«Il manque trois joueurs au Raja pour être champion»
LE MATIN
01 Novembre 2011
À 10:51
Matin Sports : Dans quel état vous avez trouvé l'équipe du Raja quand vous l'avez prise en main ?
Bertrand Marchand : Je pense que le Raja a une bonne équipe et des joueurs intéressants. Malheureusement, l'effectif n'est pas équilibré. C'est pour cela que le début de saison de l'équipe a été difficile. Quand on négocie mal les mois de mai et de juin, en général la saison est difficile. Je pense que le problème du Raja est là. Quand on fait 12 matchs comme c'est le cas actuellement avec trois entraîneurs différents et qu'on ne marque que deux buts quelque part le problème ne vient pas seulement que des entraîneurs. Vous dites donc que le Raja est en train de payer sa mauvaise préparation d'avant-saison ? Ce n'est pas la mauvaise préparation d'avant-saison. Je trouve que pour un club comme le Raja, l'effectif est déséquilibré. Il n'y a pas d'arrière gauche du métier. Il y a eu aussi le problème de Zakaria Zerouali qui a pesé sur l'effectif, mais c'est un autre problème. Il n'y a pas non plus d'équilibre dans le secteur offensif. Le Raja doit posséder un attaquant qui pèse sur les défenses et qui fait la différence. On dit toujours que les grands attaquants sont dans des grands clubs. Et aujourd'hui, j'ai vu de bons joueurs devant au Raja, mais pas d'attaquants capables de faire la différence et de peser sur une défense. Quand on est au Raja ou au Wydad qui sont les deux grands clubs historiques du Maroc, on est forcément attendu par tout le monde et les équipes viennent à Casablanca pour faire un (0-0) et si on n'a pas des joueurs offensifs capables de faire la différence, ça devient compliqué. Je compare un peu au Wydad, un journaliste un jour a écrit que j'avais dit qu'à part Fabrice, le Wydad n'a pas grand monde. J'avais dit que Fabrice est un plus qui permet au Wydad de faire la décision dans les moments difficiles. Quand on est au Raja ou Wydad, on a beau avoir une bonne équipe, on a beau pratiquer un bon jeu, dominer les adversaires, mais marquer des buts ça ne s'invente pas, c'est un talent. Je vois dans toutes les équipes du Maroc de bons attaquants, mais ce sont généralement des attaquants étrangers.
Vous pointez du doigt donc le problème de recrutement effectué par le club ?
Quand je suis arrivé en Tunisie, j'avais fait la même réflexion. Je suis arrivé en cours de saison et j'ai dû travailler avec l'effectif que j'avais trouvé à cette époque-là parce qu'on ne peut pas changer en cours de saison. Et quand, j'ai pu faire l'équipe au mois de mai et juin, ce n'était plus la même équipe. On a passé de la petite équipe d'un grand club à une grande équipe d'un grand club. Je pense que quand on est dans de grands clubs comme le Raja, le Wydad, l'Espérance de Tunis ou le Club Africain, on peut trouver de bons joueurs, ce n'est pas compliqué. C'est toujours possible de faire venir de bons joueurs au Raja que dans un petit club marocain sans vouloir manquer de respect à aucun club.
Est-ce là un appel que vous lancez à la direction du club pour renforcer l'équipe lors du mercato d'hiver ? Je pense que la direction du Raja est consciente de ce problème. Ça saute aux yeux. Quand j'ai discuté avec le président pour venir, c'était pour remettre en selle l'équipe du Raja et préparer la Ligue des champions prochaine en restructurant le groupe au mois de janvier. Il faut s'y atteler dès maintenant parce qu'entre le recrutement et la gestion des joueurs en fin de contrat, ce n'est pas évident. Le recrutement, ce n'est pas de prendre beaucoup de joueurs. Ce n'est pas la quantité qui fait la différence. Aujourd'hui, il manque trois joueurs au Raja pour être champion.
Dans quel secteur de jeu avez-vous besoin de ces joueurs ?
Il nous faut un latéral gauche, un joueur de côté du couloir et un attaquant qui pèse sur les défenses. On a de très bons joueurs offensifs intérieurs comme Salhi, Souari, Alloudi, koko, Bayela, Talhaoui, mais ce sont des joueurs offensifs intérieurs. Dans le football, il faut des joueurs de couloirs. Toutes les grandes équipes jouent en 4-3-3 avec un attaquant axial, et deux attaquants de côtés capables de faire la différence. Celles qui n'ont pas ces joueurs-là ne sont plus des grandes équipes. Quand vous regardez, Barcelone, Real Madrid, Manchester United, Milan AC, ces équipes jouent avec un attaquant qui pèse et qui peut faire la différence à tout moment et des joueurs du côté capables de déstructurer une défense. Nous aujourd'hui, on n'a pas vraiment le potentiel pour déstructurer une défense adverse. Ceux qui sont passés avant moi ont dû faire le même constat. C'est un problème plus d'effectif qu'autre chose. Lors du match contre Al Hoceima et Agadir, on a eu à chaque fois une possession de balle de 70% mais on n'arrive pas à marquer. Je trouve que nous avons fait un match intéressant, solide à Agadir et à part une ou deux fois l'équipe d'Agadir n'a pas pu nous inquiéter. Ce match-là avec quelqu'un qui peut peser et qui peut emmener l'équipe 20 mètres plus haut, on l'aurait gagné.
Est-ce que vous avez des noms qui pourraient éventuellement vous intéresser et qui sont en mesure de venir renforcer l'équipe lors du mercato d'hiver ?
