Économie

Situation économique du Maroc : Les messages forts d'Ahmed Lahlimi

Pour exposer l’état des lieux de l’économie nationale et les perspectives de son évolution dans un environnement mondial défavorable, Ahmed Lahlimi n’a pas fait dans la dentelle ! En grand connaisseur des maux de l’économie nationale, le haut-commissaire au plan a en effet livré une analyse sans concession de la situation. Avec son franc-parler habituel, il a pointé du doigt les faiblesses et les obstacles à surmonter, plaidant pour des changements structurels et une responsabilité partagée, basée sur la la solidarité et l’exemplarité morale.

Ph. Kartouch

15 Juillet 2022 À 16:14

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Conjoncture : les difficultés actuelles sont parties pour durer 

«Les changements qui marquent le contexte mondial actuel vont être déterminants dans ce que nous subirons dorénavant dans nos économies. Nous sommes dans une situation où il va falloir prendre en compte le caractère structurel et la durée de certaines problématiques importantes que nous rencontrons aujourd’hui et qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain, telles que le prix de l’énergie qui va continuer à augmenter, le problème alimentaire qui va continuer à s’aggraver, le coût monétaire qui va continuer à augmenter… Les années 2022 et 2023 sont un peu l’illustration des questions que nous aurons à retrouver en embryon ou de façon plus éclatante à l’avenir.»

Protectionnisme : du temps et de l'argent pour s'adapterr>«Nous sommes aujourd’hui dans un monde qui croyait se retrouver avec des chaines de valeurs mondialisées, or il s’est avéré qu’elles sont surtout régionalisées. Alors, pour que l’ensemble du système d’échange dans le monde et des chaines de valeurs se redéploie, il faut du temps et de l’argent : il faut des investissements dans les énergies et dans les technologies, mais aussi des investissements énormes pour faire face au changement climatique…»

Solidarité et exemplarité morale, deux mots d'ordres

«À des questions structurelles, il faut des réponses structurelles. Donc, oui à l’évaluation des politiques publiques. En effet, chaque fois qu’un budget sera établi par le gouvernement, il y aura des décisions à appréhender et des choix à faire. Et cela n’est jamais évident ! Et chaque fois que l’on soulèvera une question de conjoncture, cela nous ramènera à des questions de structure. C’est pour cela que nous devons faire prévaloir la solidarité et l’exemplarité morale qui est conditionnée par l’égalité des chances, l’égalité dans le support des coûts et le gain des bénéfices.»

L'agriculture traditionnelle, un patrimoine à ne pas dilapider r>«Dans le domaine de l’agriculture, la rupture doit se faire par la montée en gamme et en vitesse de nos produits non agricoles, mais aussi par une inflexion de notre politique agricole. Nous avons beaucoup développé l’agriculture dite moderne. Mais dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, où la sécurité alimentaire est devenue stratégique pour n’importe quel pays, il ne faut pas oublier l’importance de l’exploitation familiale, un patrimoine qu’on est peut-être en train de dilapider. J’ai peur de voir disparaitre ce mode de gestion qu’on trouve dans le monde de l’agriculture traditionnelle sans pour autant gagner en productivité.»

Investissement Vs rendement : le paradoxe r>«L’investissement que nous réalisons est extrêmement important : nous sommes à environ 30%, et même au-delà, de notre PIB. C’est énorme ! Comment se fait-il alors qu’on a des rendements aussi faibles ? Cela veut dire que c’est mal géré ! Cela veut dire qu’il y a des dilapidations quelque part ! Cela veut dire que nous investissons là où il ne faut pas !»

2,5 années de croissance perdues en 3 ans r>«Nous avons perdu ces trois dernières années l’équivalent de 2,5 années de croissance qu’il va falloir récupérer. Cela demandera beaucoup d’effort et un nouveau régime de croissance. Nous avons aussi devant nous ce que la communauté nationale, par la voix de Sa Majesté, a acté comme objectifs à l’horizon 2035. Nous avons par ailleurs perdu l’équivalent de 3 années de lutte contre la pauvreté sous les effets conjugués de la pandémie, de la sécheresse et de l’inflation. Pour ce qui est des inégalités de revenus, nous avons été ramenés aux niveaux enregistrés en 2019.»

Pas de réforme de l'administration sans revalorisation des salaires 

«Nous nous appuyons toujours sur les capitaux étrangers, mais nous devons encourager les capitaux marocains et soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) ! Pour cela, il faut que celles-ci n’aient pas devant elles une administration qui les marginalise, qu’elles doivent soudoyer ! C’est là où le bât blesse ! C’est cela la véritable réforme de l’administration dont on parle ! La réforme ne se limite pas à la numérisation. D’ailleurs, ma conviction est que la digitalisation de l’administration, avec les structures en silos, ne marcheras jamais. La véritable réforme de l’administration ne peut se faire avec les salaires pratiqués actuellement. Il faut une véritable revalorisation des capacités et il est temps d’y aller. Je sais que c’est difficile à cause des résistances. Mais tant qu’on continuera à subir les résistances des moins bons, ça sera mauvais.»

Le gouvernement doit parler le langage de la vérité 

«La remise sur les rails de notre économie devra se faire dans la solidarité. Personne ne doit supporter le plus gros des coûts : nous ne pouvons ni surcharger l’État, ni surcharger les ménages et encore moins être sur le dos des entreprises. Nous devons d’abord parler le langage de la vérité. J’attends donc de nos gouvernants qu’ils nous disent la vérité. Nous demandons aussi à tous ceux qui mènent des analyses et des évaluations de le faire en toute honnêteté.»

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