Entretien avec Jacques Lafitte, ancien pilote de Formule 1.
LE MATIN
27 Avril 2009
À 17:42
LE MATIN-SPORTS : En tant qu'ancien pilote, quelles seront les retombées du Grand Prix de Marrakech sur le sport marocain ?
Jacques Lafitte : Sans aucun doute, les retombées seront positives à la fois pour le Maroc, mais aussi pour son sport automobile. Depuis 1958, il n'y a pas eu de course au Maroc. Le WTCC est une très jolie course avec de très belles voitures très performantes et de grands pilotes qui pourront presque faire de la formule 1 ou 3. Le Maroc et Marrakech en particulier vont tirer de ça une belle promotion puisque l'événement sera retransmis dans beaucoup de pays et couvert par de nombreux organes de presse étrangers. Race of Morocco sert également à promouvoir les voitures auprès d'un public assez jeune qui va peut-être s'y mettre. Personnellement, je suis ravi qu'une étape parmi les 12 programmées au championnat du monde WTCC se déroule ici à Marrakech, qui est un endroit formidable avec l'Atlas comme toile de fond ; et surtout j'espère qu'il découlera de cette course un circuit automobile permanent ici ou dans une autre ville. C'est avec ce genre de course que le sport automobile marocain va se développer. Et puis, le Maroc se doit d'avoir un circuit automobile.
Que faut-il faire pour rendre Race of Morocco une étape incontournable des championnats du monde tous les ans ?
Il faut d'abord assurer le succès de la première édition qui se déroulera à Marrakech au mois de mai prochain en organisant parfaitement l'événement. Je suis sûr que Stéphane Roux qui s'est occupé de la coupe Porsche et les gens qui l'entourent sont assez compétents. Ensuite, il y a le tracé du circuit qui doit être parfait. Je l'ai vu, il n'est pas mal. Le succès c'est bien accueillir la presse, les télévisions accréditées, les pilotes et les constructeurs. Je suis sûr que les pilotes sont ravis de venir dans un cadre formidable comme celui de Marrakech. Pour les constructeurs, c'est une occasion de faire la publicité de leur produit dans un pays où il y a de plus en plus de voitures.
Le circuit de Marrakech est urbain, quelle est la différence entre un circuit urbain et celui permanent ?
La conduite est différente dans les deux circuits. Les pilotes aiment bien les circuits en ville parce qu'on roule sur des routes où la vitesse est limitée habituellement à 60, voire 80km/h sur des lignes droites ; mais là en pleine course, on va rouler à 250km/h.Le circuit urbain a aussi l'avantage d'être au cœur de la ville, donc il va amener beaucoup de monde à suivre la course, mais aussi être plus prêt des pilotes pour les encourager. La seule grosse différence, c'est la sécurité au niveau des zones de dégagements. Souvent en ville, on ne peut pas les faire vu la place qu'il y a, mais les endroits où on les fait sont larges ici en comparaison par exemple avec Macao où les pilotes roulent dans des endroits épouvantables. Marrakech, c'est plutôt un circuit champêtre plus qu'urbain.
Quel est le circuit le plus éprouvant ?
Le circuit urbain parce qu'il y aura beaucoup de freinage. Ici à Marrakech au mois de mai, date prévue de la course, il fait chaud et c'est un facteur qui jouera un rôle déterminant parce qu'il aura de grands freinages, des accélérations et j'espère une grosse courbe au bout. En tant qu'ancien pilote, je préfère les circuits urbains parce que c'est formidable d'avoir le public près de soi à la portée de main comme on dit. L'ambiance est tout à fait différente de celle des circuits classiques comme Manicoeur ou la Chine.
Pourquoi le WTCC est-il toujours à l'ombre de la F1 et du WRC ?
Malheureusement, la F1 bouffe tout. Moi, Je le regrette profondément. Ça me rend malade qu'on ne parle que de la F1. Ce qu'il faudrait c'est que le WTCC retrouve un peu d'audience que les courses seront retransmises n'ont pas uniquement sur Eurosport, mais sur d'autres chaînes beaucoup plus populaires. Le WTCC a un avenir parce que ça coûte beaucoup moins cher que la F1 et ce sont des courses magnifiques. Et la majorité des pilotes pourront faire facilement de la F1. En plus, le WTCC se développe un peu partout dans le monde la preuve, il vient au Maroc, l'année dernière il était au Brésil. Ils essayent de se diversifier pour en faire un circuit mondial.
