Chroniques

Tribune : Sexe, réseaux et chaos : plaidoyer pour une éducation sexuelle

Un malaise global entoure aujourd’hui le sexe. Quelque chose a basculé : repères brouillés, frontières floues entre libération et effondrement. Sur les réseaux, l’intime est exposé, la pornographie banalisée. Une question dérangeante s’impose : assistons-nous à l’émergence d’un nouvel ordre mondial sexuel, et que dissimule-t-il ?

12 Août 2025 À 15:43

Your browser doesn't support HTML5 audio

Au commencement : la sexualité primitive

Avant les religions et les lois, la sexualité humaine était instinctive, mais intégrée à l’ordre symbolique des communautés. Dans certaines sociétés, les unions multiples ou rituelles faisaient partie du lien social et spirituel. Loin du chaos, le sexe relevait d’un rituel encadré, souvent sacré.


L’intervention des religions

Avec les grandes religions monothéistes, la sexualité devient codifiée : réservée au mariage, rejetant adultère, inceste et homosexualité. Elle s’oriente vers la reproduction et s’accompagne parfois d’un sentiment de culpabilité. Mais cette régulation visait à protéger l’équilibre social et à canaliser le désir, élevé au rang du sacré dans certaines traditions mystiques.


La modernité : de la répression à l’émancipation

Le XXe siècle rompt avec la répression : Freud, Foucault, Simone de Beauvoir et les révolutions des années 1960 libèrent la parole sur le sexe. La jouissance devient un droit, les minorités sexuelles s’organisent, les femmes s’émancipent. Mais cette libération, en rejetant presque toute limite, introduit une nouvelle confusion.


L’époque actuelle : désordre ou hyperliberté ?

Aujourd’hui, les réseaux sociaux transforment le sexe en spectacle permanent. L’industrie pornographique prospère et banalise les contenus extrêmes – inceste simulé, domination, rapports avec mineurs – jusqu’à les rendre attendus. Les identités sexuelles se multiplient au point de diluer les repères, et l’humain disparaît derrière les étiquettes. Derrière cette apparente liberté se cache une structure organisée : l’industrie du sexe, parmi les plus puissantes au monde, façonne les normes, oriente les désirs et monétise les corps. Les plateformes – TikTok, Instagram, OnlyFans – diffusent des codes calibrés par les algorithmes pour capter l’attention.

Plus insidieuse encore est l’intrusion massive de la publicité sexuelle dans tous les espaces numériques. Sans la rechercher, l’utilisateur y est confronté : sites d’actualité, jeux gratuits, vidéos anodines, messages partagés. Bannières suggestives, images hypersexualisées et fenêtres surgissantes banalisent des représentations extrêmes, souvent violentes. Exploitant les failles des algorithmes, cette publicité franchit les filtres parentaux, brouille les frontières entre contenu informatif, ludique et sexuel, et transforme chaque espace numérique en terrain d’endoctrinement libidinal. Cette saturation visuelle cible particulièrement les jeunes, fragilisant leur rapport au corps et à l’intimité.


Un nouvel ordre sexuel au service d’un ordre global

L’hypersexualisation n’est pas qu’un phénomène culturel : elle sert un système économique et politique. Elle détourne l’attention des enjeux centraux, fragilise les liens sociaux et brouille les repères éducatifs et spirituels. Ce que l’on appelle «liberté sexuelle» devient parfois la façade séduisante d’un nouvel asservissement.


Les jeunes : premières victimes

Adolescents et préadolescents sont les plus exposés aux contenus sexualisés. La pornographie devient pour beaucoup la première école du désir, instillant violence, domination et confusion. Les filles s’exhibent pour plaire, les garçons s’imprègnent de normes agressives. Le lien, l’intimité et l’amour perdent leur sens. Ce chaos sexuel isole et aliène tout en alimentant une économie fondée sur l’excitation permanente.


Que faire ?

Il faut réinventer une éducation sexuelle et affective qui soit éthique, humaine et philosophique. Redonner au corps son caractère privé et précieux, apprendre à désirer sans posséder, aimer sans s’exhiber. Écoles, familles et médias doivent agir ensemble, tandis que les plateformes doivent assumer leur responsabilité morale face au contenu sexuel non filtré. C’est une question politique urgente : le sexe est devenu une arme culturelle massive. Il ne s’agit pas de condamner les sexualités, mais de les comprendre, de les protéger et de rappeler qu’elles ne sont ni jouets du marché ni objets de spectacle. Ce que nous faisons du sexe révèle profondément ce que nous faisons de l’humain.
Copyright Groupe le Matin © 2025