Culture

Najat Vallaud-Belkacem au «Book Club Le Matin» : entre mémoire intime et engagement politique

Invitée d'honneur du «Book Club» organisé en marge du Salon international de l'édition et du livre (SIEL), l'ancienne ministre française Najat Vallaud-Belkacem a livré un témoignage fort, mêlant parcours personnel, engagement public et regard lucide sur les enjeux contemporains.

21 Avril 2025 À 17:45

Dans le cadre prestigieux du Sofitel Jardin des Roses à Rabat, la troisième édition du «Book Club Le Matin» a accueilli, samedi dernier, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale de France, Najat Vallaud-Belkacem. Femme politique, intellectuelle et autrice, elle était présente pour présenter son livre-autobiographie réédité au Maroc aux éditions La Croisée des Chemins. «La vie a plus d’imagination que toi», un titre trop fort dont l'invitée nous a révélé le secret : «C'est un titre inspiré d’une phrase réconfortante que me répétait ma mère dans mon enfance pour m'encourager à aller de l'avant et à toujours garder l'espoir», souligne Najat Vallaud-Belkacem. Une façon de dire que même lorsque les choses échappent à nos prévisions, elles peuvent à terme ouvrir des horizons insoupçonnés. C’est, en somme, le message que Madame Vallaud-Belkacem a laissé à son auditoire : croire en l’avenir, en ses racines, et dans la puissance discrète de l’engagement sincère.



Revenant sur l'idée de rééditer le livre au Maroc, notre invitée raconte que ce livre, initialement publié en France en 2017, a fait l'objet d'une édition marocaine enrichie, fruit d'une collaboration touchante avec feu l'éditeur Abdelkader Retnani, puis reprise par son fils Yacine. «Ce projet est devenu un devoir de transmission», explique-t-elle, soulignant combien son histoire personnelle entre Béni Chiker, son village natal du Rif, et son ascension dans la République française, éclaire des thèmes universels : l'exil, l'intégration, les transferts culturels, la responsabilité politique.

Une autobiographie ancrée dans le réel

Le récit de Najat Vallaud-Belkacem donne cette étrange impression comme «à la fois intime et politique». Elle y livre des souvenirs d’enfance très précis, marqués par le départ du Maroc à l’âge de 4 ans et demi et l’arrivée en France. Des images encore vives, où les klaxons et la densité urbaine contrastent avec le calme de son hameau natal. «Je me souviens de ma première fois en France, j'étais très perturbée par le nombre de voitures qui circulent dans la ville. Moi qui viens d'un village loin de la circulation dense des villes, ce décor m'avait beaucoup frappé», raconte avec émotion l'invitée.

Venait après la phase d'intégration dans cette société avec toutes les nouveautés et les sensibilités qu'une petite fille de 4 ans devait assimiler rapidement et de la plus bonne manière. Interrogée sur la notion d’intégration, elle en appelle à une relecture du mot : «Ce n’est pas aux individus seuls qu’il revient de s’adapter, mais aux pouvoirs publics de créer les conditions d’une intégration effective.» Elle s’exprime avec clarté sur le racisme systémique et les difficultés liées à sa double culture, rappelant qu'elle n'a jamais eu honte de ses origines : «Ce serait presque insultant d’imaginer avoir honte de ma mère.»

«Honnêtement, écrire cette autobiographie n’a pas été une démarche facile pour moi. Je ne suis pas du genre à me livrer facilement, encore moins à exposer ma vie privée ou familiale. Je suis plutôt quelqu’un de discret. Mais, au fond, j’ai ressenti cette écriture comme une forme de devoir, presque une responsabilité. C’est un peu la même raison qui me pousse aujourd’hui à enseigner avec plaisir aux plus jeunes : j’éprouve le besoin, à un moment donné, de transmettre, de "rendre” ce que j’ai reçu, comme on dit en anglais, de "Give Back”. Partager son parcours, c’est permettre à celles et ceux qui nous lisent de gagner du temps, peut-être d’éviter certains pièges ou obstacles en les identifiant plus tôt. Qu’ils suivent un chemin semblable ou différent, les défis, eux, se recoupent souvent. Et d’ailleurs, en relisant cette autobiographie, je réalise qu’elle mêle effectivement plusieurs dimensions : de l’émotion, de l’intime, mais aussi une forme d’engagement. Il y a ce besoin de sincérité, de vérité, autant que le désir d’émouvoir ou de faire réfléchir», se livre l'auteure.

Engagement, féminisme et transmission

Grande défenseure des droits des femmes, le débat ne pouvait pas passer à côté de cette question très chère à notre invitée. La question de l’égalité entre les sexes, éminemment présente dans son parcours ministériel, trouve d'ailleurs un écho particulier dans le contexte marocain. Vallaud-Belkacem dit attendre avec impatience la réforme de la Moudawana et se dit convaincue que le Royaume est sur la bonne voie pour améliorer ces questions fondamentales. «On ne peut pas réaliser l’égalité seulement dans l’espace public sans l’inscrire aussi dans le foyer», insiste-t-elle.

Son autobiographie relate aussi les tensions de classe sociale, l’expérience d’être transfuge de classe, et les tentatives parfois vaines de transmettre les cicatrices du passé à ses propres enfants : «On ne transmet pas ses cicatrices, mais on peut transmettre des valeurs».

Une politique du lien, pas du carriérisme

Sur la politique actuelle, Najat Vallaud-Belkacem ne cache pas son désaccord profond avec l'évolution technocratique et déshumanisée du pouvoir : «Si l’on n’est pas motivé par l’intérêt général, à quoi bon faire de la politique ?» Favorable à un retour, elle insiste toutefois sur l’importance d’avoir pris du recul, de s’être reconnectée à la vie ordinaire, loin des «chauffeurs et gardes du corps». Elle plaide pour une politique ancrée dans l’écoute, la connaissance du monde, et le dialogue : «Le compromis n’est pas un renoncement, c’est parfois la seule voie pour avancer ensemble».
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