Souvent décriée comme lente, tortueuse, inefficace, la justice n’a pas bonne presse, loin s’en faut. Dr Bensalem OUDIJA, Directeur des affaires civiles au ministère de la justice n’a pas manqué de rappeler ce qu’a dit il y a plusieurs siècles le penseur musulman Al-Mawârdi : « la moitié des justiciables considère le juge comme ennemi ». Pourquoi, a -t-il expliqué, parce que dans chaque litige, le juge donne raison à une partie contre l’autre, d’où les 50%. Dr OUDIJA qui intervenait lors de la journée sur l’arbitrage comme alternative de règlement des différends, organisée le 8 novembre par la Cour marocaine d’arbitrage, a levé le voile sur les principales nouveautés du projet de refonte du Code de procédure civile, dont l’objectif est de s’attaquer aux deux maux dont souffre la justice marocaine, à savoir la lenteur des procédures et les difficultés d’exécution des décisions de justice, qui est somme toute, la finalité de tout recours à la justice.
Une véritable révolution se prépare, notamment pour contrer certaines parties de mauvaise foi, qui usent d’artifices et de moyens dilatoires pour gagner du temps. Le fil conducteur de la réforme et le maître mot est « célérité ».
C’est une révolution et une refonte inédite du code de procédure civile qui se prépare pour les prochains mois.
Pas moins de 3,3 millions d’affaires atterrissent dans les tribunaux chaque année
Dr OUDIJA a rappelé que chaque année, hors années covid, ce sont 3.330.000 affaires qui sont portées devant les tribunaux marocains, toutes juridictions et degrés confondus (première instance – appel – cour suprême – tribunaux civils – commerciaux – administratifs – etc.). Si l’on raisonne en termes comptables de stock et de flux et si nous prenons une durée moyenne d’un dossier au tribunal avant qu’il ne soit tranché (en 1ère instance et en appel) de 5 ans, nous comprenons rapidement que les dossiers viennent s’accumuler et former une sorte d’effet boule de neige.
Le directeur des affaires civiles a indiqué que 28 à 30% des affaires portées devant la justice sont de faibles enjeux ou reflètent une mentalité chez certains justiciables caractérisée par la mauvaise foi ou la mauvaise volonté, comme les affaires de querelles de voisinage, le non-paiement des loyers, les dettes ordinaires, les pensions alimentaires, etc. De plus, le recours au mécanisme de la conciliation reste très faible et même lorsque celle-ci est prévue par la loi, notamment en matière de rupture du lien conjugal, le taux de succès est insignifiant.
Le directeur des affaires civiles n’a pas manqué toutefois de souligner que les délais de justice marocains restaient équivalents sinon meilleurs que ceux de plusieurs pays de l’UE, tels que ceci ressort du rapport de la CEPEJ - commission européenne pour l’efficacité de la justice, ajoutant que 60 à 70% des problèmes de la justice marocaine résident plutôt dans la notification et l’exécution des décisions de justice.
La refonte du Code de Procédure Civile dont le texte de base remonte à presque 50 ans (1974), loin d’être un simple toilettage, aura nécessité une vingtaine de réunions au niveau du Secrétariat Général du Gouvernement. La nouvelle mouture est maintenant fin prête et sera très prochainement examinée en conseil du gouvernement, avant de prendre le parcours législatif au parlement avec ses deux chambres.
Une justice connectée et une marche forcée vers la digitalisation
La réforme consacre la digitalisation de la procédure, en ce sens que la plainte et les répliques sont injectées par les avocats des parties dans une plateforme sécurisée. Donc plus besoin de notifier la requête en format papier. Il n’y a plus de fixation d’audience, le délai commence directement à courir dès que l’autre partie est informée du dépôt de la requête. Cette dernière adressera sa réplique selon le même procédé électronique dans la plateforme. Ainsi, la date, voire l’heure de notification est certaine et certifiée. Les bureaux de notification des tribunaux et cours d’appel, véritables machines bureaucratiques, sont purement et simplement déssaisis, idem pour les huissiers de justice qui ont du souci à se faire.
Comme première conséquence, l’obligation d’avoir une adresse électronique pour les services de l’État et les différents intervenants dans la procédure (magistrats - avocats – huissiers – experts – traducteurs – greffe – bureau des notifications et des exécutions – etc.), une véritable marche forcée pour tous les auxiliaires de justice vers la digitalisation, la dématérialisation et aussi le paiement électronique des taxes judiciaires.
