Nadia Ouiddar
04 Décembre 2025
À 16:50
Oum Kalthoum n’a jamais cessé de vivre dans l’imaginaire arabe. Le 3 décembre courant à
Marrakech, elle a repris vie à l’écran avec «El Sett», le biopic événement de Marwan Hamed, présenté en première mondiale lors de la 22ᵉ édition du
Festival international du film de Marrakech (FIFM). Plus qu’un simple portrait, le film propose une plongée intime dans la vie d’une diva légendaire, fragile et combative, loin de l’image figée que l’on pourrait avoir d’elle.
Très attendu, le film, écrit par
Ahmed Mourad, consacre plus de deux heures et demie à la destinée hors du commun d’Oum Kalthoum, interprétée par
Mona Zaki. À l’écran, la diva apparaît dans toute sa complexité : enfant prodige issue d’un village du delta du Nil, artiste engagée et femme à l’autorité rare dans un monde façonné par les hommes.
Une enfance contrariée et une ascension déterminée
Plutôt qu’un récit linéaire, «El Sett» recompose les fragments d’une vie marquée par le talent et la transgression. Le film explore la trajectoire hors norme d’une adolescente contrainte de se travestir pour se produire sur scène, dans un contexte où les femmes avaient peu de droits. Cette détermination, ce goût du risque et cette passion pour la musique et l’écriture deviennent le fil rouge du récit.
Mona Zaki y livre une performance magistrale, mêlant autorité, vulnérabilité et sensibilité. Pour l’actrice, ce rôle fut l’un des plus exigeants de sa carrière : «L’un des défis majeurs consistait à rester six heures en maquillage sans pouvoir bouger, afin que chaque détail soit crédible. L’autre défi était de transmettre les émotions d’une icône arabe qui parlait peu, en s’appuyant uniquement sur ce qui apparaissait sur scène, sans jamais connaître ce qui se passait dans les coulisses».
Humaniser le mythe
Le film adopte une approche profondément humaine, mettant en lumière la solitude réelle d’Oum Kalthoum et la maladie dont elle souffrait, qui compliqua sa vie personnelle et sa carrière. Les échecs amoureux et les moments de doute révèlent une femme déterminée à imposer sa place dans un monde d’hommes, tout en restant fidèle à elle-même et à son art.
Les séquences en noir et blanc renforcent l’intimité de ces instants de fragilité, tandis que les passages lumineux célèbrent la puissance scénique de la chanteuse.
Une œuvre technique et artistique soignée
Marwan Hamed signe une mise en scène élégante et immersive. La musique, composée par Hesham Nazih, amplifie la dimension émotionnelle du film. La photographie de Abdel Salam Moussa, les décors, les costumes, le maquillage et les effets spéciaux sont d’une qualité exceptionnelle, soutenant pleinement l’ambition du projet.
«El Sett» a bénéficié du soutien des «Ateliers de l’Atlas», laboratoire de création et d’accompagnement artistique du Festival de Marrakech.
Aux côtés de Mona Zaki, le film réunit Sayed Ragab, Ahmed Khaled Saleh, Mohamed Farag, Karim Abdel Aziz et Ahmed Helmy, donnant vie à un Caire du XXᵉ siècle fidèle et vibrant.
Une femme dans l’histoire
Au-delà de la musique, «El Sett» souligne l’influence d’Oum Kalthoum sur la vie publique égyptienne et arabe : ses liens avec le pouvoir, son engagement moral et patriotique, et sa capacité à unir les peuples par son art. Loin d’une simple hagiographie, le film montre la chanteuse comme une femme consciente de son impact et capable d’un engagement citoyen discret, mais significatif.
Marwan Hamed : une œuvre au long cours
Avec «El Sett», Marwan Hamed poursuit une filmographie déjà saluée sur la scène internationale. Depuis «L’Immeuble Yacoubian», le cinéaste égyptien explore les zones sensibles de la société arabe contemporaine, en mêlant regard historique et ambition narrative. Ici, il signe probablement son œuvre la plus intime : un film ample qui refuse la glorification pour embrasser la contradiction, l’ambiguïté et le réel.
Réception et sortie en salles
«El Sett» a été accueilli avec enthousiasme par le public marocain. Les applaudissements nourris ont souligné la réussite du mélange entre émotion, intensité dramatique et fidélité historique. Le critique Abdelkrim Ouakrim a salué le film comme «l’un des plus importants réalisés sur la vie de célébrités arabes, égyptiennes et arabes en général», et plusieurs autres critiques ont exprimé leur admiration pour la justesse et la sensibilité du récit.