieu d’épanouissement de la personne et non de bourrage de crâne. Il faut développer chez l’étudiant l’aptitude à anticiper, à innover et à se remettre constamment en cause. Le Maroc du 21e siècle a plus besoin de têtes bien faites que de têtes bien pleines.La formation doit constituer une dimension essentielle du rapport de travail, celui-ci devant prendre la forme d’un contrat de travail formation. Car l’avenir appartient à ceux qui savent apprendre sans relâche. Ceux qui ont cessé d’apprendre sont armés pour vivre dans un monde qui n’existe plus. 

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