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Arbitrage au Maroc : nouveautés, enjeux, obstacles

Les Annuelles de l’arbitrage, initiées par la Cour marocaine d’arbitrage, tenues le 8 novembre dernier sous le thème «Arbitrage au Maroc : continuité ou réforme ?» ont constitué un rendez-vous de premier ordre pour faire toute la lumière sur la nouvelle loi 95-17 qui opère pour la première fois la dissociation des dispositions relatives à ce mode alternatif de règlement des différends du Code de procédure civile. L'occasion également de faire le point sur la pratique de l'arbitrage, ses avantages, ses enjeux et les défis à relever pour s’assurer son développement et sa diffusion à large échelle.

Ph. Seddik

13 Novembre 2022 À 19:52

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L’objectif d’inverser la tendance pour atteindre une part de 65% d’investissements privés d’ici 2035 implique, entre autres, une législation sur l’arbitrage de nature à rassurer les investisseurs étrangers. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans Son discours au Parlement à l’occasion de l’ouverture de la première session de la deuxième année législative de la 11e législature, a appelé «à la consolidation des règles de la concurrence loyale, à la mise en œuvre effective des mécanismes de médiation et d’arbitrage pour le règlement des litiges» afin «de renforcer la confiance de ceux qui veulent opérer des investissements productifs dans notre pays». L’arbitrage, que beaucoup considèrent à juste titre comme faisant partie du patrimoine immatériel du Royaume, a été marqué cette année par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi 95-17 qui opère pour la première fois la dissociation des dispositions relatives à ce mode alternatif de règlement des différends du Code de procédure civile. 

Une procédure consensuelle, neutre, confidentielle et rapide

En décidant de recourir à l’arbitrage, les parties optent pour une procédure privée de règlement des litiges au lieu d’une procédure judiciaire. L’arbitrage présente des avantages pour les investisseurs, notamment par rapport aux procédures portées devant les tribunaux de l’État. Procédure «consensuelle» qui ne peut avoir lieu que si les deux parties y ont consenti, l’arbitrage est «neutre», dans la mesure où les parties peuvent choisir des intermédiaires de nationalité appropriée ainsi que des arbitres spécialisés en droit ou même dans des métiers spécifiques en rapport avec leur affaire. L’arbitrage est aussi et surtout une procédure «confidentielle» puisque les audiences ne sont pas publiques. Mieux encore, il élimine les conflits de compétence entre les tribunaux, surtout en matière internationale, où il assure une sécurité vis-à-vis des conflits de lois et ouvre la voie à l’exécution forcée «exequatur» qui rend facile l’exécution des sentences arbitrales à l’étranger, grâce aux conventions internationales ratifiées par plusieurs pays, dont le Maroc. Cela dit, l’arbitrage se révèle être plus rapide et moins coûteux que les autres procédures. 

Autant d’avantages mis en avant par le président de la Chambre de commerce internationale (ICC) Maroc, Mohamed Berrada, qui a souligné que les clauses compromissoires sont de plus en plus présentes dans les contrats commerciaux, notamment internationaux, en raison de la flexibilité et de la célérité qu’elles apportent aux investisseurs. Toutefois, le président de ICC Maroc a noté que même si le recours à l’arbitrage est un choix pertinent aujourd’hui, il faut se garder de penser que ce soit toujours la meilleure solution. «En fait, tout dépend de l’affaire dont il s’agit !» 

Le recours à l’arbitrage n’est pas nouveau au Maroc 

À travers l’histoire, le Maroc a connu de nombreuses formes alternatives de résolution des conflits : la conciliation traditionnelle des différends par les chefs de tribus ou chorfas, l’arbitrage des différends civils par des arbitres, «Amghar», désignés par les parties, la conciliation des différends civils et familiaux par les chefs religieux, les «imams», la médiation des différends commerciaux par des marchands compétents, «amines», etc., a rappelé M. Berrada, tout en soulignant que «bien qu’aujourd’hui le recours aux tribunaux soit le plus fréquent, les formes traditionnelles et coutumières de résolution des conflits qui ont précédé le système judiciaire continuent à jouer un rôle dans le règlement des différends. Bien plus, le système judiciaire marocain en a intégré plusieurs dans la législation actuelle». Comme exemples, M. Berrada cite la médiation dans les cas de divorce par des juges spécialisés en droit de la famille, l’arbitrage de certains types de différends relatifs aux impôts ou la désignation d’un commissaire-médiateur en cas de redressement judiciaire ou d’une procédure à l’amiable. r>Cette familiarité avec les formes de médiation et d’arbitrage et leur intégration dans le système judiciaire montrent que «notre environnement est, en définitive, favorable et ouvert aux modes alternatifs de résolution des conflits», soutient le président d’ICC Maroc, relevant tout de même que «notre environnement a également besoin d’un soutien important en termes de formation, d’éducation, de sensibilisation, d’explication et de communication». r>En guise de conclusion, M. Berrada est d’avis qu’«en partant de nos traditions et de nos coutumes, la question est de voir comment les faire évoluer et leur donner une sorte de coloration plus moderne pour qu’elles puissent se diffuser plus harmonieusement et sensiblement dans le paysage économique de notre pays, précisément afin de renforcer le climat de confiance juridique, si nécessaire pour attirer les investissements productifs, comme on le voit par exemple avec la mise en place de l’arbitrage par internet qui est actuellement en train de se développer». 

