Culture

Le pop-up Myriem Himmich à Assilah

Sous le soleil brûlant du mois d’août, alors que les galeries prennent congé, Myriem Himmich en ouvre une nouvelle… à Assilah. Son pop-up estival prend place dans un espace aussi intimiste qu’inspirant, bravant les codes d’un métier qui se réinvente peu. Entre hommage aux artistes d’Assilah, recherche de publics nouveaux et désir d’inconnu, Myriem Himmich conjugue héritage, recherche et spiritualité.

17 Août 2025 À 16:29

Le Matin : Quand on ouvre une galerie à Assilah en plein mois d’août, qu’a-t-on en tête : l’adrénaline du défi ou le plaisir de s’ancrer dans une ville d’art ?

Myriem Himmich : Ni l’un ni l’autre. Assilah est la ville de tous mes étés. Mes premiers pas dans l’art y ont été façonnés. Et c’est au Festival d’art lancé par feu Mohamed Benaïssa et feu Mohamed Melehi – que Dieu ait leurs âmes – que mon lien avec cette ville s’est ancré. Je garde d’ailleurs en moi le souvenir de ma grand-mère qui m’y déposait et revenait me chercher à la fin des ateliers.

Depuis l’ouverture de ma galerie à Casablanca, je portais en moi ce rêve discret : ouvrir un jour un espace d’art à Assilah. Non seulement parce qu’elle est une ville d’art, mais aussi parce que j’entretiens avec elle ce lien intime, tissé depuis ma naissance. Mes projets portent toujours, d’une certaine manière, une partie de mon histoire personnelle.

Tout s’est fait de façon très spontanée. Il y a quelques semaines, je marchais dans la médina, savourant les horizons qui se profilaient, et l’idée m’est venue de créer un espace d’art éphémère ici : un Pop-up Art Gallery. Pourquoi pas ? Au lieu d’attendre l’achat d’un lieu dédié, pourquoi ne pas commencer par louer un espace qui permettrait à ma galerie, et par conséquent à mes artistes, de s’implanter le temps d’un mois et de rencontrer un public différent, dans une région où nous sommes encore peu connus ? Les médias offrent une visibilité nationale, certes, mais rien ne remplace la force d’une présence physique et la rencontre directe avec les visiteurs.

J’avais aussi envie de me faire une petite place au sein de cette ville que j’ai eu la chance de connaître depuis ma naissance et d’y imprégner l’art que je défends. Depuis la disparition de M. Benaïssa – que Dieu ait son âme –, je ressens le besoin de garder vivant tout le travail accompli. Cette ouverture est ma manière de participer, à mon humble niveau, au rayonnement culturel de la ville d’Assilah.

Je dirais donc que cette ouverture est d’abord née d’un lien personnel et intime que j’entretiens avec cette ville attachante que j’aime et que je souhaite voir continuer à grandir artistiquement. Ensuite vient la dimension expérimentale et stratégique. Cette ouverture représente à mes yeux une expérience artistique à part entière. Elle me permet de tester de nouvelles façons de présenter et de faire vivre l’art que je défends dans un contexte différent. Et puis, ne nous le cachons pas, c’est aussi une démarche stratégique, qui me permet d’étudier le marché de près et de contribuer à l’expansion de la galerie et de mes artistes.

Tout comme les artistes explorent et expérimentent les matières, nous, galeristes, explorons les territoires. L’idée est d’aller à la rencontre de nouveaux publics et de trouver le moyen d’attirer de nouveaux collectionneurs, tout en gardant l’art accessible à tous.

Assilah a une aura artistique depuis des décennies. Quel accueil la ville vous a-t-elle réservé ?

Je m’attendais à une ouverture intimiste, et c’est finalement un véritable vernissage officiel qui m’a accueillie, en présence de personnalités comme M. Ghaylan, président de la Commune d’Assilah, et M. Louzari, secrétaire général adjoint de la Fondation Forum d’Assilah. J’ai aussi reçu le soutien de M. Nouiba, directeur du Centre Hassan II des rencontres internationales, et de M. Bettioui, secrétaire général de la Fondation. La présence des membres de l’Ambassade de Russie, de collectionneurs venus de plusieurs villes, d’artistes de tout le Maroc et d’Assilah, ainsi que de nombreux amis, commerçants et partenaires, a fait de cette inauguration un moment à la fois chaleureux et mémorable. Je remercie tous ceux qui m’ont félicitée et qui n’ont pas pu être présents pour des raisons personnelles ou professionnelles. Le 8 août restera une date mémorable, à la hauteur de l’inauguration de ma galerie mère à Casablanca, le 11 février 2022.

Pensez-vous que cette expérience est reproductible dans d’autres villes du Maroc ?

