Culture

Musique et œuvres protégées : la verbalisation d’un café à Taza ravive le débat sur les droits d’auteur

La verbalisation d’un café à Taza pour diffusion non autorisée d’une chanson de Fayrouz a déclenché un vif débat sur les réseaux sociaux, révélant une méconnaissance persistante du cadre légal encadrant la diffusion publique des œuvres musicales et audiovisuelles au Maroc. Ce qui a été présenté par certains comme un simple incident anecdotique illustre pourtant une réalité juridique incontournable : la musique, comme toute œuvre protégée, ne peut être diffusée dans un espace commercial sans autorisation préalable et sans rémunération des ayants droit.

08 Décembre 2025 À 14:55

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Dans un communiqué publié pour clarifier ses missions, le Bureau marocain du droit d’auteur et des droits voisins (BMDAV) rappelle que la loi n° 25-19 lui confère expressément la compétence de collecter, répartir et protéger les droits d’auteur et les droits voisins.

La loi n° 2-00, modifiée par la loi 66-19, précise de son côté que toute communication au public — qu’elle se fasse par télévision, radio, projection ou tout autre moyen — est subordonnée à une autorisation et à une rémunération.

Cafés, restaurants, hôtels, salles de sport, cinémas, centres commerciaux ou festivals : tous les établissements diffusant musique, œuvres audiovisuelles ou prestations artistiques sont soumis à des redevances fondées sur des barèmes publiés au Bulletin officiel du 14 avril 2014.

Le BMDAV insiste "ces montants ne sont ni des taxes ni des amendes, mais des droits légaux versés directement aux créateurs et aux ayants droit."

Taza : un incident révélateur d’un malentendu national

Le contrôle mené dans un café de Taza n’a rien d’exceptionnel. Les agents du BMDAV, assermentés et habilités à constater les infractions, effectuent régulièrement des vérifications dans les établissements diffusant de la musique ou des images. Ce qui a donné à cette affaire un écho disproportionné, c’est sa circulation sur les réseaux sociaux, alimentant de nombreuses incompréhensions sur le rôle du bureau et la portée réelle de la loi.

Pour le BMDAV, il s'agit d'un manque de sensibilisation aux droits d’auteur, alors même que la musique diffusée contribue à l’attractivité commerciale des établissements. Le bureau rappelle privilégier la voie amiable, l’information et l’octroi de délais. Ce n’est qu’en cas de refus persistant que les procédures judiciaires sont engagées.

Un enjeu qui dépasse la musique : quid de la diffusion des matchs ?

La polémique survient alors que les cafés se préparent à accueillir un afflux massif de clientèle pour suivre les rencontres de la CAN 2025.

Or, les images des compétitions sportives sont elles aussi des œuvres audiovisuelles protégées. Leur diffusion publique nécessite une autorisation du détenteur des droits et un abonnement professionnel distinct de l’abonnement domestique, et, le cas échéant, le paiement de droits liés aux contenus musicaux.

Si le BMDAV ne fait aucun lien direct entre les deux sujets, la question se pose naturellement. Autrement dit, la logique juridique est la même que pour la musique. Et la polémique de Taza agit comme un rappel : la diffusion publique, quelle qu’elle soit, engage des obligations légales.

Une économie culturelle en pleine mutation

La mise au point du BMDAV intervient alors que les industries culturelles marocaines connaissent une transformation profonde. Les données officielles montrent en effet qu'entre 2019 et 2024, les industries culturelles et créatives (ICC) ont enregistré une croissance de 33 % du nombre d’entreprises et de 20 % du nombre de salariés déclarés. Près de 50 % des emplois du secteur sont occupés par des femmes. Ces chiffres démontrent que la culture n’est plus un secteur marginal. Elle constitue un pilier économique stratégique, créateur d’emplois et d’innovation. Dans ce contexte, assurer une rémunération équitable aux auteurs devient un enjeu de souveraineté culturelle.

A noter que les sommes collectées par le BMDAV sont intégralement redistribuées aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux ayants droit.

L’affaire de Taza, loin d’être anodine, remet en lumière une question essentielle : comment concilier l’usage commercial des œuvres et le respect du travail créatif dans un environnement économique et numérique en pleine mutation ? Elle ouvre aussi un débat nécessaire sur la sensibilisation des exploitants, la lisibilité du cadre légal et la valorisation de la création artistique dans l’économie marocaine.
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