Au moment où les débats sur la réforme de la Moudawana se poursuivent, se dessinent parfois des lignes de fracture alimentées par des émotions exacerbées et des lectures idéologiques antagonistes. Dans ce climat, une initiative académique sort du lot. L’Université Mohammed V de Rabat a décidé d’aborder cette question avec toute la rigueur académique qu’elle mérite.
À l’occasion d’une table ronde tenue, mardi dernier, à la Faculté des lettres et des sciences humaines, en partenariat avec l’Association régionale de l’Union nationale des femmes du Maroc à Salé (UNFM) et la Fondation Razan pour les études stratégiques sur la famille et la société, la révision du Code de la famille était au cœur d’un débat de haute volée où la rigueur méthodologique et la fine connaissance des réalités sociales étaient présentes. Deux points essentiels cristallisant les divergences autour de cette réforme ont été décortiqués : la reconnaissance du travail domestique et la question du recours au test ADN dans l’établissement de la filiation.
À l’occasion d’une table ronde tenue, mardi dernier, à la Faculté des lettres et des sciences humaines, en partenariat avec l’Association régionale de l’Union nationale des femmes du Maroc à Salé (UNFM) et la Fondation Razan pour les études stratégiques sur la famille et la société, la révision du Code de la famille était au cœur d’un débat de haute volée où la rigueur méthodologique et la fine connaissance des réalités sociales étaient présentes. Deux points essentiels cristallisant les divergences autour de cette réforme ont été décortiqués : la reconnaissance du travail domestique et la question du recours au test ADN dans l’établissement de la filiation.
À l’honneur, Zhor El Hor : magistrate, militante et mémoire vivante
Avant d’ouvrir les débats, l’Université a rendu un hommage appuyé à la magistrate Zhor El Hor, saluée comme une des pionnières de la défense des droits des femmes et de la dignité humaine. Pour Laïla Mounir, doyenne de l’université, cet hommage «consacre un parcours exemplaire d’une enseignante, avocate et magistrate, mais aussi d’une militante inlassable pour les droits fondamentaux du peuple marocain». À travers les témoignages, ce moment de reconnaissance a donné le ton : cette réforme ne peut être pensée sans mémoire, sans éthique, sans ancrage dans les engagements et valeurs fondateurs.
Travail domestique : sortir de l’angle mort juridique et économique
Longtemps relégué à l’arrière-plan des débats sur la justice familiale, le travail domestique s’impose aujourd’hui comme une question centrale dans la refonte attendue du Code de la famille. Prenant la parole en sa qualité de présidente de la clinique de droit de l’Université Mohammed V, Ilham Hamdaï a dénoncé le paradoxe d’un travail essentiel, celui de l’organisation du foyer, de l’éducation des enfants et de la gestion quotidienne de la cellule familiale, qui demeure invisible dans les instruments de mesure de la richesse nationale. «Économiquement parlant, ce travail ne rentre pas dans le PIB, il n’est pas reconnu comme générateur de richesse», a-t-elle souligné, insistant sur le décalage profond entre l’importance sociale de ces activités et leur inexistence dans les cadres législatifs actuels.
Partant de là, elle a évoqué la nécessité d’imaginer un cadre normatif propre au contexte marocain, tout en s’inspirant d’expériences étrangères ayant amorcé une réflexion sur la rémunération ou la valorisation du travail non marchand. Des pistes telles que l’instauration d’un salaire minimum pour les conjoints non actifs, ou la fixation d’un pourcentage indexé sur le revenu du partenaire en activité, pourraient constituer, selon elle, des moyens pour garantir une forme de justice patrimoniale, en particulier lors des phases critiques que sont le divorce ou le décès.
Mais pour cette juriste, l’enjeu dépasse la seule dimension économique. Il s’agit, a-t-elle insisté, d’un impératif d’équité : «Lorsqu’un conjoint s’investit pleinement dans les charges domestiques, permettant à l’autre de se déployer professionnellement, il serait inéquitable que cette contribution ne trouve aucune traduction en droit.» L’article 49 de la Moudawana, qui reconnaît la possibilité pour les époux de conclure une convention sur la répartition des biens acquis pendant le mariage, reste selon elle insuffisant tant qu’aucune mesure concrète ne vient encadrer ou encourager de telles pratiques dans la réalité.
Partant de là, elle a évoqué la nécessité d’imaginer un cadre normatif propre au contexte marocain, tout en s’inspirant d’expériences étrangères ayant amorcé une réflexion sur la rémunération ou la valorisation du travail non marchand. Des pistes telles que l’instauration d’un salaire minimum pour les conjoints non actifs, ou la fixation d’un pourcentage indexé sur le revenu du partenaire en activité, pourraient constituer, selon elle, des moyens pour garantir une forme de justice patrimoniale, en particulier lors des phases critiques que sont le divorce ou le décès.
Mais pour cette juriste, l’enjeu dépasse la seule dimension économique. Il s’agit, a-t-elle insisté, d’un impératif d’équité : «Lorsqu’un conjoint s’investit pleinement dans les charges domestiques, permettant à l’autre de se déployer professionnellement, il serait inéquitable que cette contribution ne trouve aucune traduction en droit.» L’article 49 de la Moudawana, qui reconnaît la possibilité pour les époux de conclure une convention sur la répartition des biens acquis pendant le mariage, reste selon elle insuffisant tant qu’aucune mesure concrète ne vient encadrer ou encourager de telles pratiques dans la réalité.
