Le travail ne peut être une loi sans être un droit. Un droit qui est souvent bafoué par les aléas économiques et climatiques, sans oublier les enjeux géopolitiques. Au Maroc, il est de notoriété bien établi que l’économie marocaine ne crée pas suffisamment d’emplois. Une réalité qui interroge sur ses raisons et ses conséquences, qui dans les cas les moins graves, sont des drames. Des drames, qui une fois transformés en chiffres, sont adoucis par la magie des statistiques. Un chômeur devient un simple chiffre. «Cette question ne pouvait rester insensible pour un média comme "Le Matin”, avec une ligne éditoriale qui est la nôtre. Elle est dans le cours du projet de société porté par S.M. le Roi et nous rappelle les différents appels qui se doit de soutenir pour le citoyen marocain quel qu'il soit, a droit à une dignité. Les réformes doivent être bien-être et épanouissement des Marocains, tous», souligne Mohammed Haitami, PDG du Groupe «Le Matin», à l’occasion de la conférence-débat organisée par le Groupe sur le thème «Emploi au Maroc : quelles réformes pour réduire le chômage et l’inactivité ?» Il s'agit, pour M. Haitami, d'une problématique, qui n’est pas que marocaine. «L'État social que notre pays est en train de concrétiser ne peut pas être dissocié de la problématique de l'emploi ! Plus vous avez de travailleurs, moins vous avez d'aides sociales, donc de soutenabilité du dispositif. Plus vous avez de travailleurs, plus vous avez de cotisants, de pouvoir d'achat, de contributeurs. Notre pays n'a pas de ressources qui feraient de lui une économie de rente. Il n'a que son travail pour valoriser ses richesses matérielles, immatérielles et ses services, en un mot : sa compétitivité. Pour vivre ici, il faut travailler», souligne M. Haitami. Le ton est donné !
Constat confirmé d'emblée par Younes Sekkouri, ministre de l'Inclusion économique, de la petite entreprise, de l'emploi et des compétences. «La problématique de l'emploi et du chômage est très complexe. Beaucoup de pays peinent à trouver des solutions claires et efficaces. Et nous faisons partie de ceux qui sont à la recherche, d’une approche différente», note le ministre.
Aussi, pour essayer de résorber le taux de chômage qui a atteint13,3%, un record historique dans l’histoire du pays, l’actuel gouvernement a concocté une feuille de route qui pèse 15 milliards de dirhams. Aux dires du ministre, son élaboration qui a pris plusieurs mois, 8 pour être précis, repose sur des hypothèses, «car il serait prétentieux de dire qu'une stratégie pourrait résoudre un problème aussi complexe que celui qui concerne une partie visible de l'iceberg, c'est-à-dire l'économie formelle que nous avons, ainsi que le nombre d'inscrits à la Caisse nationale de la sécurité sociale», précise-t-il tout en insistant sur l’ambition, tout à fait légitime de ce programme. Un programme mis en place dans le sillage d’une succussion d’année de sécheresse et de stress hydrique. «Nous avons, depuis des années, subi une succession d'années de sécheresse que nous ne pouvons pas ignorer, entraînant des pertes d'emplois au sens des normes internationales, même s'il s'agit d'emplois non rémunérés en milieu rural, représentant entre 150.000 et 200.000 personnes chaque année. Historiquement, ces flux ne dépassaient pas 50.000. Il y a un facteur nouveau que nous n'explorons pas assez, qui est l'exposition du Maroc au changement climatique», souligne le ministre et d’ajouter que ces changements sont désormais structurels. À cela s'ajoute l'exode rural exacerbé par les sécheresses successives. Et dans la mesure où dans les milieux ruraux, on ne peut parler ni de formation ni de compétence permettant aux personnes de trouver facilement un travail, les seuls secteurs qui étaient preneurs de cette main d’œuvre sont les BTP et les services. Or, ces derniers sont actuellement en crise.
