C’est un rendez-vous que les Casablancais attendent avec impatience, et que
Gad Elmaleh aborde avec une émotion particulière. L’humoriste ne cache ni son excitation ni la pression qu’il ressent à l’idée de jouer "à domicile”. "C’est ma ville, mais il y a beaucoup d’affect”, confie-t-il, avant d’ajouter : "C’est comme jouer devant la famille, tu n’as surtout pas envie de les décevoir.” Le retour du comédien sur la scène casablancaise n’a rien d’un simple passage de tournée : il s’agit d’un moment de vérité, d’un dialogue intime avec un public qui l’a vu naître et grandir, et avec qui le lien n’a jamais été rompu.
Conscient de l’attente qu’il suscite, l’artiste promet un spectacle adapté, voire réinventé pour le public marocain. S’il conserve l’ossature de son dernier
one-man-show "Lui-même”, une œuvre autobiographique centrée sur les questionnements d’un homme de cinquante ans en quête de paix et de bonheur, Gad Elmaleh insiste sur l’importance d’apporter des éléments inédits. "Je n’ai pas envie de livrer un spectacle qu’on aura déjà vu à la télévision”, assure-t-il. À Casablanca plus qu’ailleurs, l’improvisation fera donc partie du jeu, comme une façon d’honorer ce lien organique qui le relie à sa ville natale.
Une mue artistique et des personnages éternels
Si le style a évolué, le regard reste. Gad Elmaleh a fait les beaux jours de l’humour francophone avec des personnages devenus cultes, d’Abderrazak à Coco en passant par la truculente Madame Tazi. Aujourd’hui, l’humoriste se tourne vers une forme plus directe, un stand-up avec moins d'artifices, où le comédien s’adresse sans filtre à son public. "Il est vrai qu’on a l’impression qu’il y a une forme de changement... une épure”, analyse-t-il. Ce virage, loin d’être une rupture, traduit plutôt une volonté de dépouillement, de recentrage autour du propos.
Néanmoins, les figures qui ont marqué ses débuts ne sont pas enterrées. "Je me questionne actuellement s’il n’y a pas des personnages qu’il faut faire revenir. J’ai envie de les ressusciter parfois.” Même dans ce nouveau spectacle, l’essence de son humour reste inchangée, avec la société comme fil rouge : "Un humoriste, c’est quelqu’un qui fait des gros plans sur ce que tout le monde voit en plan large”.
Immigré, un statut à revaloriser
Il y a quelques années, lors d’une émission sur la chaîne
France 5, Gad Elmaleh avait tenu à clarifier les choses après avoir été présenté comme un humoriste "franco-marocain”. Il rappelle alors qu’il est Marocain, immigré en
France, une précision identitaire qui n’a rien d’anecdotique. L’échange, largement relayé, a eu un fort écho parmi les
Marocains de la diaspora. "Les Marocains du monde entier m’arrêtaient dans la rue pour cette phrase”, rapporte-t-il aujourd’hui, conscient de la portée de ses mots.
Au-delà de la rectification, c’est toute une réflexion sur la place de l’immigré dans le discours public que l’artiste exprime. Refusant les stéréotypes réducteurs, il appelle à redonner au terme "immigré” sa dignité. "Être immigré, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas travaillé, qu’on n’a pas créé d’emploi, qu’on ne s’est pas inspiré de la culture française.” Il célèbre au passage la capacité des Marocains à s’adapter, à épouser des environnements variés sans jamais se renier. "Nous n’avons pas besoin d’être totalement absorbés ni totalement rejetés”.
Les secousses de la vie comme moteur de résilience
Gad Elmaleh ne fuit pas les sujets sensibles. Interrogé sur les turbulences médiatiques, notamment l’affaire
CopyComic datant de 2017, il fait preuve d’une grande honnêteté. "Si j’avais la sagesse que j’ai aujourd’hui, j’aurais à peine répondu.” Il confie avoir réagi avec ses émotions, affecté par une blessure d’ego, mais voit dans cette expérience une source d’apprentissage. "Ça m’a forgé, ça m’a changé”, admet-il.
Dans une époque marquée par la polarisation, certains aimeraient entendre Gad Elmaleh prendre parti sur le
conflit israélo-palestinien. Mais l’humoriste refuse de céder à ces injonctions. "On essaie de me pousser à choisir un camp. Je n’ai pas envie de le faire”, dit-il avec fermeté. Son choix est clair : envoyer un message de paix et d’espoir, même s’il sait que cela ne plaira pas à tout le monde. "Les déclarations, ça ne dure pas”, ajoute-t-il, en référence à d’autres artistes qui se sont exprimés sur le sujet... avant de se retrouver piégés dans leurs propres mots.
Quoi de neuf Gad Elmaleh ?
Le Matin : Quelle est ta madeleine de Proust casablancaise ?Gad Elmaleh : Il y a une épice qui m’accompagne depuis toujours : le cumin. Dès que je sens cette odeur quelque part, je suis attiré. Si quelqu’un voulait me piéger comme un petit animal, il n’aurait qu’à parsemer du cumin (rires). J’en mets partout : sur tous les plats, sur le fromage, dans la soupe, sur le pain... moi-même, je crois que je suis plein de cumin !
Les spectacles "L’autre c’est moi” et "Lui-même” sont-ils liés à ta quête personnelle ?"Lui-même” est sans doute mon spectacle le plus intime, le plus personnel, très introspectif. Il raconte la quête d’un homme de cinquante ans qui cherche, comme tout le monde, le repos, la joie, le bonheur... mais à travers l’humour, bien sûr. Il tente plein de choses : être en couple, rester célibataire, faire des thérapies, suivre des coachs de vie... Il essaie tout pour se sentir bien. Et finalement, il comprend que la joie est en lui. Pour moi, le bonheur, c’est être profondément soi-même et connecté à soi, ce que je ressens quand je suis au Maroc.
Pourquoi avoir coécrit "Lui-même” avec Roman Frayssinet ?Roman Frayssinet est, avant tout, l’humoriste français que j’admire le plus, et pour qui j’ai beaucoup d’affection. J’ai eu envie de m’associer à quelqu’un dont j’aime l’univers, et avec qui je partage des valeurs. On a eu beaucoup d’échanges autour de nos spiritualités respectives, et c’est ce qui nous a rapprochés. J’ai besoin de respecter profondément la personne avec qui je travaille. C’est toujours une joie de le voir, de jouer avec lui dans les comedy clubs. Et je sais que c’est un amoureux du Maroc, ce qui nous relie encore davantage.
À quand un comedy club comme le Vig’s au Maroc ?Je ne vis malheureusement pas à Casablanca, et c’est compliqué de lancer un comedy club sans être sur place. Mais j’ai entendu parler de plusieurs projets portés par des humoristes et des producteurs qui veulent en créer ici. Je serai là, inchallah, pour les soutenir quand ça se fera et bien sûr, je viendrai y jouer. Casablanca mérite clairement son comedy club : il y a ici une vraie scène, avec de jeunes talents, aussi bien en darija qu’en français.