Économie

Plus de 8 millions de Marocains exclus de l'AMO ? Hassan Boubrik explique

Deux ans après sa généralisation, l’AMO affiche des chiffres encourageants : hausse du nombre d’immatriculés et des dossiers traités, baisse des délais de traitement des dossiers. Néanmoins, des défis demeurent, notamment l'accès à la couverture pour certains groupes et le non paiement des cotisations. Une conférence-débat organisée jeudi à Casablanca par "La Vie éco" a permis de dresser un bilan de la généralisation de l’AMO et d’explorer ses perspectives.

23 Février 2025 À 18:15

Quel bilan faire de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), deux ans après sa généralisation au Maroc ? Une conférence-débat organisée jeudi à Casablanca par "La Vie éco" a permis de dresser une liste des avancées réalisées dans le cadre de ce Chantier Royal. Ainsi, lors de son intervention, Hassan Boubrik, directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), a précisé que «fin 2022, nous avons réussi à intégrer la catégorie des travailleurs non-salariés. Nous avons également intégré, le 1er décembre 2022, 4 millions d'assurés principaux qui étaient auparavant sous le régime RAMED et qui ont basculé dans l'Assurance maladie obligatoire Tadamon d'un seul coup. En une seule journée, nous avions 4 millions d'assurés supplémentaires et 11 millions de bénéficiaires qui consommaient et qui étaient inscrits à la CNSS». M. Boubrik a, à cet effet, salué le travail colossal fait par toutes les parties prenantes. A commencer par le volet réglementaire et législatif.

Le nombre d’immatriculés à la CNSS a été multiplié par plus de 3 : «nous sommes passés de 7 ou 8 millions à 25 millions d’immatriculés et leurs ayants droits. Le nombre de dossiers traités chaque jour, lui, est passé à 110.000 en moyenne en décembre dernier, contre 22.000 dossiers par jour en 2021 – 2022», révèle Hassan Boubrik.

Qu’en est-il des 8,5 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’AMO ? «Il ne s'agit pas de personnes qui n'ont pas accès à la couverture. Soit elles ne se sont pas encore immatriculées dans le cadre de l’AMO Achamil, soit elles ont des droits fermés parce qu'ils n'ont pas payé leurs cotisations», explique-t-il. Il a rappelé que l'accès à la couverture est conditionné par le paiement des cotisations et que, dans le cas où un citoyen ne peut pas s’acquitter de ces cotisations, l’Etat prend le relai sous réserve que l’indice du ciblage dans le cadre du registre social unifié, communément appelé «Mouachir», le positionne dans la catégorie éligible à l’AMO Tadamon.



Et d’ajouter que les citoyens ont accès à une couverture médicale à faible coût, de l’ordre de 160 à 200 DH par mois, pour des catégories comme les agriculteurs : «La plupart des procédures sont digitales et accessibles facilement. Le service, lui, est de qualité, avec un délai moyen des remboursement de 8 à 9 jours».

La dématérialisation de la feuille de soins permettra d'économiser jusqu'à 500 MDH par an

Pour Abdelkrim Meziane Belfkih, Secrétaire Général du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, l'élargissement de la protection sociale a été initié dans le but de construire un pays socialement équitable et qui permet une certaine protection à l'ensemble de ses citoyens. Ce système repose sur 4 piliers : l'élargissement de l'assurance maladie obligatoire, l'élargissement des allocations familiales pour à peu près 7 millions d'enfants, les indemnités pour perte de d’emploi et la retraite.

Pour M. Belfkih, le système national de santé ne peut pas reposer uniquement sur le secteur public. Il faut un secteur privé très actif. Pour préparer ce système à accueillir les nouveaux assurés de l'AMO, une réforme en profondeur était donc nécessaire, explique-t-il. Cette réforme repose sur quatre piliers : l'élargissement de l'offre sanitaire pour répondre à la hausse "soudaine" du nombre d'assurés, tant dans le secteur public que privé (l'extension de la capacité litière, des plateaux techniques et des établissements de soins), la gouvernance (avec la mise en place d'institutions et d'instances telles que la Haute Autorité de la Santé, l'Agence du Sang et l'Agence du Médicament), les ressources humaines et la digitalisation.

Cette mutualité entre public, privé et fondations doit absolument être codifiées et traçable à travers la digitalisation. L’idée est d’arriver à un système digitalisé interopérable qui permet aux praticiens, médecins, spécialistes, cliniques, pharmaciens, laboratoires et organismes de s’y connecter afin de garantir la rapidité, la fluidité et la transparence. En attendant, un chantier tout aussi important est en cours. Il s’agit de la dématérialisation des feuilles de soins. Un processus qui permettra d’économiser entre 400 et 500 millions de DH par an.

Pour l’instant, le secteur s’est vite adapté à la généralisation de l’AMO. Selon Rochdi Talib, PDG du groupe Akdital, il fallait accompagner cette généralisation par les dispositifs nécessaires et un maillage permettant aux populations des «villes reculées» l’accès à la même qualité de soins. Dans le public, la généralisation de l’AMO s’est également fait sentir, reconnaît Raouf Mohcine, Directeur du CHU Ibn Sina de Rabat. Tout en admettant une augmentation des flux d’assurés, il insiste sur la nécessité de prioriser les cas admis dont le pronostic vital est en jeu, les personnes atteintes de cancer...

Dans le privé, partage Yasser Sefiani, professeur en médecine et directeur de clinique, pour certaines spécialités comme la cardiologie, la généralisation de l’AMO a permis au privé de combler le «vide» existant, par manque de moyens, dans le public. Car sa force réside dans sa vitesse et la personnalisation de son circuit. Cependant, Sefiani craint que la généralisation de l’AMO ne finisse par pousser les patients à se diriger vers le privé pour se soigner, même pour des pathologies bien prises en charge dans le public.
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