Non je n'ai pas de noms, mais j'ai la chance d'avoir des amis dans toute l'Afrique. Les clubs marocains, tunisiens ou algériens ne peuvent pas faire venir des joueurs d'Europe. Au Maroc, sur le plan local, il n'y a pas de grands attaquants sinon Gerets en prendrait pour l'équipe du Maroc. Imaginez, Gerets qui joue avec des attaquants locaux, l'équipe du Maroc n'ira pas à la CAN. Quand on voit le match contre la Tanzanie à Marrakech, il y a Chamakh, Taarabt, Essaidi et Boussoufa en numéro 10 ; si à leur place on met des attaquants locaux qui ont de la qualité et du potentiel mais qui n'ont pas encore la préparation technique de l'Europe, ça ne sera pas la même équipe du Maroc. Moi j'ai fait l'expérience avec l'équipe de Tunisie. J'ai fait six matchs avec la Tunisie. Lors des quatre premières rencontres où je pouvais avoir des joueurs tunisiens évoluant en Europe, on a marqué 16 buts. On a gagné 6-2 au Soudan, 4-2 au Tchad, on a gagné 2-1 au Togo, on a fait (2-2) contre le Malawi et on a joué deux fois contre le Botswana et là c'était en dehors des dates FIFA et j'ai dû jouer avec des joueurs locaux et on a perdu deux fois sur le score de (1-0). Le président de la fédération tunisienne m'a ensuite demandé pourquoi on ne marque pas de but ; je lui ai répondu que les attaquants ne sont pas les mêmes. Je sais que pour avoir une bonne équipe, ça demande du travail, mais je pense que le Raja a de bons joueurs et un très bon effectif. Il ne faut pas recruter en quantité, mais en qualité et par rapport à des postes essentiels.
Dans l'effectif actuel, il y a des noms dont vous n'avez plus besoin ?
Non. Pour l'instant, le Raja a besoin de tout le monde. On a un championnat long. On a un effectif qui est ce qui l'est, mais qui manque de l'agressivité offensive. Des joueurs comme Salhi, Souari, Alloudi et autres doivent être plus agressifs et se remettre dans un contexte de jeu offensif agressif parce que le jeu offensif demande de l'agressivité et les défenseurs au Maroc sont de qualité même dans des petits clubs. J'ai vu Agadir qui est dernier, mais qui a des défenseurs de qualité. En Tunisie quand on joue avec une équipe faible même avec des attaquants moyens on peut s'en sortir, au Maroc ce n'est pas le cas. Le championnat est beaucoup plus dense. Quand on a joué Al Hoceima, on a dominé mais les Hoceimis ont un attaquant qui nous a beaucoup gênés. El Jadida que j'ai vu joué à la télé a Karl Max. J'estime que mon groupe est sain et costaud. Je suis même étonné de la maîtrise technique du groupe. J'ai rarement vu un groupe qui a une maîtrise technique comme ça, mais ça ne suffit pas parce que devant il faut des joueurs déclencheurs. La semaine dernière, j'ai lancé Ouakili qui a de la vitesse et de la percussion et qui a un potentiel en devenir, il a été l'un des meilleurs attaquants du match contre Agadir.
Vous dites que le Raja manque d'attaquant déclencheur ; pourtant, le club a recruté Belaâmri, il est passé où ce joueur ?
Pour l'instant, je ne l'ai pas beaucoup vu parce qu'il a été blessé. Il a un problème d'adaptation. Belaâmri a un potentiel ça c'est certain, mais je sais par expérience que ce n'est pas facile de passer d'un club moyen à un grand club. Ce n'est pas facile de jouer au Raja ou au Wydad comme ce n'est pas facile de jouer à l'Espérance de Tunis ou au Club Africain. Il y a une pression supérieure. Quand on recrute, je préfère recruter un joueur espoir de 18 ou 20 ans de manière à le transformer et lui faire apprendre la culture du Raja. Un joueur qui a évolué 10 ans à Tétouan ou à Meknès n'a pas une façon d'appréhender les matchs qu'un joueur du Raja, c'est différent. Quand on a joué longtemps dans d'autres clubs et par la suite on arrive au Raja, ce n'est pas facile de se mettre dans la peau d'un Rajaoui.
Est-ce que les joueurs du Raja après la mort de Zerouali ont eu un suivi psychologique ?
Je pense que les joueurs ont bien réagi même si c'est leur ami qui était parti. Je pense qu'il n'y a pas eu de choc psychologique négatif. Les joueurs ont bien assumé.
Est-ce que vous ne pensez pas que le Raja a un problème de gardien de but ?
Je ne pense pas. Au Maroc, il y a un grand gardien qui s'appelle Lamyaghri et qui est l'un des rares joueurs locaux à être titulaire en équipe nationale. Je le compare à El Hadrdi en Egypte ou Ali Boumnejel en Tunisie. C'est un gardien qui donne de l'assurance à son équipe. Mais après, il y a 10 gardiens qui sont bons. Nous, on a des gardiens dans cette zone-là. J'ai fait deux matchs avec Tarek Jermouni et je n'ai pas de problème avec lui. C'est un bon gardien. Au niveau défensif, on a toujours une meilleure défense même si on cherche toujours un défenseur latéral gauche. Au milieu de terrain, on a Bayela, Talhaoui, Ouhaki, Souari c'est intéressant et en attaque on a des joueurs qui ne sont pas tous à leur meilleur niveau physique et qui manquent de confiance.
Est-ce que vous pensez que le titre est encore jouable ?
Absolument. Ce n'est pas encore perdu. Avec un bon recrutement, on pourrait prétendre même si on a fait un mauvais départ.