Test ADN et filiation : entre preuve scientifique et controverses doctrinales
Au-delà de la question du travail domestique et de sa rémunération, la question de l’établissement de la filiation par ADN attise la polémique lors des débats sur la réforme du Code de la famille. Pour Ilham Hamdaï, «Le test ADN est une avancée scientifique, il ne remet nullement en cause les fondements religieux». Elle met en exergue la similitude biologique entre la reconnaissance maternelle, fondée sur le portage de l’enfant dans le ventre et la possibilité d’identifier le père par la biologie, grâce à la technologie du test génétique. De son point de vue, cette méthode ne remet en cause aucun des principes fondamentaux du droit musulman, qui «doit pouvoir évoluer à l’aune des avancées scientifiques sans remettre en cause son essence spirituelle».
Mais cette vision s’oppose frontalement à celle du Conseil supérieur des oulémas, l’instance religieuse suprême, qui perçoit le test ADN comme une menace pour l'ordre familial traditionnel. Driss Najim, expert en matière des droits de l'Homme et acteur de la société civile, a exposé les préoccupations de cette institution religieuse. Selon cette lecture conservatrice, l’introduction du test ADN pourrait «désagréger l’édifice de la famille» en remplaçant les critères traditionnels de filiation, basés sur les liens juridiques et sociaux, par une filiation strictement biologique. Un tel changement, redoutent certains, risquerait de remettre en cause les valeurs liées à la structure familiale et à l’importance des liens de parenté établis par le droit, au détriment de la dimension spirituelle et communautaire de la filiation.
Face à cette divergence, une alternative a été avancée, bien que sans véritable conviction, par Driss Najim : celle de faire reposer la responsabilité parentale sur les deux géniteurs sans pour autant établir une filiation formelle. Selon lui, une telle approche pourrait préserver l’essentiel des structures familiales tout en évitant l'usage du test ADN. Cependant, M. Najim reconnaît les limites de cette proposition, qu’il qualifie de «fragile». En effet, la perspective d’une absence de filiation formelle, bien qu’originale, expose l’enfant à une forme d’exclusion sociale et symbolique, voire à des difficultés juridiques considérables, notamment en matière de droits successoraux et d’identité.
Mais cette vision s’oppose frontalement à celle du Conseil supérieur des oulémas, l’instance religieuse suprême, qui perçoit le test ADN comme une menace pour l'ordre familial traditionnel. Driss Najim, expert en matière des droits de l'Homme et acteur de la société civile, a exposé les préoccupations de cette institution religieuse. Selon cette lecture conservatrice, l’introduction du test ADN pourrait «désagréger l’édifice de la famille» en remplaçant les critères traditionnels de filiation, basés sur les liens juridiques et sociaux, par une filiation strictement biologique. Un tel changement, redoutent certains, risquerait de remettre en cause les valeurs liées à la structure familiale et à l’importance des liens de parenté établis par le droit, au détriment de la dimension spirituelle et communautaire de la filiation.
Face à cette divergence, une alternative a été avancée, bien que sans véritable conviction, par Driss Najim : celle de faire reposer la responsabilité parentale sur les deux géniteurs sans pour autant établir une filiation formelle. Selon lui, une telle approche pourrait préserver l’essentiel des structures familiales tout en évitant l'usage du test ADN. Cependant, M. Najim reconnaît les limites de cette proposition, qu’il qualifie de «fragile». En effet, la perspective d’une absence de filiation formelle, bien qu’originale, expose l’enfant à une forme d’exclusion sociale et symbolique, voire à des difficultés juridiques considérables, notamment en matière de droits successoraux et d’identité.
Faire de l’université un pivot du débat stratégique
À l’image des autres intervenants, Boutaïna El Ghalbzouri, présidente de la Fondation Razan pour les études stratégiques sur la famille et la société, a relevé l’importance vitale des deux points soulevés lors de cette rencontre. Pour elle, sans reconnaissance du travail domestique, c’est une partie entière de l’économie du care, cette économie de la sollicitude et de la reproduction sociale, qui risque d’échapper à toute régulation. Et c’est aussi une certaine idée de la justice conjugale qui serait mise à rude épreuve. Par ailleurs, la dichotomie entre l’approche scientifique, qui privilégie une vérité biologique indiscutable, et l’approche doctrinale, qui défend des valeurs religieuses et culturelles anciennes, continuera de marquer les débats autour de la réforme de la Moudawana, a-t-elle relevé. Car là où certains voient une opportunité d’adapter le droit à l’évolution de la société, d’autres redoutent les conséquences d’une rupture avec des principes ancestraux qui sont perçus comme garants de la stabilité sociale et familiale, d’où le besoin imminent d’études et de statistiques comme cadre de référence, conclut-elle.
Réformes sociétales : l’université doit avoir voix au chapitre
Les intervenants lors de cette table ronde ont unanimement insisté sur l’importance de redonner à l’université son rôle central dans le façonnement des réformes sociétales, en particulier celles touchant aux questions de la famille et du droit. L’université, selon eux, doit être un lieu de réflexion rigoureuse, où se croisent les différentes disciplines pour élaborer des solutions fondées sur des données empiriques et une approche scientifique multidimensionnelle. Boutaïna El Ghalbzouri, présidente de la Fondation Razan pour les études stratégiques sur la famille et la société, a souligné l’importance de ces initiatives, rappelant que cette table ronde s’inscrivait dans la continuité d’un travail méthodique entamé dès 2018. «Nos propositions émanent de recherches de terrain, d’études empiriques et non de postures idéologiques», a-t-elle déclaré. Pour elle, chaque rencontre représente une opportunité précieuse de traiter en profondeur des thématiques sensibles, comme celles du travail domestique et de la filiation, et de les aborder avec la rigueur scientifique nécessaire pour éviter les dérives politiques ou émotionnelles.