Avec ce dispositif, les doléances récentes des avocats, qui organisent des sit-in pour retirer les dispositions du PLF 2023 les concernant, sont d’un autre âge ! Ces milliers d’avocats dont certains officient dans des cafés, seront obligés d’avoir un identifiant pour accéder à la plateforme de gestion des dossiers, donc d’un ICE. Ils auront également besoin d’un compte bancaire puisque les taxes judiciaires, les consignations et les offres réelles, ne seront plus payées en espèces ou par chèques au greffe du tribunal. Comme conséquence collatérale, pas de manipulation de fonds dans les tribunaux, ce qui évitera ces affaires courantes de détournements constatés dans certains greffes de tribunaux, donc plus besoin non plus de contrôles des caisses… Même la Cour des comptes sera libérée et pourra exploiter le temps gagné pour des missions autrement plus utiles.
Pour la DGI, c’est un outil providentiel pour tracer l’activité des auxiliaires de justice et pas seulement des avocats !
Un autre avantage et pas des moindres, toutes ces données devront pouvoir être consultées en ligne et le justiciable aura connaissance en temps et en heure de l’évolution de son dossier.
Le magistrat de la mise en l’état, garant de la célérité de la procédure
C’est là qu’intervient la nouvelle fonction du juge de « mise en l’état ». La mise en l’état d’un dossier c’est le moment où l’on considère que ce dossier est prêt à être examiné par un juge ou collectif de juges. Quand les parties ont épuisé leurs arguments et terminé les échanges de mémoires, les mesures d’instruction achevées, les expertises, etc. Auparavant, toutes ces mesures faisaient à chaque fois l’objet d’audiences et de renvoi à une autre date. Les magistrats s’en trouveront donc libérés et pourront rentabiliser leur temps pour traiter les affaires et les juger plutôt qu’à faire acte de présence aux audiences pour recevoir et remettre les mémoires des parties.
Jouant le rôle de « gardien du chrono », ce magistrat s’assure de la bonne marche et veille à l’avancement de la procédure et intervient lorsqu’il y a un point bloquant. Il sera donc « jugé » si l’on peut se permettre, sur le délai moyen que prend un dossier entre son introduction et son jugement.
Ce nouveau concept de procédure contradictoire électronique permettra à terme de trancher sur des affaires simples dans des délais très courts de 3 semaines ou un mois, dixit le directeur des affaires civiles.
Abolition de la notification à curateur : enterrement d’un monstre !
La notification à curateur est qualifiée par un éminent avocat de « cimetière des dossiers », c’est presque un déni de justice ou une non-décision, qui peut durer des années. A chaque fois qu’une partie a changé d’adresse, qu’elle soit une personne physique ou morale, ou qu’elle est introuvable, la loi prévoit de notifier à un agent du greffe du tribunal. Sa mission est d’en retrouver l’adresse pour lui notifier, mais dans la pratique aucune mesure n’est prise et le dossier reste suspendu. C’était une tâche noire qui paralysait le fonctionnement de la justice et contribuait à sa lenteur. La notification à curateur a été purement et simplement abolie. La procédure va suivre son cours aux dépens de la partie défaillante qui garde toutefois la possibilité de s’opposer à la décision de justice rendue hors sa présence. Là aussi, l’envoi en recommandé par la poste a été également annulé, car il est apparu que des audiences étaient reportées de plusieurs mois, dans l’attente de la notification par envoi postal recommandé. Le Tribunal se trouvant désarmé quand le pli est retourné avec la mention « non réclamé », c’est ce qui a amené les rédacteurs du nouveau code à opter pour l’adresse figurant sur la carte nationale d’identité électronique (CNIE).
L’adresse figurant sur la CNIE, considérée de droit comme adresse valable de notification
Désormais, les services de notification auront accès – sous certaines garanties - à la base de données des adresses des personnes physiques, telles qu’elles figurent dans leur CNIE et la notification à cette adresse sera considérée comme valable et produisant tous ses effets. Pour ceux qui changent d’adresse sans procéder aux formalités de changement de la CNIE, un projet de texte est en cours d’élaboration entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, rendant obligatoire la mise à jour de la CNIE dans un délai à fixer. Il vise à renforcer les sanctions pour défaut de mise à jour de l’adresse de la CNIE, prévoyant, en plus de l’amende, la possibilité d’une peine privative de liberté si des circonstances aggravantes sont constatées, telle que la mauvaise foi.
La mise en œuvre de la refonte du Code de procédure civile, grande inconnue
Certes, l’intention est louable et la démarche bienvenue mais il va falloir prendre garde aux résistances, aux blocages et surtout comment fédérer plusieurs corps de métiers parfois composés de dizaines de milliers de personnes d’horizons divers et sur quel délai. Se pose également la question des compétences techniques pour gérer une base de données qui reçoit 3,3 millions de dossiers par an et des dizaines de millions d’actes, de documents et de procédures, répartie sur l’ensemble du territoire avec plus de 125 tribunaux et cours d’appel, ce qui requiert des infrastructures et un schéma directeur informatique ad hoc, sans compter les ressources humaines, dont les compétences se font de plus en plus rares. La fracture numérique ne sera pas absente non plus, notamment sur des zones où il y a des juges résidents.
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