L'enquête structurelle nationale sur le
niveau de vie des ménages de 2022, publiée en juin 2024 par le
HCP, révèle des dynamiques socio-économiques complexes au
Maroc. Malgré une amélioration générale des conditions de vie, des inégalités persistantes et des poches de pauvreté demeurent préoccupantes. Les ménages allouent une part significative de leur budget à l'alimentation, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux
fluctuations des prix des
denrées alimentaires.
En 2024, le
pouvoir d’achat au Maroc montre des signes de plus en plus préoccupants à cause d’une
inflation galopante qui semble échapper à tout contrôle. Cette inflation se fait particulièrement sentir dans les commerces, aussi bien urbains que ruraux, bien plus que dans les estimations théoriques des
prix à la consommation. La méthodologie de calcul de ces chiffres est basée sur des paniers de bien et de services avec des pondérations et donc ne peut capturer l'évolution exact des prix que constatent quotidiennement les ménages. Le ressenti commun est que la hausse est générale et concerne quasiment tous les produits et services, mais ce sont les produits alimentaires qui se distinguent cette année par leur flambée. Et la situation s’est aggravée durant cet été, à cause de l’affluence estivale, de certains problèmes d’offre, mais aussi à cause d’un esprit d’opportunisme. La viande de bœuf est à plus de 120 DH le kilo et le poulet vif à près de 30 DH le kilo, des hausses significatives comparées aux mois précédents.
L'
hyperinflation des produits alimentaires a un impact direct et sévère sur les ménages, en particulier les plus vulnérables. Leurs
habitudes de consommation sont rudement mises à l’épreuve car plusieurs produits deviennent inaccessibles. Par exemple, le beurre entre 100 DH et 120 DH le kilo et l’huile d’olive à près de 100 DH le litre sont devenus des produits de luxe, difficiles à s’offrir quotidiennement. De même, la
hausse des prix du poulet et de la viande rouge limite l'accès de ces ménages à des protéines animales, essentielles à une alimentation équilibrée. Aujourd’hui, même les ménages moyens sont dépassés par la cherté de la vie et le budget du panier quotidien se fait souvent au dépend des dépenses non essentielles, mais importantes pour le moral et l’économie, comme le voyage et les loisirs.
Outre la hausse des prix, la stratégie commerciale de
réduflation (Shrinkflation) fait aussi rage et elle consiste en une réduction des quantités des produits en gardant le même prix afin de préserver la marge commerciale. Parfois, on assiste à une combinaison de cette stratégie avec une hausse de prix afin de limiter l’inflation perçue.
Aujourd’hui les cafés et les restaurants lancent aussi et à juste titre une alerte, car ils devront revoir leurs prix à la hausse si rien n’est fait. Le marché risque de rentrer dans un cycle d’inflation à effet boule de neige qui peut menacer les équilibres des ménages ainsi que la paix sociale. En effet, les demandes de
hausses de salaires fusent, mais elles ne sauraient combler la pression de l’
envolée des prix. L’impact de l’
aide sociale risque aussi de perdre de sa consistance face à cette érosion accélérée du pouvoir d’achat. Cette roue infernale doit être stoppée afin de préserver l’optimisme social et laisser toutes ses chances au développement économique en cours.
Il est donc urgent de combiner les efforts afin d’atténuer les effets dévastateurs de l'hyperinflation et préserver les conditions de vie des ménages marocains. Dans ce sens, plusieurs stratégies peuvent être mises en œuvre de manière cohérente et concertée.
Tout d'abord, la
stabilisation des prix des denrées alimentaires est urgente et essentielle. Cela passe par un suivi rigoureux des filières et de la disponibilité des produits de base. Une surveillance renforcée permettrait de prévenir les pénuries et d'éviter les hausses de prix excessives dues à des comportements spéculatifs. Les autorités peuvent renforcer les mécanismes de
contrôle des prix afin de détecter et de sanctionner les abus des intermédiaires qui profitent de la situation pour augmenter artificiellement les prix. Cette démarche est parfaitement maîtrisée et déployée avec succès chaque année durant le mois du Ramadan. Il serait judicieux de généraliser cette politique au reste de l’année.
Par ailleurs, l'
augmentation des revenus des ménages, en particulier ceux des plus vulnérables, est une priorité. Pour ce faire, il est nécessaire de revoir les seuils d’accès aux programmes d'aide sociale afin de compenser l'augmentation du coût de la vie pour une large frange de la société. En outre, une réduction de la
pression fiscale sur les ménages à moyen revenu permettrait de préserver leur pouvoir d'achat. Une telle mesure serait un moyen efficace de redonner de l'oxygène aux budgets des ménages et de soutenir la consommation intérieure. Par exemple, les ménages en difficultés pouvaient se permettre un rachat partiel de l’épargne retraite, grâce à une retenue fiscale libératoire, mais maintenant ce n’est plus le cas. De même, les déclarations fiscales deviennent très compliquées pour les non-initiés et découragent souvent le recours à des activités de revenus complémentaires.
Sur un autre registre, l'
amélioration de la performance agricole est cruciale pour garantir une offre suffisante de produits avec des prix abordables. Cela nécessite la préservation des terres fertiles et cultivables qui sont menacées par l'urbanisation sauvage. Il est impératif de protéger ces exploitations pour assurer une production agricole durable. En parallèle, des investissements significatifs dans les infrastructures agricoles doivent être réalisés, mais avec des objectifs mesurables sur le panier du marocain. La finalité étant de réduire les coûts d’exploitation et les prix du marché final, grâce à une offre locale qui adopte une approche moderne et innovante. À titre de rappel le
Plan Maroc vert a bien réussi à développer les plantations des oliviers, mais le résultat actuel fait que le prix du litre d’huile d’olive a plus que doublé.
Il est vrai que la sécheresse a un impact non négligeable, mais il est important aussi de réguler et de contrôler l'exportation des produits agricoles afin de pourvoir en priorité au besoin du marché local. Le
Maroc étant un grand exportateur, il est essentiel de trouver un équilibre qui préserve à la fois l’autosuffisance et les opportunités à l'international. Une régulation adéquate garantirait que les produits de base restent disponibles et abordables pour la population marocaine avant d'être destinés à l'exportation.
Pour la filière ovine, il serait intéressant d’anticiper les effets de
Aïd Al-Adha sur les prix le reste de l’année. Le
gouvernement pourrait encourager de manière temporaire durant ces années de crise à éviter autant que possible le
rituel du sacrifice. Une telle mesure permettrait de rééquilibrer l’offre et la demande et contribuerait à baisser les prix, si elle est accompagnée de mesures incitatives pour les éleveurs. Enfin, il est important d’éviter la concentration de la maîtrise du marché par des acteurs qui finissent de facto par avoir un monopole, ce qui leur permet d’exiger des subventions publiques tout en imposant une hausse des prix aux citoyens.
Ces mesures ne sont pas exhaustives, mais elles peuvent contribuer à préserver le
pouvoir d’achat du Marocain et surtout éviter la
discrimination sociale des familles les plus vulnérables. En renforçant la résilience des ménages et en assurant une offre stable de produits alimentaires, le Maroc pourra atténuer les effets de l'inflation et favoriser une croissance économique inclusive et durable.
Dans un contexte de stress hydrique, d'affluence touristique, d'accords de libre-échange, ainsi que de développement démographique et économique, la maîtrise de l'inflation des produits alimentaires représente un enjeu crucial nécessitant une intervention rapide et soutenue de l'Exécutif, ainsi qu’un engagement solidaire de la part des acteurs économiques et industriels.