Culture

Le sociologue Chakib Guessous revisite le mariage à travers les âges et les mœurs

La réforme de la Moudawana continue de susciter des débats en ligne. On prédit une explosion des taux de divorce et des tensions conjugales. Et dans tout ce brouhaha, on ne parle plus du mariage, de ses vœux et de ses promesses, car le doute, la méfiance et les reproches mutuels prennent toute la place. Dans ce contexte, «De choses et d’autres» invite Dr Chakib Guessous, médecin-radiologue et socio-anthropologue, pour parler du mariage.

16 Mai 2025 À 17:25

Dr Chakib Guessous a longtemps travaillé sur la thématique du mariage. Il a notamment écrit un essai intitulé «Le mariage précoce, de l’Antiquité à nos jours» ainsi que «Mariage et concubinage dans les pays arabes». En préambule à ses essais, il situe la naissance du mariage dans la préhistoire. «Le mariage est né quand les chasseurs-cueilleurs, qui étaient nomades, se sont sédentarisés. Certains d’entre eux ont cumulé des richesses et des biens qu’ils ont voulu transmettre à leur descendance propre. Alors, le mariage est né pour garantir cette descendance», explique le sociologue.

Dans sa forme structurée, avec des rituels, des contrats et des règles sociales, le mariage est apparu dans la civilisation sumérienne. Longtemps après, le roi babylonien Hammourabi a rédigé le code régissant la vie en Mésopotamie. Ce code stipulait que la femme ne pouvait plus multiplier les partenaires sexuels. Et «pour s’assurer de la fidélité de la femme, on a commencé à les prendre de plus en plus jeunes», explique Dr Guessous.

Mariage des mineurs

Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle les femmes se mariaient jeunes, voire impubères. «L’espérance de vie dans le temps ne dépassait pas les 35 ans dans le meilleur des cas. Donc, et les femmes et les hommes se mariaient très jeunes. Car si on attendait 17 ans pour marier la jeune fille, elle n’aurait pas assez de temps pour concevoir et vivre avec ses enfants. De plus, la plupart des enfants mouraient dans les quatre premières années de la vie, au point où pour avoir un enfant, il fallait en moyenne tomber enceinte trois fois», explique Dr Guessous.

Mais aujourd’hui, que l’espérance de vie a largement augmenté, que la mortalité infantile a considérablement baissé et que la société a évolué, le mariage des mineurs n’a plus lieu d’être, parce qu’il peut causer des problèmes physiques, psychiques et sociaux. «Comment une jeune fille qui n’est pas adulte peut-elle tomber enceinte sans que cela affecte sa croissance ? Aussi, sur le plan psychologique, une adolescente va être privée de son enfance en portant la responsabilité d’un bébé». Et juridiquement parlant, «si elle se marie de façon précoce, il y a des chances pour que ce soit sans contrat de mariage qui lui garantisse un minimum de droits», étaye l’expert.

Pour Dr Guessous, la scolarisation a un effet favorable sur la baisse des mariages des mineurs. Plus la jeune fille aura la garantie que son éducation lui garantira un revenu, plus elle sera maintenue à l’école par ses parents, surtout ceux qui vivent une certaine précarité économique.

Retard ou absence de mariage

«Les Marocains de 15 à 35 ans représentent 30% des citoyens. Au moins un quart de cette population n’est pas marié, à l’âge où le corps est gorgé d’hormones et de besoins sexuels irrépressibles.» Cela crée un malaise social dans un pays régi par la religion et un rite des plus rigoristes sur la question du mariage.

Dans son livre «Mariage et concubinage dans le monde arabe», Dr Guessous parle des moyens de contourner la restriction et la difficulté liées au mariage dans les différents pays arabes, y compris le Maroc : mariage coutumier, dit avec «Fatiha» ou «Ôorfi», le mariage itinérant (Misyar), le mariage de jouissance (Moutâa), limité dans le temps, qui peut donner lieu à un tourisme matrimonial ou à des unions pour une saison scolaire. «Dans le milieu universitaire, ce phénomène existe bel et bien au Maroc. J’ai reçu des recherches de mémoire réalisées par des étudiants sous l’encadrement de leurs professeurs à El Jadida et à Kénitra, en 2017-2018. Aujourd’hui, on n’a pas de chiffres actualisés», précise Dr Guessous.

Sans respecter les conditions usuelles du mariage selon le rite malékite, ces matrimonialités sont invalides. Pour le sociologue, «ceci veut dire que les jeunes veulent avoir des relations sexuelles consenties, mais comme ils n’osent pas sortir du cadre de la religion, ils les présentent sous l’apparence d’un mariage».

Le divorce : une vision incompatible

Le taux de divorce est en augmentation permanente et il survient de plus en plus tôt. «Avant, on pouvait divorcer après 15 ans ou vingt ans de mariage. Aujourd’hui, les gens préfèrent limiter les dégâts, avant d’avoir des enfants et des problèmes supplémentaires», dit Chakib Guessous. Pour le sociologue, ce n’est pas tant un changement dans les valeurs qu’une évolution de la société. «Avant, la femme endurait en silence, car dépendante de son mari. Aujourd’hui, elle est éduquée, autonome et travaille à la fois à l’extérieur comme à l’intérieur du domicile», explique Dr Guessous qui estime que cela a poussé les filles à se rebeller sur la condition de leurs mères. «Malheureusement, les mères ont habitué leurs garçons à être servis», se désole-t-il. Aujourd’hui, les femmes et les hommes évoluent donc à deux vitesses et cela crée une fracture sociale qui se manifeste par l’explosion du taux de divorce. Malheureusement, la situation est empoisonnée par la surexposition des conflits conjugaux sur les réseaux sociaux et l’émergence de profils qui conseillent sur le mariage. «Certains conseils ont des conséquences désastreuses sur les couples et sur les jeunes qui ne sont pas encore en âge de se marier», pense Dr Guessous.

La Moudawana

Bien que l’on n’ait pas encore arrêté le nouveau code de la famille, la Moudawana de 2025 va apporter des acquis supplémentaires en termes de droits. «Dans les projets de loi qui nous sont parvenus, il y aura une amélioration considérable dans les droits des enfants. Il faut savoir qu’en 1958, l’enfant n’avait aucun droit dans la Moudawana. En 2004, il y a eu plusieurs points positifs en faveur de l’enfant et dans le code de 2025, on en aura beaucoup plus», affirme le sociologue. Entendu par la Commission Royale chargée de la réforme de la Moudawana, Dr Guessous a d’ailleurs fait une proposition de toute importance pour les enfants : en cas de décès du père, ne pas intégrer le domicile conjugal dans l’héritage, avant la majorité des enfants.

Concernant les hommes qui ne veulent plus se marier, en raison d’une méprise sur le partage du patrimoine, «il faut savoir que la Moudawana de 2025 ne fait qu’énoncer plus clairement des droits qui existaient dans celle de 2004 et qui découlent du Fiqh de l’Imam Malik (Al Kadd Wa Assaâaya)», explique Dr Guessous. Très peu de changement sera donc apporté par le nouveau Code de la famille sur ce sujet-là, si ce n’est une application plus rigoureuse de la loi.
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