S.Ba.
24 Avril 2025
À 19:05
Dès les premiers instants de la discussion, le ton est donné : ce livre n’est pas un roman comme les autres. C’est une plongée dans un monde trouble, entre thriller surnaturel, roman d’amour contrarié et méditation politique. Le personnage principal, Adam, entame une histoire d’amour presque anodine, avant de basculer dans un univers où se mêlent possession, forces occultes et révélations métaphysiques. Il devient exorciste – non pas d’âmes possédées, mais d’un mal diffus : celui des peurs collectives, de la haine banalisée, du discours dominant.
Pour Amine Jamaï, ce roman est un cri. Un cri lancé dans un monde en pleine mutation, où les repères traditionnels – bien/mal, nord/sud, gauche/droite – s’effondrent. «Je ne peux plus expliquer à mes enfants ce qui est bien ou mal», confie-t-il, pointant un basculement civilisationnel sans précédent. Ce brouillage moral et idéologique, Jamaï le traduit par une écriture en tension, nourrie de l’actualité immédiate.
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L’Exorciste de la République» s’attaque aussi à ce que l’auteur nomme les «idées socles» : ces vérités martelées dès l’enfance, jamais questionnées, qui forment les fondements de l’ordre établi. «Je ne suis pas complotiste», insiste-t-il. «Je remets simplement en question ce qu’on me demande de croire les yeux fermés». Son ambition : injecter le doute, interroger, faire vaciller les évidences.
L’audace du roman se manifeste aussi dans sa trame : deux attentats fictifs, l’un au Vatican, l’autre à La Mecque. Une provocation ? Peut-être. Mais surtout une tentative de réconciliation entre les trois religions abrahamiques. «Mon message est de rappeler qu’avant d’être opposés, nous partageons une origine commune», explique-t-il. Adam, porteur symbolique de cet héritage, incarne l’unité perdue et la quête de rédemption.
Dans un style très visuel, presque cinématographique, le roman oscille entre douceur et colère. Chaque scène, chaque dialogue semble imprégné de l’émotion du moment. L’auteur le reconnaît volontiers : «Si je vois une information joyeuse, j’écris une scène d’amour. Si c’est une catastrophe, j’y mets ma rage».
Au fil de l’échange, Amine Jamaï soulève aussi une question cruciale : celle de la représentation. «Nous n’avons pas de super-héros marocains. Nos enfants s’identifient à des figures étrangères. Il est temps de créer les nôtres.» L’enjeu est culturel, identitaire, presque politique.
Enfin, l’auteur aborde le défi de la langue. Écrire en français dans un pays majoritairement arabophone, c’est parfois écrire pour un public restreint. Mais c’est aussi parler à l’universel. Il évoque l’idée d’une traduction, mais assume ce choix linguistique comme un pont entre les mondes.
Avec «L’Exorciste de la République», Amine Jamaï ne propose pas seulement un roman : il ouvre un débat. Celui de la complexité du réel, de la nécessité de repenser nos repères, et du pouvoir des mots pour éclairer les zones d’ombre. Un roman engagé, profond, qui ne laisse pas indemne.