Quelles sont les écuries favorites pour 2009 ?
Je sais que Seat, BMW, Chevrolet et autres ont de grandes chances. Je verrais bien un succès de Muller. Cette saison.
Le fait que le Maroc n'a pas un pilote dans l'une des écuries qui prennent part au championnat du monde WTCC ne constitue-t-il pas un handicap ?
Je sais que c'est vachement important d'avoir un pilote marocain qui court dans l'une des écuries. Je sais que les organisateurs de Race of Morocco sont en train de chercher un volant pour toute l'année à Mehdi Bennani, un pilote, très doué et qui a fait de la formule 3000. -------------------------------------------------------
Flash-back
Il était une fois le circuit de Casablanca…
Au début de l'indépendance, Casablanca a connu son heure de gloire en matière de sport automobile. Le circuit d'Aïn-Diab, conçu par le Royal Automobile Club du Maroc, a abrité la dernière étape du championnat du monde.
En 1958, il y a eu une grande nouveauté en Formule 1 (F1) : la « coupe des constructeurs », dans laquelle chaque marque inscrit les points de sa voiture la mieux placée lors d'une course. Mais ce n'est pas la seule. Suite au championnat 56, les changements de pilotes entraînent l'annulation des points marqués. Ensuite, la longueur des courses est ramenée de 500 à 300 km, et pour finir les voitures devront désormais rouler à l'essence. En ce moment, le Maroc s'était récemment doté d'une fédération de sport automobile. Dès sa création, l'instance fédérale met en place le «Grand Prix automobile du Maroc».
Disputé à l'origine sur le circuit d'Agadir et officiellement baptisé « Grand Prix d'Agadir », le Grand Prix du Maroc mettait aux prises des voitures de la catégorie Sport. Pour la saison 1957, les autorités marocaines construisent le circuit d'Aïn-Diab, à l'ouest de Casablanca, destiné à accueillir la Formule 1, les « 12 heures de Casablanca » et autres courses. L'année 1957 a ainsi connu l'organisation d'une course de Formule 1 hors-championnat au circuit d'Aïn-Diab à Casablanca. Conçu par le Royal Automobile Club du Maroc, ce circuit fut construit en seulement six semaines. L'année 1958, c'est aussi l'entrée de cette course de F1 en championnat du monde en 1958 en tant que dernière course du calendrier. A la Corniche, un circuit a abrité un grand prix de Formule 1.
Les plus grands champions de l'époque étaient au départ. Pendant ce temps-là, le Maroc, fraîchement indépendant, veut marquer sa présence dans le concert des nations. Et l'organisation d'un grand prix de Formule 1 avait pour but d'y contribuer. Mais 58, c'est également une lutte acharnée pour le titre depuis le début de la saison entre deux des pilotes les plus doués de leur génération : Stirling Moss et Mike Hawthorn. Au jour « J », l'ambiance est à son comble. La température agréable est accompagnée d'un air marin venu de l'Atlantique. Le public fut estimé à plus de 100.000 personnes, soit une belle performance pour les organisateurs. Pour sa part, la compétition fut très disputée.
Les revirements de situation en ont fait un grand parcours. Jusqu'à mi-course, l'outsider Stirling Moss a réussi un exploit en comblant le retard de 8 points qu'il avait sur le leader du championnat, Mike Hawthorn, devenant ainsi le temps de quelques tours, le nouveau Champion du monde. Mais la course est également marquée par le tragique accident de Stuart Lewis-Evans, qui, gravement blessé, décèdera quelques jours plus tard. Cette course ne sera toutefois pas reconduite. Il fallait attendre Octobre 1968 pour que le circuit de Casablanca accueille une course internationale.
Après de nombreuses compétitions annexes très animées par les pilotes locaux, se déroula une course de sport prototypes. Le plateau était principalement composé de l'écurie Alpine, venue de France pour un galop d'essai de ses magnifiques A220. Le Suisse André Wicky avait également fait le déplacement avec sa Porsche Carrera 10 (Porsche 910). Il y avait également quelques courses internationales en 1970 et en 1973. Mais depuis 1958, jamais le Maroc n'a pu organiser une grande compétition automobile de ce genre. Avec le GP de Marrakech, le pays fait un retour en force sur la scène automobile internationale. Rachid Abbar