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Délais de paiement : tout ce qu'il faut savoir sur le nouveau projet de loi

Le cadre juridique applicable en matière de délais de paiement, adopté il y a six ans, est à bout de souffle. Marqué par de multiples dysfonctionnements, le texte en vigueur fait que 72% des sociétés marocaines sont en dehors de la loi. En en faisant un des chantiers prioritaires, le gouvernement a adopté, après des concertations avec les opérateurs économiques et d’autres acteurs, un nouveau projet de loi proposant un dispositif de sanctions pécuniaires dissuasives. Des dispositions à appliquer selon un calendrier progressif allant de janvier 2023 à avril 2026.

04 Octobre 2022 À 20:05

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L'amélioration des délais de paiement est l’un des chantiers prioritaires pour le gouvernement. C’est ce qu’avait annoncé le Chef du gouvernement au début du mois de septembre en dressant son bilan lors d’un meeting politique de la jeunesse de son parti. De la sorte, lors du dernier Conseil de gouvernement, un projet de loi a été adopté dans cette perspective. Il s’agit du projet n°69-21 modifiant et complétant la loi n°15.95 formant Code de commerce et édictant des dispositions particulières relatives aux délais de paiement. En effet, la remédiation au problème des retards de paiement est un vœu exprimé par l’ensemble des opérateurs économiques et leurs organisations professionnelles afin de mettre un terme aux dysfonctionnements décriés par ces opérateurs et portant atteinte au climat des affaires. C’est vrai, même les initiateurs de ce projet au sein du département de l’Industrie et du commerce que dirige Ryad Mezzour le reconnaissent. Ils admettent que ce projet de texte a pour objectif de corriger de multiples dysfonctionnements. Justement, selon eux, «la répartition du crédit interentreprises démontre que seulement 28% des entreprises respectent le cadre de la loi 49-15 et les 90 jours maximums de délai de paiement avec un paiement dans les délais légaux. Cela signifie donc que 72% des sociétés marocaines sont en dehors de la loi sur les délais de paiement», affirment-ils (NDLR : la loi 49-15, publiée le 6 octobre 2016, modifiant et complétant la loi 15-95 formant Code de commerce et édictant des dispositions particulières relatives aux délais de paiement). 

Ainsi, ils expliquent que suite aux résultats limités du régime actuel relatif aux délais de paiement et aux réclamations récurrentes des acteurs du secteur privé, une nouvelle réforme du cadre juridique des délais de paiement a été initiée, à la lumière des recommandations émises par l’Observatoire des délais de paiement lors de ses réunions de février 2020 et de février 2021. Les données de cette entité font ressortir qu’en dépit de l’évolution du cadre juridique, les délais de paiement demeurent sur une tendance haussière. Par exemple, les délais de paiement clients TPE sont passés de 101 à 218 jours et les délais de paiement fournisseurs de 87 à 135 jours. De même, le volume des créances inter-entreprises a atteint des niveaux alarmants, à savoir 392 milliards de DH en 2018 et plus de 420 milliards en 2019.

Avis et concertations

Il faut le préciser, le nouveau projet de loi est le fruit de concertations avec les décideurs économiques (CGEM et administrations concernées) en plus du fait qu’il figure parmi les avant-projets de textes législatifs et réglementaires ayant été soumis aux commentaires du public sur le site du SGG (secrétariat général du gouvernement). À cela s’ajoute un avis du Conseil de la concurrence demandé par le gouvernement à son propos. Parmi les dispositions retenues suite à ces concertations, notre source cite celles visant à «revoir la fréquence de dépôt de déclaration des factures ramenée d’une année à un trimestre et l’instauration de la déclaration globale aussi bien des factures reçues que des factures émises». Il s’agit aussi de règles visant à exclure les factures contestées du champ d’application de l’amende, ainsi que la réintroduction de l’approbation préalable par décret, après avis du Conseil de la concurrence, des accords dérogatoires professionnels, comme le prévoit la loi 49.15. Parallèlement, d’autres dispositions proposées ont été écartées. Il s’agit, entre autres, de la proposition de supprimer le seuil de 10.000 DH fixé pour les factures passibles d’une amende pécuniaire en cas de retard de paiement et de maintenir ouvert le champ d’application de ce texte de loi à toutes les factures, quels que soient leurs montants. À également été écartée une proposition qui recommandait «un cadre clair et précis définissant les conditions d’octroi des remises ou des modérations de paiement des amendes pécuniaires et de leur publication au Bulletin officiel».