Sur un autre registre, une perte inexplicable de 500.000 emplois dans l'auto-emploi a été constatée l’année dernière. Des pertes jamais enregistrées même pendant la Covid. «En plus de la réalité de l'auto-emploi et des petites entreprises (TPE, etc.), qui font face à des difficultés, il y a aussi les mesures sociales et les programmes d'aide sociale. La généralisation de la protection sociale a conduit un certain nombre de personnes, qui se déclaraient avec des revenus, mais pas des salaires, à déclarer qu'elles n'avaient plus ces revenus», explique le ministre. En somme, M. Sekkouri propose d'analyser la problématique selon trois dynamiques essentielles : l'emploi salarié, l'auto-emploi et l'emploi non rémunéré. Le marché de l’emploi a ainsi été marqué par une dynamique contrastée. D’un côté, l’emploi salarié a progressé, principalement grâce à la formalisation des postes existants sous l’effet des réformes gouvernementales. De l’autre, l’auto-emploi a fortement reculé, de nombreux travailleurs se déclarant sans revenus pour bénéficier des programmes sociaux nouvellement instaurés. Enfin, l’emploi non rémunéré, essentiellement rural, a subi une forte contraction en raison des crises climatiques récurrentes, provoquant une accentuation de l’exode vers les villes, où les perspectives restent limitées, explique le responsable gouvernemental.
Mehdi Tazi, vice-président général de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM)«L’emploi est une priorité nationale, gouvernementale et c'est aussi une priorité pour les entreprises. Notre objectif commun est clair : augmenter le taux d’emploi, réduire le chômage et mieux intégrer les jeunes et les femmes, notamment en milieu rural. Le débat a été très constructif et j’espère qu’il contribuera à faire avancer les positions de chacun. Le secteur privé, et la CGEM en particulier, a un rôle central dans cette dynamique, car l’emploi est indissociable des entreprises. Ce sont elles qui créent les emplois. Pour qu'elles puissent pleinement jouer ce rôle, il est essentiel de lever les freins qui entravent l’investissement et la création d’emplois.»
Bouchra Nhaili, présidente de l'Association nationale des gestionnaires et formateurs du personnel (AGEF)«La formation professionnelle est un sujet important et extrêmement complexe au Maroc. Aujourd’hui, l’offre existe, mais elle reste inégalement adaptée : elle fonctionne bien dans certains secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique, mais beaucoup moins dans d’autres. À mon sens, le partenariat public-privé est fondamental. L’État doit faciliter la tâche aux entreprises, en les encourageant et en les soutenant dans l’investissement en formation professionnelle. De leur côté, les entreprises doivent identifier clairement leurs besoins et les partager avec les institutions publiques afin de construire des cursus réellement adaptés aux réalités du terrain. C’est un processus collaboratif, où les deux parties doivent s’engager pleinement pour aboutir à des compétences immédiatement opérationnelles.»
Jamal Belahrach, expert en capital humain et DG de Deo Conseil International«Face à une situation critique marquée par un taux de chômage élevé et une faible participation au marché du travail, il devient urgent de libérer la croissance en soutenant véritablement les entreprises pour qu'elles créent de la richesse et des emplois. Les entreprises doivent aussi investir dans la formation des jeunes, car le système éducatif ne prépare plus suffisamment à l’employabilité. Le dialogue social doit dépasser les simples revendications salariales pour se concentrer sur l'avenir de l'emploi. Enfin, je milite pour l’instauration d’une TVA sociale afin de réduire le coût du travail et repenser notre modèle économique, comme le recommande le nouveau modèle de développement. Nous devons changer de paradigme pour donner envie à notre jeunesse de rester et de construire l'avenir du Maroc.»
Driss Khrouz, économiste et professeur universitaire«Tout le monde sait aujourd'hui ce qu’il faut faire pour relancer l’emploi : améliorer d'abord le cadre de l’entreprise, de l’emploi et de la formation. Ensuite, il faut renforcer la performance des entreprises elles-mêmes, car une entreprise précaire ne peut pas créer un emploi durable. Il est aussi essentiel de développer les compétences techniques et d'encadrement, car notre tissu économique en manque cruellement. Enfin, les incitations financières doivent être un simple levier d'accompagnement, et non l’objectif principal. Ce qui compte, c'est de libérer les énergies et de donner aux entreprises les moyens de grandir, car sans des entreprises solides, il n’y aura pas d’emploi solide.»