L’évolution de l’arbitrage n’est pas en phase avec le développement économique du Maroc 

Le développement de l’arbitrage au Maroc n’est pas en adéquation avec le développement économique. Voilà en tout premier lieu la conclusion faite par le président de la Cour marocaine d’arbitrage (CMA), Saad El Mernissi. Pourquoi un tel décalage ? «Nous n’aurons pas toutes les solutions ou réponses à cette question aujourd’hui, mais je partage avec vous certaines constats», a indiqué M. El Mernissi. Le premier, probablement le plus effrayant, tient à la profonde méconnaissance des mécanismes de l’arbitrage dans notre pays, non seulement de la part des opérateurs économiques (qui, pourrait-on dire, ne sont pas toujours obligés de suivre les évolutions législatives), mais également de la communauté juridique, constate le président de la CMA. 

Le deuxième constat, revers de la même pièce, a trait au recours à l’arbitrage comme un automatisme. «Le fait que les clauses d’arbitrage deviennent des clauses de style dans les contrats, insérées comme d’autres clauses assez classiques sans en mesurer la portée, amène à des situations ubuesques qui font que lorsque nous avons des échanges avec des magistrats nationaux, notamment ceux des tribunaux de commerce, ils nous expliquent qu’ils reçoivent des litiges sur la base de contrats qui comportent des clauses d’arbitrage et pour lesquels l’une des parties saisit le tribunal de commerce et la partie défenderesse n’invoque pas la clause d’arbitrage», explique M. El Mernissi.  Or rappelle le président de la CMA, que ce soit sous la précédente loi n°08.05, ou la loi n°95.17 entrée récemment en vigueur, «vous devez soulever l’irrecevabilité lorsque vous êtes en défense si le contrat comporte une clause compromissoire». Cela signifie que la décision des parties de recourir à l’arbitrage n’a finalement pas été suivie d’effet au moment de la survenance du litige, car, le plus souvent, la clause compromissoire a été insérée en méconnaissance des mécanismes de l’arbitrage. r>Un troisième constat établi par M. El Mernissi porte sur la pratique frauduleuse de l’arbitrage. «Aujourd’hui, il y a des personnes qui se réclament du monde de l’arbitrage et qui entachent la pratique globale de ce mode de règlement des conflits dans notre pays. Et il est important que nous puissions expliciter aux opérateurs économiques que ceci est une déviance et ne reflète pas la pratique globale de l’arbitrage». 

Pour faire face à tous ces constats, qu’est-ce qu’on peut faire ou plutôt qu’est-ce qu’on a fait ? «Déjà, la création de la Cour marocaine d’arbitrage est le premier exemple de la réaction du monde juridique à ces problèmes de développement de l’arbitrage dans notre pays», répond M. El Mernissi. En 2023, la CMA fêtera son 25 anniversaire. «Depuis 25 ans, des femmes et des hommes donnent de leur temps, dans un cadre purement associatif, sans autre intérêt ou bénéfice que le sentiment de contribuer au développement des bonnes pratiques dans notre pays», se réjouit le président de la CMA. 

