Saloua Islah
28 Août 2025
À 18:10
Le projet de loi 59.24 sur l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et l’innovation, déposé sur la table du Conseil de gouvernement, a fait monter la tension dans les campus. Trois organisations étudiantes,
la Coordination nationale des étudiants ingénieurs, le Comité national des étudiants en médecine, médecine dentaire et pharmacie ainsi que
l’Union nationale des étudiants du Maroc, ont publié le 27 août un communiqué dans lequel elles qualifient ce texte d’« imposé », élaboré sans véritable concertation et porteur d’un retour en arrière sur des acquis constitutionnels. Dans une prise de parole accordée à Le Matin,
Abdelhakim Ouaddou, secrétaire général du Comité national des étudiants en médecine (CNEMEP), dénonce la disparition, dans le nouveau projet de loi, de garde-fous juridiques qui assuraient la voix étudiante ainsi qu’une gouvernance recentralisée qui marginaliserait les premiers concernés.
Le premier point de rupture concerne la suppression
des articles 71, 72 et
73 de
la loi 01-00, lesquels garantissaient aux étudiants
le droit de s’organiser au sein de leurs établissements à travers des bureaux, associations et conseils élus. Ces dispositions assuraient la légitimité d’instances capables de proposer des amendements aux règlements intérieurs et de peser sur des décisions liées à la scolarité et à la vie universitaire. « Ce n’était pas de simples articles décoratifs mais un socle pour
une démocratie interne », rappelle Ouaddou, qui parle d’une « régression claire ». Les organisations rappellent qu’il y a moins d’un an, le ministère avait signé
un accord reconnaissant la légitimité des représentations étudiantes de médecine et invitant les facultés à les intégrer dans leurs règlements intérieurs. Selon elles,
le projet 59.24 tourne le dos à cette dynamique.
Le deuxième sujet de discorde touche à la méthode et au moment choisis. Le texte a été présenté en plein été, lorsque les universités étaient en vacances, privant ainsi
les conseils pédagogiques et
les instances élues de la possibilité de rendre leur avis. Le communiqué dénonce un processus opaque, et pour le secrétaire général de la CNEMEP, il ne s’agit pas d’un simple problème de calendrier mais d’un signe inquiétant. « La méthode renforce un pilotage centralisé au détriment du dialogue institutionnel » souligne-t-il, estimant que « l’on fragilise la démocratie universitaire en marginalisant les étudiants dans la gouvernance ».
La troisième fracture, la plus préoccupante pour les familles, concerne le spectre d’
une privatisation progressive. Les organisations étudiantes citent l’encouragement aux partenariats public-privé, la possibilité de financements privés et l’absence de garanties fermes sur la gratuité comme autant de brèches qui risquent de transformer l’accès aux études en privilège réservé à ceux qui peuvent payer. le porte-parole du comité abonde dans ce sens et pointe « l’absence de communication claire avec le ministère », qu’il interprète comme un signe que « l’accès à l’enseignement supérieur risque de dépendre davantage de
la capacité financière que du mérite académique », une perspective qui représente, selon lui,
une institutionnalisation de la privatisation au sein
des universités publiques.À cette inquiétude s’ajoute
le silence des autorités. Depuis la publication du communiqué, aucun contact formel n’a été établi avec les organisations étudiantes, explique le secrétaire général. Ce mutisme alimente le sentiment d’une réforme conduite de manière unilatérale, alors même que les étudiants affirment que l’université fonctionne mieux lorsque les débats sont anticipés et tranchés dans les instances élues, plutôt que dans la rue à travers des mouvements de grève.
La rentrée universitaire 2025/2026 s’annonce ainsi tendue. Et pour cause, les coordinations étudiantes prévoient déjà un plan de riposte graduée face au projet contesté. L’interlocuteur des étudiants en médecine en détaille les étapes : d’abord,
des campagnes d’information pour expliquer le contenu du projet et ses implications ; ensuite,
des sit-in symboliques ; éventuellement,
des suspensions ponctuelles de cours ; et, en dernier recours,
des grèves de plus grande ampleur. Selon lui, l’ensemble de ces actions concernera non seulement les étudiants en médecine ou les futurs ingénieurs, mais bien tous
les étudiants des universités publiques, réunis au sein de leurs coordinations nationales. Le représentant reconnaît que l’année écoulée a déjà été marquée par de longues grèves, mais insiste : « Ce débat dépasse nos promotions, car il engage la démocratie universitaire des prochaines générations ».
Dans ce contexte de forte mobilisation, les organisations adressent un message clair aux décideurs. Elles appellent à
préserver
une université publique gratuite, démocratique et ouverte à tous les citoyens répondant aux critères académiques. Elles demandent également le rétablissement de garanties explicites de
représentativité étudiante et l’ouverture d’un véritable chantier de concertation sur l’implication du privé et le financement de la recherche. « Nous ne cherchons pas l’affrontement, mais un dialogue institutionnel sérieux et constructif », conclut le secrétaire général du Comité national des étudiants en médecine.