04 Décembre 2022 À 15:17
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Amina Msefer : C’est dans le cadre de l’émergence de l’économie sociale et solidaire que l’association «Hadaf» a eu l’idée, et ce dès la création du centre socioprofessionnel «Hadaf» en 2005, de mettre en place des activités génératrices de revenu (AGR) tels que le restaurant solidaire «Hadaf», la salle de conférence, le service traiteur et la maison d’hôtes solidaire Dar Diaf, qui a été rénovée grâce à l’appui de la Fondation OCP et qui a rouvert ses portes le 30 novembre dernier. Au-delà d’être des activités génératrices de revenus, ces lieux servent également de lieux de formation et de stage pour les jeunes apprenti(e)s du centre afin de les préparer à une réelle inclusion professionnelle, soit en interne soit en externe, en milieu ordinaire du travail. Depuis notre création en 1997, nous avons assuré l’accueil de 716 personnes en situation de handicap mental et l’orientation de 520 autres hors «Hadaf» depuis 2001. Ce qui a permis l’insertion de : 138 jeunes en situation de handicap mental en stages internes et 20 en stages externes depuis 2018 ; 5 en emplois internes depuis 2019 ; et 25 en emplois dans le milieu ordinaire depuis 2003. Et actuellement, nous avons 95 jeunes en formation au sein des 10 ateliers de formation que compte le Centre socioprofessionnel «Hadaf».r>L’impact de ces initiatives ne peut être que positif, car, d’une part, ces AGR permettent aux personnes en situation de handicap mental de se former et d’être accompagnées selon leurs capacités aussi bien mentales que physiques, et ce dans un cadre où elles sont considérées et respectées sans être stigmatisées. C’est une façon pour elles de gagner confiance en elles et de pratiquer leurs acquis dans des situations réelles.r>Par ailleurs, ces AGR contribuent à changer le regard et les perceptions négatives que peut avoir la société sur les personnes en situation de handicap mental. Elles permettent de donner de la visibilité aux capacités et aux performances tant sociales que professionnelles des jeunes en situation de handicap mental. Nos quatre AGR’s sont ouvertes au public, qui est souvent surpris au départ, puis émerveillé par les capacités professionnelles des apprenti(e)s, ainsi que par leur capacité d’adaptation à une clientèle diversifiée. Respectueux et professionnels, certain(e)s de nos apprenti(e)s se voient proposer des stages et des emplois. Deux de nos jeunes viennent d’ailleurs d’être recrutés au niveau d’un établissement hôtelier à Mohammedia.
Selon l’Enquête nationale sur le handicap de 2014, le taux national de prévalence du handicap est estimé à 6,8%. En termes de ménages, 1 ménage sur quatre (24,5%) compte en son sein au moins une personne en situation de handicap sur un total de 7.193.542 ménages. 66,1% sont sans instruction, ce qui correspond à près de 1.476.000 personnes, dont 66,6% sont des femmes. Toujours d’après cette enquête, les personnes en situation de handicap qui se déclarent en chômage sont de 24,6%, soit 285.809 personnes dont 38,1% sont des femmes. Le taux de chômage est de 47,65%, un taux qui est 4 fois supérieur à celui du taux de chômage national. Et les femmes en situation de handicap ont neuf fois moins de chance de trouver un emploi que les hommes en situation de handicap. Et les personnes en situation de handicap mental sont celles qui sont le plus marginalisées et discriminées puisqu’elles ont beaucoup moins d’opportunités d’emploi étant donné que beaucoup d’entreprises considèrent que leur handicap ne leur permet pas d’exercer une activité professionnelle.r>Concernant les obstacles à la non-inclusion des personnes en situation de handicap en général, ils sont nombreux et sont liés : à la méconnaissance du handicap qui est souvent réduit à une situation d’incapacité et non à un environnement inadapté ; à l’absence d’accessibilités dans le lieu du travail, les transports et les infrastructures qui rendent les déplacements très compliqués ; au non-aménagement des postes de travail par les employeurs ; aux perceptions négatives à l’égard de cette population ; et à la non-application des lois, telle que la loi-cadre 97.13 de 2016. Cette loi prévoit, en effet, des mesures de promotion de l’emploi visant à encourager le recrutement de personnes en situation de handicap dans les secteurs public et privé Un quota de 7% de postes réservés sur la base d’un concours a été fixé, mais il n’a pas toujours été appliqué. Et dans les faits, les postes réservés ne correspondent pas toujours aux qualifications des candidats. Quant au secteur privé, aucun quota n’a été fixé. Les mesures