Quelques nouveautés apportées par la loi 95-17 

La nouvelle loi 95-17 apporte son lot de nouvelles dispositions visant par exemple à élargir le champ d’application de l’arbitrage interne aux conflits de nature civile, à la possibilité d’utiliser le courrier électronique pour la conclusion de la convention d’arbitrage, etc. Ainsi et comme expliqué par le directeur des affaires civiles au ministère de la Justice, Bensalem Oudija, et afin de promouvoir la résolution des différends en dehors des tribunaux, la loi 95-17 a étendu le champ d’application de l’arbitrage interne aux différends de nature civile. L’autre nouveauté évoquée par M. Oudija concerne le choix de ne pas soumettre l’arbitre au contrôle d’une partie judiciaire et de fixer la liste des arbitres par un texte réglementaire comme le prévoit l’article 12 de la nouvelle loi, tout en laissant la possibilité aux parties et au président du tribunal, selon le cas, d’en désigner un ou plusieurs en dehors de la liste (article 13). r>Aussi, la compétence pour statuer sur la demande de l’exequatur de la sentence arbitrale concernant un différend auquel une personne de droit public est partie, revient au président du tribunal administratif de première instance dans le ressort duquel la sentence sera exécutée, ou au président du tribunal administratif de première instance de Rabat, lorsque la sentence arbitrale concerne l’ensemble du territoire national (article 68).

Une autre nouveauté relative à l’arbitrage international, si les parties ont prévu l’application de la loi marocaine sur l’arbitrage, confère la compétence de désigner l’instance d’arbitrage au président du tribunal de commerce de première instance de Casablanca à la place du président du tribunal de commerce de Rabat, étant donné que la plupart des transactions commerciales internationales se font à Casablanca et que celle-ci accueille le siège du CFC (article 72, alinéa 3). La nouvelle loi 95-17, et comme l’a souligné également l’avocate au barreau de Casablanca Bouchra Bouiri, prend également en compte les avancées technologiques pour permettre tant la conclusion de la convention d’arbitrage, les échanges, les requêtes, les mémoires par voie électronique ou bien la possibilité de rendre la sentence arbitrale par le même biais, que la tenue de réunions et d’audiences par visioconférence. 

Loi 95-17 : le syndrome de l’inachevé l’a emporté encore une fois 

Loi 95-17, continuité ou réforme ? Au niveau de la forme, la loi 95-17 a quand même permis d’organiser l’arbitrage et la médiation conventionnelle pour la première fois dans un texte indépendant du Code de la procédure civile, répond le conseil juridique, ex-membre de la Commission justice et législation de la Chambre des représentants, Jaouad Iraqui. Au niveau du contenu, la loi a apporté des acquis nouveaux (comme par exemple la possibilité de régler des contentieux à caractère civil dans le cadre de l’arbitrage interne, la possibilité d’utiliser l’outil digital pour contracter les conventions d’arbitrage, etc.), précise M.Iraqui. «Est-ce suffisant pour parler de réforme au sens propre du terme ? Bien entendu, non !» affirme l’ex-membre de la Commission justice et législation. «Et comme on ne peut prétendre non plus à la stérilité de la loi en termes de nouveautés, le syndrome de l’inachevé l’aura emporté encore une fois, mais il ne faut surtout pas baisser les bras», souligne M. Iraqui. 

Que faire alors ? En réponse à cette question, M. Iraqui fait remarquer d’abord que l’organisation de l’arbitrage et de la médiation conventionnelle au Maroc a été introduite en 1913 dans le dahir formant Code des obligations et contrats (DOC), puis arrive la première réorganisation 61 ans plus tard, dans le cadre de la réforme judiciaire en 1974, suivie de la deuxième réorganisation 33 ans plus tard dans le cadre de la loi 08.05 de 2007, et enfin arrive 15 ans après la troisième réorganisation qui nous a amené la loi 95.17 en 2022. «La durée entre une modification ou une réforme et la suivante a été réduite de moitié à peu près à chaque fois. À ce rythme, on peut s’attendre à une nouvelle réorganisation de la loi dans 7 ans, c’est-à-dire pendant la prochaine législature», espère M. Iraqui. 

Autre question : que faire en attendant?  Rappelant que l’arbitrage et la médiation font partie du patrimoine immatériel de la société marocaine et qu’il existe un terrain fertile pour leur développement, le conseiller juridique plaide pour la multiplication des rencontres, séminaires à l’instar des  «Annuelles de l’arbitrage» et toutes autres manifestations à caractère académique et scientifique sur l’arbitrage et la médiation conventionnelle. Et de lancer une vigoureuse recommandation : «veillez à la qualité et à la pertinence du texte réglementaire prévu à l’article 12 de la loi relatif au registre d’inscription des arbitres. On peut prétendre tout ce qu’on veut, mais sans arbitres dignes de ce nom, on n’aura jamais un arbitrage à la hauteur. Comme on n’aura jamais de démocratie sans démocrates, on n’aura jamais un arbitrage sans arbitres qui méritent ce titre».  «Ce texte attendu, il faut bien le cerner pour éviter les dérapages qui font que nous vivons toujours dans le domaine de l’arbitrage, à savoir des gens qui prétendent être des arbitres, mais et qui n’ont aucunement cette qualité, et ce constat s’avère plus fâcheux quand il s’agit d’un seul arbitre et qu’il se trouve que celui-ci n’a ni la formation, ni le bagage qu’il faut»,  a affirmé M. Iraqui. 

