27 Décembre 2012 À 16:47
Apparues il y a environ 120 millions d’années, les fourmis ont su mettre en place un système social qui n’a rien à envier à l’Homme : l’eusocialité. Chez elles, la division du travail est poussée à l’extrême. Les reines sont fécondes, les ouvrières, stériles, s’occupent du ravitaillement, de la défense ou maternent les larves. Les mâles, eux, ne sont sollicités qu’au moment de la reproduction. La capacité d’adaptation des fourmis résulte d’une communication olfactive exceptionnelle. Dans leur monde où le silence l’emporte sur le bruit, les phéromones déclenchent les activités concertées les plus variées : de la recherche de nourriture à l’alarme, en passant par les soins aux jeunes ou la reconnaissance des apparentés, tout est régi par la production d’informations chimiques. Chaque espèce a su s’adapter à son milieu. Elles ont inventé l’agriculture il y a 50 millions d’années, savent s’orienter chimiquement, topographiquement ou utilisent une boussole solaire quand les autres font défaut.
La reineOn la reconnaît facilement. Elle est plus grosse que les autres et possède un abdomen plus volumineux. En clair, la fourmilière possède une ou plusieurs reines chargées de la reproduction. Elles sont pourvues d’ovaires bien développés et disposent d’un réservoir particulier, la spermathèque, dans lequel elles stockent et conservent pendant des mois ou des années les spermatozoïdes après l’accouplement. Il est peu fréquent dans la vie animale que les spermatozoïdes restent vivants plusieurs années chez la femelle. On ignore encore largement les processus qui autorisent une telle conservation.Les ouvrières Plus petites, elles sont toujours aptères, c’est-à-dire dépourvues d’ailes. D’une manière générale les ouvrières les plus petites, les minors, s’occupent des tâches domestiques intérieures : soins et nourrissage des larves. Elles lèchent aussi ces larves pour les maintenir dans un parfait état de propreté. Ces mêmes ouvrières nourrissent la ou les reines. Les ouvrières médias sont chargées de la récolte alimentaire dans le monde extérieur. Elles transmettent la nourriture aux ouvrières minors. Quant aux ouvrières-majors, leur grande taille et leurs puissantes mandibules les prédisposent aux fonctions guerrières. Leurs mandibules peuvent percer la peau des petits vertébrés et éventuellement mordre cruellement des animaux de plus grande taille, Homme compris !Et les mâles ?Habituellement ailés, ils sont produits une fois par an. Leurs mandibules rudimentaires les rendent inaptes au travail. Ils dépendent totalement des ouvrières pour leur alimentation et quittent très vite leur nid de naissance pour s’accoupler. Ils meurent peu de temps après…
Les fourmis laissent derrière elles une piste chimique : les phéromones. Le retour au nid n’offre alors aucune difficulté. Il suffit de se fier à son «flair». L’hiver venu, cette piste chimique disparaît. Pourtant au printemps, les premières ouvrières qui sortent du nid se rendent directement à l’arbre exploité l’année précédente. C’est parce qu’elles ont mémorisé l’environnement de leur nid. Reste le cas des fourmis qui vivent dans des lieux désertiques. Les repères topographiques sont trop rares pour être utilisés. Lorsqu’une chasseresse sort du nid, elle part un peu à tâtons, parfois revenant sur ses pas. Elle peut parcourir 600 m en 20 min. La proie trouvée, l’ouvrière se dirige en ligne droite vers son nid qu’elle atteint en 5 ou 6 min. Privée de repères terrestres, l’ouvrière n’a pu se guider que sur des repères astronomiques dont le plus visible est le soleil. En d’autres termes, la fourmi du désert est capable de tenir un cap. C’est le principe de la navigation à la boussole. On a même pu démontrer que l’ouvrière tenait compte du déplacement apparent du soleil au cours de la journée. Elle décalera son trajet de retour de quelques degrés parcourus par le soleil lors du long trajet aller.
