Moncef Ben Hayoun
19 Avril 2024
À 17:31
Le
Fonds monétaire international (FMI) vient de publier son dernier rapport sur les «Perspectives économiques régionales : Moyen-Orient et Asie centrale, Avril 2024». Le document qui s'intéresse également l’
Afrique du Nord comprend des analyses sur le
monde arabe. Il en ressort que les difficultés s’enchaînent au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord (région MENA). La guerre israélienne sur Gaza, les perturbations du transport maritime dans la mer Rouge et les réductions de la production de pétrole viennent s’ajouter aux vulnérabilités préexistantes liées au niveau élevé de la dette publique et des coûts d’emprunt. Les risques en matière de sécurité en mer Rouge continuent de faire craindre plus généralement une hausse du coût du transport de marchandises et une contraction du commerce maritime, sachant qu’entre 12 et 15% des échanges mondiaux passent par le canal de Suez.
En 2023, la
croissance dans le monde arabe a été faible 1,3%, impactée par la performance des économies particulièrement exposées à ces perturbations. S’ajoute l’évolution du PIB pétrolier des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui a fortement ralenti après plusieurs vagues de baisses délibérées de la production par certains pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole plus (OPEP+). Le
Maroc, qui n’est pas fortement exposé à ces perturbations de transport maritime, s’est distingué en 2023 par une
croissance estimée à 3%, sous l’effet conjugué d’une demande intérieure vigoureuse, tirée par les fortes recettes touristiques malgré le séisme de septembre 2023, de la dissipation des effets de termes de l’échange défavorables et du rebond de la production agricole.
Croissance : le Maroc au-dessus de la moyenne projetée pour le monde arabe
Pour 2024, la croissance régionale devrait doubler, mais demeurer modérée à 2,6%. Cependant, une reprise inégale se dessine, le rythme de la croissance variant d’un pays à l’autre. Au niveau des pays émergents et pays à revenu intermédiaire (PE&PRI), dont fait partie le Maroc, la croissance devrait fléchir pour s’établir à 2,8% cette année (contre 3,1% en 2023), soit une révision à la baisse de 0,7 point de pourcentage depuis octobre. Cet ajustement à la baisse s’explique en particulier, par la performance de l’Égypte où l’activité a été freinée par les pénuries de devises et qui devrait encore pâtir de la situation dans la mer Rouge jusqu’à la fin de l’année. Par conséquent, les projections de croissance pour l’Égypte ont été revues à la baisse de 0,6 point de pourcentage depuis octobre et s’élèvent désormais à 3,0% en 2024. Pour le Maroc, les prévisions de croissance ont été également revues à la baisse de 0,5 point de pourcentage depuis octobre, passant à 3,1%, principalement en raison du tassement de la demande intérieure.
Du côté positif, l’inflation devrait poursuivre son reflux dans la plupart des PE&PRI. En particulier, les tensions sur les prix en Jordanie et au Maroc devraient rester faibles, l’inflation se stabilisant au-dessous de 3% cette année et à moyen terme. L’inflation devrait progressivement reculer en Égypte à mesure que les pénuries de devises s’atténueront et que le resserrement monétaire fera sentir ses effets. Au cours de la période de projection, la Tunisie devrait rester confrontée à une inflation forte, mais inférieure à 10%, dans un contexte marqué par des besoins de financement considérables, un recours accru au financement monétaire et la persistance de distorsions liées à l’action publique sur les marchés de produits.