Absolument. Rien n’empêche une galerie d’investir un lieu ou une ville. Cela sert tous les acteurs de la chaîne : la galerie, les artistes, la ville et le Maroc. L’impact est souvent positif, d’après ce que j’ai pu vivre jusqu’à présent. Cela permet l’évolution de la galerie, la reconnaissance des artistes et l’enrichissement de la ville, et par conséquent du marché.

Depuis l’ouverture de la galerie à Casablanca, j’avais pour vision de parcourir le Maroc en y implantant un bout de cet espace d’art. Cela fait trois ans et demi que je travaille à asseoir la présence de la galerie sur le marché marocain et international. La vie m’offre aujourd’hui la possibilité de donner vie – en partie – à cette vision. Je suis heureuse que cette démarche puisse démarrer à Assilah, ville d’art et de culture.

Dans un métier souvent perçu comme traditionnel, comment innove-t-on aujourd’hui quand on est galeriste au Maroc ?

Cela fait trois ans et demi que j’ai ouvert la Myriem Himmich Gallery et, dès le départ, j’ai été dans une démarche d’innovation intuitive. Ce n’est qu’aujourd’hui, avec du recul, que je le réalise vraiment. J’ai proposé des accrochages créatifs, des scénographies inattendues, des expositions immersives, de la musique live en dialogue avec les œuvres, la présence active et directe des artistes auprès des collectionneurs. J’ai aussi été à la fois galeriste et curatrice... À chaque exposition, j’ai vu les visages de mes visiteurs s’illuminer avec un effet d’émerveillement inévitable. C’est alors que j’ai compris que le marché avait changé, qu’il n’était plus totalement ce qu’il était et que ce que je proposais était non seulement apprécié, mais attendu.

Aujourd’hui, l’émotion est devenue la clé de l’acte d’achat. Il faut que ça résonne. Les œuvres doivent être portées par la force d’un storytelling intellectuel et émotionnel. Le marché recherche désormais des expériences uniques. Le rôle d’un galeriste n’est plus seulement de présenter des œuvres et de vendre à un réseau fermé de collectionneurs, mais de créer un lien vivant avec l’artiste. Cela passe par des formats plus ouverts comme «Meet the Artist», un format que j’ai lancé en 2023 et qui permet de présenter l’artiste à un réseau de journalistes, critiques d’art et collectionneurs sans le cadre imposé par l’exposition individuelle, beaucoup plus complexe. Les visites officielles d’ambassadeurs, comme celle organisée avec Son Excellence l’ambassadeur d’Australie en 2023, aussi. Je remercie d’ailleurs l’Ambassade d’Australie pour son soutien continu encore aujourd’hui. Le Pop-up Art Gallery que je viens de lancer permet d’explorer un territoire avant d’y investir durablement. J’organiserai également prochainement des Masterclass en histoire de l’art au sein de la galerie.

Innover, c’est proposer des expositions dans des lieux insolites, ouvrir des espaces hybrides mêlant art, musique, littérature, bien-être et autres rencontres culturelles. Présenter des œuvres dans des cadres innovants est devenu presque un jeu fascinant auquel artistes, collectionneurs et passionnés d’art prennent part spontanément et avec plaisir. Offrir des œuvres d’art avec des gammes de prix variées, permettant à de nouveaux collectionneurs d’investir et de soutenir les jeunes artistes émergents, est aussi une belle façon d’innover.

En tant que galerie émergente marocaine, je défends mes artistes avec passion et avec la conviction qu’une galerie doit être à la fois une vitrine, un agent, un mentor et un partenaire stratégique. Il est, à mes yeux, nécessaire d’avoir la liberté d’inventer de nouveaux modèles et la force de conjuguer héritage et innovation, tradition, audace et créativité, pour accompagner l’évolution du marché.

Comment décririez-vous le marché de l’art au Maroc aujourd’hui, vu depuis votre expérience à la galerie Myriem Himmich ?

À l’ouverture de la Galerie Myriem Himmich, le marché de l’art marocain était en pleine effervescence. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il est en pleine mutation. Le public est de plus en plus friand d’expositions immersives, de storytelling et d’un accompagnement personnalisé, voire intime. La relation entre le collectionneur et la galerie est toujours sacrée, mais le besoin de connaître l’artiste se sacralise aussi. Les collectionneurs ne cherchent plus seulement une œuvre à acquérir, mais une histoire à connaître et à raconter.

Ces dernières années, j’ai assisté à la création d’une nouvelle génération de collectionneurs, souvent plus jeunes, qui dynamisent ce marché aujourd’hui. Je suis d’ailleurs fière d’avoir accompagné certains d’entre eux pour acquérir leur première œuvre, et je continue de le faire. Parallèlement à cette nouvelle vague, qui apprécie le travail des artistes marocains confirmés et soutient celui des artistes émergents, de nouveaux acteurs se positionnent comme acheteurs et mécènes : hôtels, restaurants, entreprises ou institutions, qui voient dans l’art un levier d’image et porteur de valeur.