Le déterminisme du sexe chez les fourmis est très différent de celui que nous connaissons chez les vertébrés. Ici, pas de chromosomes X ou Y. La reine pond deux sortes d’œufs. Dans le premier cas, les œufs sont fécondés et possèdent deux jeux de chromosomes, l’un transmis par la reine, l’autre par le mâle. Ces œufs sont à l’origine de tous les individus femelles, qu’ils soient des reines ou des ouvrières. Dans le second cas, les œufs sont vierges. Ils ne contiennent qu’un jeu de chromosomes transmis par la mère. Ils sont à l’origine des mâles de la société. C’est donc la reine qui est responsable du sexe de ses enfants. Et pour les reines ?Faute de preuves, les chercheurs pensent que certaines larves ont un traitement particulier. Ainsi, pour qu’un œuf contienne une reine, on suppose que les ouvrières nourrices leur donnent une nourriture spécifique en quantité supérieure. D’autres hypothèses mettraient en cause les facteurs environnementaux. Outre la quantité et la qualité de l’aliment donné aux larves, on peut aussi suspecter la température subie par les larves soumises ou non à une hibernation…
Une nouvelle fourmilière ne sera constituée que d’ouvrières, et ceci durant plusieurs années. Cela lui permet d’étendre son domaine vital, de conquérir de nouvelles sources alimentaires au besoin en repoussant des sociétés concurrentes dont l’effectif est plus faible. Quand elle est assez peuplée, elle produit des reproducteurs mâles et femelles afin de disséminer un maximum de reines ailées susceptibles de fonder autant de nouvelles sociétés. Le nid de la fourmi rousseLes fourmis rousses des bois édifient leur solarium en entassant des aiguilles d’épicéa. Le dôme peut mesurer 1,20 m de haut. L’édifice est parfaitement climatisé. Le matin, les ouvrières pratiquent des ouvertures en déplaçant les aiguilles ce qui permet au soleil de réchauffer le nid. Ces ouvertures seront bouchées l’après-midi pour éviter la surchauffe.Les nids de la fourmi tisserandeDans les forêts africaines, cette espèce établit ses nids dans les arbres. Une même société possède des dizaines de nids qui occupent un ou plusieurs arbres. Ces fourmis très agressives confectionnent leur nid en réalisant un tissu de soie. Les ouvrières rapprochent et plient plusieurs feuilles pour réaliser une sorte de bourse. L’opération de tissage peut alors commencer. Une ouvrière-major s’empare avec ses mandibules d’une larve et effectue des va-et-vient entre deux feuilles. Chaque fois que la tête de la larve vient au contact d’une feuille, une goutte de soie est émise qui adhère à la surface foliaire.
Quand on ne veut plus faire les corvées soi-même, il existe une solution : faire accomplir ces tâches par autrui ! Cette méthode de vie a été adoptée par les fourmis amazones qui au cours de l’évolution ont perdu la capacité à élever leurs larves et à rechercher leur nourriture. Les ouvrières sortent de leur nid et se dirigent vers une cible : c’est un raid de pillage. Parvenues aux environs du nid cible, elles dégagent l’entrée et s’y engouffrent. Les pilleuses ressortent quelques minutes plus tard en emportant des cocons. Ramenés au nid, ces derniers ne tardent pas à éclore, libérant de jeunes ouvrières du nid adverse. Nées dans un milieu inconnu, ces ouvrières se familiariseront avec leur nouvel environnement. Elles vont donc dérouler leur programme comportemental normalement en soignant d’abord les larves et la reine des amazones comme s’ils étaient de la même espèce. Plus tard, elles sortiront du nid pour chercher et ramener de la nourriture.
Chez les fourmis tropicalesEn chasse, l’ouvrière maintient ses longues mandibules ouvertes à 180 °. Lorsqu’elles heurtent une proie, elles déclenchent leur fermeture un peu à la manière d’un piège à loups. Le mouvement est si rapide qu’il ne demande que 0,13 milliseconde (plus vite qu’une balle de fusil). La proie ne peut s’échapper. Elle est écrasée ou transpercée. Si elle bouge encore, elle est achevée d’un coup d’aiguillon.Chez les fourmis nomadesLes raids de chasse sont impressionnants. C’est un véritable fleuve de fourmis, large d’une vingtaine de centimètres, qui coule dans la forêt tropicale s’éloignant du bivouac à la vitesse de 20m/h. Les fourmis de tête laissent échapper de la phéromone de piste qui guide les chasseuses de l’arrière. L’ensemble forme une sorte d’autoroute à quatre voies : les deux voies centrales sont réservées aux fourmis revenant vers leur nid chargées des proies capturées. Les ouvrières des voies extérieures se hâtent vers le terrain de chasse. Pour éviter de ratisser deux fois le même terrain, chaque raid est décalé d’environ 120 ° vers la droite ou vers la gauche par rapport au raid de la veille.
Chez l’Homme, la transition chasse-cueillette / agriculture s’est produite il y a environ 10 000 ans. Sait-on que l’agriculture a aussi été inventée par les fourmis champignonnistes… il y a 50 millions d’années ? Comme leur nom l’indique, les fourmis champignonnistes cultivent un champignon qui constituera l’essentiel de leur alimentation. Quelle est la raison de cette culture ? Les végétaux sont formés de certaines matières que les fourmis ne peuvent dégrader. Par contre, le champignon, lui, en est capable, car il possède les enzymes adéquates. Certaines espèces de fourmis en récoltent des quantités astronomiques à leur échelle. On estime qu’un seul nid récolte entre 85 et 470 kg de matière sèche par an. La fourmi champignonniste est une véritable agricultrice : elle fabrique le terreau nécessaire, sème, apporte des engrais, désherbe, applique des produits phytosanitaires et récolte.