Application de la loi n° 95-17 dans le temps : une autre ambiguïté 

L’un des articles de la loi n°08.05 ayant soulevé de vifs débats au cours des 15 dernières années est l’article 327-70, dont le paragraphe 2 stipule ce qui suit : «À titre transitoire, les dispositions du chapitre VIII du titre V du Code de procédure civile précité, demeurent applicables :r>• aux conventions d’arbitrage conclues avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi,r>• aux instances arbitrales en cours devant les tribunaux arbitraux ou pendantes devant les juridictions à la date précitée jusqu’à leur règlement définitif et l’épuisement de toutes les voies de recours».r>Pourtant, en 2018, la Cour de cassation avait proposé «une interprétation qui fait sens», explique l’avocat au barreau de Casablanca Jihad Agourram. Statuant en deux chambres, la Cour avait considéré que «les anciennes clauses sont soumises, pour les règles de fond, à la loi applicable au jour où elles ont été contractées, par contre, les aspects procéduraux relèvent de la loi en vigueur à la date de la mise en œuvre de la procédure», a fait savoir l’avocat. Or l’article 103 de la nouvelle loi 95-17 reprend la même formulation que l’article 327-70 et exclut de son champ d’application les conventions d’arbitrage et de médiation conventionnelle conclues avant son entrée en vigueur, soit le 13 juin 2022, ainsi que les procédures arbitrales ouvertes avant cette date. r>«On ne peut pas, chaque fois qu’un contrat est conclu à une certaine date, lui appliquer les règles de procédure prévues par la loi en vigueur à cette même date. De fait, nous avons des clauses d’arbitrage datant de 1949, 1929, etc., des clauses compromissoires présentes dans les statuts de sociétés anciennes. Nous avons encore des baux remontant aux années 1960 et 1950. Est-ce qu’on va leur appliquer les dispositions du Code de procédure civile de 1913 ?» se demande Me Agourram. «Lorsqu’une action est introduite après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, son déroulement, du point de vue procédural, se fera en vertu de cette loi, et ce quelle que soit la date de la souscription de la clause compromissoire», estime l’avocat. «Le législateur, en modifiant un texte de procédure, le fait parce que ce texte s’est révélé inefficace. De là, on peut conclure que, sauf disposition contraire de la loi, l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi de procédure doit être avec effet immédiat», argumente-t-il. 

Apport de l’arbitrage «institutionnel» au regard de la pratique arbitrale

 r>La majorité des arbitrages effectués au Maroc, des arbitrages domestiques, sont des arbitrages «ad hoc», c’est-à-dire des procédures arbitrales réalisées en dehors des institutions permanentes d’arbitrage et organisées par les parties elles-mêmes. «Il ne faut pas rester sur des vues de l’esprit. L’essentiel des arbitrages aujourd’hui au Maroc sont des arbitrages ad hoc», déclare M. Saad El Mernissi. «Les fameuses déviances évoquées lors de ces Annuelles pourraient bien provenir du fait que l’arbitrage ad hoc donne cette liberté aux parties d’organiser leurs procédures et confère un pouvoir colossal à l’arbitre ou au tribunal arbitral pour diligenter la procédure et c’est lui qui en est le garant», remarque le président de la CMA. 