prévues ne sont pas assez contraignantes ni incitatives.r>Un des obstacles aussi parmi les plus importants est le faible niveau de formation et de qualification des personnes en situation de handicap. En effet, l’emploi des personnes en situation de handicap est lié à un problème systémique situé en amont, à savoir l’accès à la scolarisation et à la formation. Selon les chiffres du projet d’avis présenté par le Conseil supérieur de l’éducation en mai 2019, seulement 1,8% des personnes en situation de handicap décrochent un diplôme dans l’enseignement supérieur, et parmi celles qui ont fréquenté un établissement scolaire, 9 sur 10 quittent l’école sans diplôme. Dans le cas du handicap mental, les enfants en situation de handicap mental ont longtemps été écartés de l’école publique et privée. Que ce soit les directeurs d’école ou les enseignants, ces derniers considéraient que leur handicap mental ne leur permettrait pas d’atteindre les objectifs d’apprentissage et risqueraient de compromettre les capacités d’apprentissage des élèves dits «normaux». Donc très peu ont un niveau scolaire et sans cela, elles ne peuvent pas accéder aux centres de formation professionnelle et donc à l’emploi.r>La question de la tutelle pose également problème. Les personnes en situation de handicap mental sont considérées par la loi et en particulier le code de la famille, comme étant en incapacité de se représenter elles-mêmes légalement. Elles sont placées sous l’autorité parentale ou d’un représentant légal, et ne peuvent donc pas signer de contrat en leur nom, ce qui constitue une réelle barrière à leur inclusion professionnelle et donc à la possibilité de jouir d’une autonomie matérielle. Pourtant nombreux sont les jeunes en situation de handicap mental qui accumulent des années de stages sans être en mesure d’être rémunérés et de bénéficier de protection sociale.
Certes, petit à petit, les choses sont en train de changer. À titre d’exemple, en juillet 2022, deux conventions de partenariat relatives à l’insertion socio-économique des personnes en situation de handicap mental dans le secteur du commerce et de la grande distribution ont été signées, par le ministère de l’Industrie et du commerce, le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, l’Union nationale des associations œuvrant dans le domaine du handicap mental (UNAHM), les groupes Marjane et Label’Vie. L’objectif de ce partenariat est d’accompagner l’insertion socioprofessionnelle d’ici fin 2023 de 100 personnes en situation de handicap mental dans le milieu professionnel à l’échelle nationale à moyen et long termes, d’agir en faveur de la qualification, de l’insertion socio-professionnelle et de l’accompagnement des personnes en situation de handicap mental, et de faire évoluer positivement les représentations sociales liées au handicap mental au Maroc. Nous espérons qu’il y aura plus d’initiatives de ce genre.
Les médias ont un rôle très important pour faire évoluer les mentalités et rendre plus visible le handicap. Si pendant longtemps, le sujet du handicap a été traité sous l’angle de la précarité et de l’émotionnel, on constate aujourd’hui que les médias mettent de plus en plus en lumière des parcours et des initiatives positives. Et cela doit continuer en mettant encore plus l’accent sur les droits et les capacités professionnelles des personnes en situation de handicap mental, car ce sont également des citoyen(e)s qui aspirent à participer activement à la société.r>Il est également important que les associations créent des activités génératrices de revenus et mettent en place des programmes de formation professionnelle adaptée pour préparer les jeunes en situation de handicap mental à accéder au marché du travail. Il faut également qu’il y ait un grand travail de sensibilisation auprès du secteur privé pour que les entreprises donnent leur chance aux personnes en situation de handicap mental. Et enfin, l’État doit également veiller à ce que les lois soient appliquées et respectées, à ce que les droits des personnes en situation de handicap mental soient réellement reconnus et pas seulement dans les textes. Il doit également se pencher sur la question de la tutelle, car cela entrave l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap mental. Et, il faut également qu’il implique davantage la société civile dans l’élaboration des lois et des politiques publiques. C’est un travail qui doit être mené conjointement entre l’État et les associations œuvrant dans le domaine du handicap mental afin d’ancrer davantage l’inclusion socioprofessionnelle des personnes en situation de handicap mental au Maroc.