Cela implique automatiquement de repenser notre approche en tant que galeristes. Aller vers ces acteurs et initier le dialogue avec eux est une nécessité. Il ne faut pas se contenter d’attendre qu’ils viennent à nous. Le marché est devenu plus ouvert, certes, mais aussi beaucoup plus compétitif. Il exige persévérance, créativité et capacité à sortir des formats traditionnels. C’est mon approche en tant que fondatrice et directrice de la galerie Myriem Himmich. C’est un chemin complexe, certes, mais qui mérite pleinement d’être entrepris.

Nous sommes dans une ère où l’art circule différemment, où l’expérience compte autant que l’œuvre proposée, et où la diversité des acteurs et des formats annonce un futur riche en opportunités pour ceux qui savent se réinventer et, dirais-je, pousser les portes aussi.

Comment repérez-vous les artistes que vous choisissez d’accompagner ?

Cela peut sembler choquant, mais je choisis mes artistes selon ma sensibilité et mon intuition. Je suis attirée par les œuvres qui portent une vibration à la fois artistique et spirituelle, une complexité visuelle et technique, ainsi qu’une profondeur dans lesquelles je me reconnais et que je peux défendre avec conviction. J’arrive à sentir si une œuvre est différente, si elle dégage une énergie qui parle à l’âme et si je suis la bonne personne pour la porter et la défendre. Mais l’intuition ne suffit pas. Vient ensuite la réflexion : peut-on aller loin ensemble ? L’artiste a-t-il la capacité de construire sur la durée, de traverser les succès comme les moments de tension, et de le faire avec respect, confiance et loyauté ? Donc, au-delà du talent, je choisis des artistes dont les valeurs sont inébranlables.

J’ai choisi des artistes sur des coups de cœur absolus, comme avec Zineb Mezzour, où j’ai plongé tête baissée sans vraiment la connaître. Et le merveilleux, c’est de réaliser avec le temps que j’ai eu raison de le faire et que l’intuition ne trompe jamais, encore moins l’accompagnement céleste. L’art de Valérie Ohana, quant à lui, résonnait en moi comme une évidence vivante. Elle était déjà connue du milieu pour son art spirituel, comme j’ai pu le remarquer le jour de son exposition, qui a attiré un grand nombre de collectionneurs casablancais. J’étais très surprise de voir qu’aucune galerie, avant moi, ne lui avait proposé un accompagnement. Il est vrai que l’art spirituel n’était pas très développé à ce moment-là, en particulier au Maroc, et les galeries pouvaient hésiter à porter ce type d’art, difficilement défendable auprès des collectionneurs marocains. Je ne peux que me réjouir de porter son art à la fois intellectuel et spirituel. Mon histoire avec Bouchra El Menjra est encore différente : j’avais entre les mains un joyau brut qu’il fallait guider et révéler. J’avais donc cette mission de l’accompagner et de le diriger, et quand je vois ce qu’elle me propose aujourd’hui, cela m’émeut et me ravit. Quant à Hamid Douieb, c’est une histoire d’héritage collectif et mon plus grand défi aujourd’hui : lui donner la place qu’il mérite sur le marché de l’art marocain. Je crois en lui et en son art et je n’arrêterai mes actions que le jour où je le verrai exposer dans de grands musées et intégré à des collections de grands collectionneurs. Mon rapport avec les artistes que je représente est vraiment unique et ne peut se comparer de l’un à l’autre, mais il porte la même attente : innovation, engagement, authenticité, héritage et spiritualité. C’est aussi le cas avec les nouveaux artistes que je représente.

Comme je ne peux pas représenter tous les artistes dont j’apprécie le travail, je leur offre souvent la possibilité de rejoindre les expositions collectives de la galerie, grâce à mon programme «Artistes résidents» que j’ai créé. Ce double format, «Artistes représentés» et «Artistes résidents», permet d’accueillir plus de talents : les premiers bénéficient d’un accompagnement plus riche et plus fort, d’expositions individuelles avec un accès aux foires internationales, tandis que les seconds participent aux expositions collectives et profitent de la visibilité et du réseau de la galerie pour évoluer vers la représentation complète, lorsque le moment se présentera.

Choisir un artiste est un engagement fort, humain et surtout financier. C’est aussi tisser une alliance. Choisir un artiste, ce n’est pas seulement choisir un talent : c’est choisir une personne, son histoire, ses valeurs, la raison profonde pour laquelle elle crée et la possibilité qu’elle devienne un maillon fort de l’histoire de l’art contemporain marocain.
Copyright Groupe le Matin © 2025