L’arbitrage institutionnel, pour sa part, a l’avantage d’offrir ce cadre : le règlement d’arbitrage étant un code de procédure civile, public et diffusé aux parties par les institutions d’arbitrage. Ces parties ont donc intérêt à connaître le règlement de l’institution d’arbitrage à laquelle elles se soumettront dans le cadre d’un éventuel litige résultant de l’exécution de leur contrat. «Ce règlement est une garantie pour les parties, car il est public et parce qu’elles disposent de l’information sur les règles de procédure qui vont être utilisées», affirme M. El Mernissi. r>Revenant sur l’arbitrage ad hoc, le président de la CMA fait état d’un paradoxe tenant au fait qu’à chaque fois qu’il se produit un blocage, les parties doivent demander une prise de position d’un juge. Quels sont ces éléments de blocage ? «Ils sont là tout le long de la procédure», annonce M. El Mernissi. Le premier élément majeur porte sur la constitution du tribunal arbitral ou la désignation de l’arbitre unique. «Si les parties ne se mettent pas d’accord, c’est le juge qui devra le faire», précise M. El Mernissi. Viennent ensuite les questions de fond, de technicité, de langue (l’arabe est la langue par défaut si la langue de la procédure arbitrale n’est pas spécifiée), de participation active des parties à la procédure et d’honoraires pour lesquels il est nécessaire de se mettre d’accord avec le tribunal arbitral, ce qui peut prendre des jours, des semaines, voire des mois, fait savoir le président de la CMA. «Une institution d’arbitrage rend ainsi un service à l’ensemble des parties qui ont fait le choix de se référer à son règlement».r>Aussi, le recours à l’arbitrage institutionnel offre aux parties, dès la rédaction de la clause compromissoire, la possibilité de se référer à un règlement d’arbitrage faisant office de canevas contenant des clauses types mises à leur disposition afin d’éviter tout problème lié aux clauses pathologiques, à la désignation d’une institution qui n’existe pas, etc. 

Arbitrage d’investissement au Maroc à la lumière de la loi 95-17 et de la nouvelle Charte de l’investissement 

L’arbitrage d’investissement est un arbitrage qui va opposer un investisseur étranger et l’État d’accueil. «C’est un arbitrage qui repose sur une relation asymétrique et est toujours à la recherche d’un équilibre contingent ces deux parties», explique l’universitaire, Ali Kairouani. Caractérisé par l’unilatéralité du mode de saisine, puisque c’est toujours l’investisseur, personne physique ou morale, qui saisit le tribunal arbitral, tandis que l’État reste toujours partie défenderesse, l’arbitrage d’investissement est régi par la Convention de Washington du 18 mars 1965, dite «Convention CIRDI».

Au Maroc, l’article 37 du chapitre 6 du projet de loi-cadre 03-22 faisant Charte de l’investissement, prévoit un règlement à l’amiable entre l’État marocain et l’investisseur, préalablement à tout recours judiciaire ou arbitral. Le problème qui se pose avec cet article, fait remarquer M. Kairouani, «est que le Maroc dans sa pratique conventionnelle n’insère pas des clauses de médiation». «Le règlement à l’amiable renvoie à plusieurs procédures (parmi lesquelles la conciliation, la consultation et la médiation), mais comme la médiation a été intégrée dans la nouvelle loi 95-17, il n’existe pour l’instant pas, dans la pratique conventionnelle marocaine, de traité comportant une clause de médiation», relève l’universitaire. Exemples : le traité bilatéral d’investissement Maroc-Japon, entré en vigueur en avril 2022, énonce dans son article 15 une clause de consultation, le TBI (Bilateral Investment Treaties) Maroc-Nigeria de 2016 prévoit dans son article 26 la négociation et la consultation, alors que l’Accord de coopération et de facilitation des investissements Maroc-Brésil de 2019 prévoit une procédure de prévention des différends sous la responsabilité du comité conjoint. Toutefois, rappelle M. Kairouani, l’article 30 du modèle de TBI Maroc, publié en 2019 auprès de la CNUCED, prévoit une clause de médiation, et d’ailleurs «en parcourant l’article 30 du modèle de TBI marocain, on retrouve les mêmes dispositions prévues par la loi 95-17 au niveau des articles 86, 87 et 88». 

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Cour marocaine d’arbitrage, comment ça marche ?

Tirant parti de l’expérience de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, la CCI Maroc a créé en son sein un organisme d’arbitrage indépendant dénommé «Cour marocaine d’arbitrage» (CMA), dont les membres sont désignés par un Comité ad hoc composé du président d’ICC Maroc (Chambre de commerce internationale Maroc), du président de la CGEM (Confédération générale des entreprises du Maroc) et du président de la CFCIM (Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc). À travers cette institution, la CCI Maroc entend promouvoir la résolution des litiges entre les entreprises marocaines et/ou les établissements stables des entreprises étrangères par une juridiction privée, tout en assurant en parallèle la promotion de la Cour international d’arbitrage de la CCI pour le règlement des litiges à caractère international. 

Une sentence définitive et exécutoire bénéficiant d’une reconnaissance internationale r>La sentence de la Cour marocaine d’arbitrage est définitive et acquiert autorité de la chose jugée dès qu’elle est rendue. Les parties, de par la soumission de leur litiges au Règlement de la CMA, s’engagent à exécuter sans délai la sentence et sont réputées avoir renoncé à toutes voies de recours. 