Par ailleurs, bien que le recul des
prix du pétrole fasse baisser le coût des importations, la légère hausse de la demande intérieure (et donc des importations) cette année devrait entraîner une dégradation du solde des transactions courantes dans la plupart des PE&PRI de la région MENA. Le déficit courant de ces PE&PRI devrait se creuser et passer de 3,0% du PIB en 2023 à 6,3% en 2024, soit une augmentation de quelque 20 milliards de dollars. En outre, l’atonie des recettes d’exportation continue de peser sur les soldes extérieurs dans certains pays (Égypte). Malgré les efforts déployés pour étoffer les marges de manœuvre budgétaires, les ratios de dette du secteur public devraient continuer de grimper cette année sur fond de montée des charges d’intérêts. Plus précisément, le solde budgétaire primaire devrait s’améliorer dans les PE&PRI au cours des prochaines années, à la faveur d’une rationalisation des dépenses (Jordanie, Maroc) et d’un renforcement de la mobilisation des recettes (Égypte, Jordanie).
Toutefois, ajoute le rapport, le
déficit budgétaire global des PE&PRI devrait atteindre 8,2% du PIB en 2024 (contre 5,4% en 2023), sous l’effet d’une forte progression des charges d’intérêts. Par conséquent, les ratios dette du secteur public/PIB devraient demeurer élevés, s’établissant à plus de 90% en 2024, avant de diminuer progressivement à moyen terme, tirés par des cessions d’actifs (Égypte), la poursuite de l’assainissement budgétaire (Égypte, Jordanie, Maroc) et des différentiels taux d’intérêt/taux de croissance favorables.
Quant aux
besoins de financement bruts du secteur public, ils resteront un défi majeur dans la plupart des PE&PRI de la région MENA+ Pakistan. Les besoins de financement bruts du secteur public en 2024 devraient augmenter pour atteindre 115% des recettes budgétaires (261,3 milliards de dollars). Pour le FMI, les pays très endettés de la région MENA semblent toujours pâtir d’un accès limité au financement international à court terme et plusieurs d’entre eux mobiliseront probablement les banques locales pour couvrir l’essentiel de leurs importants besoins de financement, avec pour effet de resserrer encore les liens entre l’État et les banques locales et de restreindre le crédit au secteur privé. Exception faite à l’Égypte qui a signé l’accord d’investissement t de 35 milliards de dollars avec l’Abu Dhabi Development Holding Company, un fonds souverain émirati, qui devrait atténuer les tensions financières à court terme dans le pays.
Concernant les pays du CCG, l’activité hors hydrocarbures devrait rester le principal moteur de la croissance au cours des prochaines années. Les réductions délibérées de la production de pétrole constitueraient un frein temporaire à la croissance cette année encore. Par conséquent, les
projections de croissance des membres du CCG ont été révisées à la baisse de 1,3 point de pourcentage depuis octobre et s’élèvent désormais à 2,4% pour 2024. Quant aux pays exportateurs de pétrole non membres du CCG, leurs projections de croissance ont été portées à 3,3% en 2024, soit un relèvement de 0,3 point de pourcentage depuis octobre. Cet ajustement tient notamment à une production de pétrole supérieure aux prévisions en Libye.
Croissance économique : un rebond attendu dans le monde arabe en 2025
Pour 2025, le FMI table sur un rebond de la croissance dans le monde arabe à 4,5% tiré notamment par les pays exportateurs de gaz et de pétrole (+4,8%).
Le rapport souligne enfin des recommandations. Dans un contexte marqué par de multiples défis et une incertitude accrue, en particulier dans la région MENA, le dosage adéquat des politiques dépendra des conditions propres à chaque pays. Globalement, le FMI recommande, au niveau de la politique monétaire, de maintenir l’accent sur la stabilité des prix. Il préconise aussi une approche sur mesure pour assurer la viabilité de la politique budgétaire. En outre, l’Institution souligne que les réformes structurelles sont essentielles pour rehausser les perspectives de croissance à moyen et long terme. «Dans un contexte d’incertitude élevée, il est fondamental que les pays appliquent des réformes visant à renforcer leurs facteurs économiques de base (notamment en améliorant la gouvernance, dont celle des banques centrales). En outre, les pays peuvent saisir de nouvelles opportunités économiques sur fond de reconfiguration des échanges commerciaux en réduisant les obstacles aux échanges, en diversifiant les produits et les marchés et en améliorant leurs infrastructures», résume le FMI.