Profils des entreprises et sanctions prévues

Quelles sont donc les entreprises qui vont être soumises aux dispositions du nouveau texte qui devrait être examiné lors de cette session d’octobre du Parlement ? À la lecture du contenu du projet de loi, on relève que ses dispositions s’appliquent «aux personnes physiques et morales qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à deux millions (2.000.000) de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée». Il est à souligner que, pour plus de rigueur, le projet de texte prévoit des sanctions assez dissuasives. Justement, les dispositions de ce projet de loi (l’article 78- 3) visent à remplacer l’indemnité de retard que le débiteur débourse au créancier par «l’amende pécuniaire au profit du Trésor fixée au taux directeur de Bank Al-Maghrib appliqué à la fin du premier mois de retard de paiement, augmenté de 0,85% par mois ou fraction de mois de retard supplémentaire». L’intérêt de remplacer l’indemnité de retard par l’amende pécuniaire est justifié par le fait que la pratique a fait ressortir une difficulté à appliquer cette indemnité qui ne peut s’appliquer de manière spontanée, nous expliquent des cadres du ministère de l’Industrie et du commerce. «L’amende pécuniaire, au contraire, s’appliquera automatiquement selon les modalités précisées dans ce projet de loi, ce qui permettra de sanctionner et de dissuader les débiteurs qui ne respectent pas les délais légaux de paiement», nous assure-t-on. 

Le calendrier de mise en œuvre des dispositions du projet de loi

  1. Les dispositions du projet de loi devront être applicables aux factures émises à compter du 1er janvier 2023.
  2. Les dispositions des articles 78-3 à 78-10 relatives à l’amende pécuniaire et à la déclaration auprès de l’administration s’appliqueront aux factures émises :

    • À compter du 1er janvier 2023 pour les personnes physiques et morales qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à cinquante millions (50.000.000) de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée au titre du dernier exercice comptable clos.
    • À compter du 1er janvier 2024 pour les personnes physiques et morales qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur ou égal à cinquante millions (50.000.000) de dirhams et supérieur à dix millions (10.000.000) de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée au titre du dernier exercice comptable clos.
    • À compter du 1er janvier 2025 pour les personnes physiques et morales qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur ou égal à dix millions (10.000.000) de dirhams et supérieur à deux millions (2.000.000) de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée au titre du dernier exercice comptable clos.

  3. L’amende pécuniaire prévue par l’article 78-3 de la loi n°15-95 formant Code de commerce ne s’applique pas aux factures émises avant le premier janvier 2025 et dont le montant est inférieur ou égal à dix mille (10.000) dirhams, toute taxe comprise.
  4. Les personnes physiques et morales qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur ou égal à cinquante millions (50.000.000) de dirhams, hors taxe sur la valeur ajoutée au titre du dernier exercice comptable, doivent souscrire annuellement auprès de l’administration la déclaration prévue par l’article 78-4 de la loi susvisée n°15-95 au titre des années 2024 et 2025. Cette déclaration doit être souscrite respectivement avant le 1er avril 2025 et avant le 1er avril 2026.

Délais de paiement : les apports du projet de texte n°69-21

  • Appliqué aux délais de paiement des montants dus entre commerçants, dont le siège fiscal, domicile fiscal ou établissement se situe au Maroc.
  • Exclure, du champ d’application des délais de paiement prévus par ce projet de loi, les personnes physiques et morales réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur ou égal à deux millions de dirhams hors taxe sur la valeur ajoutée.
  • Fixer le délai de paiement maximum, s’il est convenu entre les parties, à 120 jours au lieu de 90 jours en vigueur. (A défaut d’accord entre les parties le délai légal est maintenu à 60 jours).
  • Adopter la date d’émission de la facture comme point de départ pour le calcul du délai de paiement des sommes dues au lieu de la date de l’exécution de la prestation de service.
  • Fixer le dernier jour du mois, au cours duquel la marchandise a été délivrée ou les travaux ou services demandés ont été exécutés, comme un délai maximal pour l’émission de la facture.
  • Accorder un délai dérogatoire ne dépassant pas 180 jours pour les professionnels des secteurs à caractère spécifique et/ou saisonnier, en vertu d’accords conclus en ce sens par leurs organisations professionnelles, par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.
  • Exiger un régime de déclaration trimestrielle, par procédé électronique, auprès de l’administration, pour les factures non payées dans les délais, payées totalement ou partiellement hors délai et celles non payées parce qu’elles font l’objet d’un recours judiciaire, accompagnée d’un état détaillé après son approbation par un commissaire aux comptes, un expert-comptable ou un comptable agrée.
  • Octroyer à l’autorité gouvernementale chargée des Finances ou à la personne déléguée par elle à cet effet le pouvoir du contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations en fixant les modalités de ce contrôle.

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