La libertés des parties dans la détermination du processus arbitral r>En recourant à l’arbitrage de la CMA, les parties ont la faculté de choisir le siège de l’arbitrage, la langue d’arbitrage, le droit applicable au fond et les règles de procédure. Elles peuvent dispenser les arbitres d’appliquer les règles de droit en leur permettant de statuer en équité en qualité d’amiables compositeurs. Les parties peuvent assurer par elles-mêmes la défense de leurs intérêts ou de recourir à cet effet à l’assistance de conseils. 

Une procédure rapide et aux coûts maitrisés r>L’arbitrage est plus rapide et moins onéreux qu’une action en justice. En effet, sont exclus de la procédure arbitrale, les appels en cause, les appels en garantie, les interventions et tout autre incident ou recours susceptibles d’en prolonger la durée et par voie de conséquence le coût. Les frais de l’arbitrage sont fixés selon le barème annexé au règlement de la CMA. 

Des arbitres qualifiés r>Le Comité ad hoc a agréé en qualité d’arbitres des personnalités venant d’horizons divers, jouissant d’une grande réputation et dont la compétence est notoirement reconnue dans leur spécialité. 

Quand et comment avoir recours à l’arbitrage de la CMA ?r>Les parties peuvent insérer une clause compromissoire dans leurs contrats pour marquer clairement leur volonté de recourir à l’arbitrage de la CMA. À cet effet, pour éviter toute contestation sur la validité et/ou la teneur de cette clause, la CMA recommande aux parties d’utiliser l’une des clauses suivantes :r>• Première formule : «Tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci seront tranchés définitivement suivant le règlement de la Cour marocaine d’arbitrage de la CCI Maroc par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce règlement. S’il s’avère que la procédure d’arbitrage ne peut être diligentée ou menée à son terme sous l’égide de la Cour marocaine d’arbitrage pour quelque cause que ce soit, il sera alors fait application des dispositions des articles 306 et suivants du Code de procédure civile.» r>• Deuxième formule : «Tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci seront tranchés définitivement suivant le règlement de la Cour marocaine d’arbitrage de la CCI Maroc par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce règlement. S’il s’avère que la procédure d’arbitrage ne peut être diligentée ou menée à son terme sous l’égide de la Cour marocaine d’arbitrage pour quelque cause que ce soit, les parties conviennent de recourir à l’arbitrage de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale.» r>Toutefois, l’absence d’une telle clause dans le contrat initial n’empêche pas de recourir à l’arbitrage de la CMA. Ce choix peut être fait à tout moment, dans le cadre d’un compromis d’arbitrage, conclu après la naissance du différend. 

>> Lire aussi : Refonte du Code de procédure civile : révélations sur une révolution en cours

En Afrique, l’arbitrage a vocation à devenir le mode normal de règlement des litiges du commerce international

L’arbitrage international a vocation à devenir le mode normal de règlement des litiges du commerce international, étant donné que les économies africaines, à l’instar de l’économie marocaine, opèrent un virement en faveur de l’intensification des investissements privés. C’est ce qu’à affirmé la directrice pour l’Afrique à la Cour internationale d’arbitrage de la CCI, Diamana Diawara, faisant observer que 22% des contentieux que la Cour international gère aujourd’hui sur le continent africain sont des «contentieux domestiques». Le continent africain est actuellement moins représenté que d’autres régions du monde dans les procédures de la CCI, «mais en revanche la tendance est à la hausse puisqu’entre 2020 et 2021 il y a eu une augmentation de 13% des procédures en provenance du continent africain, qui se confirme en 2022, bien que nous n’ayons pas encore les chiffres définitifs», souligne Mme Diawara.

Par contre, fait remarquer la directrice pour l’Afrique à la Cour internationale d’arbitrage, «le nombre de praticiens africains de l’arbitrage impliqués dans les procédures de la Cour internationale d’arbitrage reste très faible. Aujourd’hui, seuls 4% des arbitres sont issus du continent africain, alors qu’en 2020, ceux-ci représentaient moins de 1% des arbitres de la Cour». «L’activité d’arbitrage international, et indépendamment de l’économie sous-jacente qu’elle permet de faire fonctionner, constitue par elle-même une économie substantielle pour l’activité juridique, d’où l’importance de monter en compétence sur ce segment», a-t-elle ajouté.

 

 

 

 

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