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Les magistrats croulent sous les dossiers, menace sur la mission de la Cour de cassation

En 2022, chaque magistrat a prononcé 1.700 décisions, soit 7 jugements définitifs par jour. Pour le premier président de la Cour de cassation et président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, ce rythme dépasse les capacités des magistrats et déteint par la force des choses sur la qualité et les délais des jugements.

06 Février 2023 À 20:52

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Le renforcement du corps des magistrats constitue l’un des grands défis que l’appareil judiciaire est appelé à relever au cours des deux prochaines années pour améliorer la qualité et les délais de jugements. «En effet, malgré les efforts consentis par les magistrats au cours des dernières années pour améliorer les délais de jugement, force est de reconnaître qu’ils sont dépassés par la hausse continue du nombre d’affaires», a affirmé Mohamed Abdennabaoui, premier président de la Cour de cassation et président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), dans son discours prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire de 2023, lundi à Rabat.  

Les statistiques au niveau des tribunaux marocains sont satisfaisantes 

Pour le haut responsable, le manque est si important que le recrutement de nouveaux magistrats devient un impératif immédiat. Il suffit de consulter les statistiques de 2022 pour s’en convaincre. Le nombre total des affaires enregistrées devant les tribunaux compétents au cours de l’année 2022 a atteint 4.377.033 affaires, contre 3.857.389 affaires en 2021, soit une hausse de 13,47%. Quant au nombre des jugements prononcées en 2022, il s’est élevé à 4.356.970, soit une hausse estimée à 13% par rapport à 2021 (soit 498.924 jugements supplémentaires) par rapport aux jugements rendus en 2021. «S’il faut se féliciter aujourd’hui des efforts colossaux et du travail exceptionnel accomplis par les magistrats qui ont honoré leurs engagements constitutionnels en statuant sur 99,54% des affaires enregistrées, il convient de relever que l’augmentation du nombre d’affaires enregistrées dépasse de loin leurs capacités.

Chaque magistrat est appelé aujourd’hui à se prononcer sur 1.700 affaires par an, ce qui signifie qu’il devrait prononcer sept jugements par jour, sachant qu’il s’agit ici de jugements définitifs et non de jugements préliminaires, ou autres décisions prises par les juges. Cette situation est inacceptable et interpelle sur la nécessité urgente de trouver les solutions appropriées, d’autant plus que 14 nouveaux tribunaux seront bientôt inaugurés», a expliqué M. Abdenabaoui.

Malgré les efforts, les magistrats submergés de dossiers 

Selon le haut responsable, malgré les efforts consentis, la hausse continue du nombre d’affaires déteint sur la qualité et les délais de jugements au niveau de tous les types de tribunaux. Et la Cour de cassation n’est pas épargnée puisqu’elle se trouve également «submergée» par le nombre d’affaires enregistrées. Selon les données fournies par le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), cette Cour a enregistré 52.676 nouvelles affaires, au cours de l’année écoulée, soit une augmentation de près de 7,68% par rapport à 2021, marquée par l’enregistrement de 48.919 affaires, (soit 3.757 affaires supplémentaires).

Des affaires qui se sont ajoutées à celles qui attendent toujours d’être mises au rôle depuis les années précédentes et qui s’élevaient à 45.644 affaires. Ainsi, le nombre global des affaires devant la Cour de cassation se monte à 98.320 affaires, soit une augmentation de 8,25% par rapport à l’année 2021 (7.497 dossiers). «Cette hausse importante des affaires a porté la part des dossiers confiée à chaque magistrat relevant de cette Cour à 550 dossiers, soit plus du double du nombre maximum des jugements prononcés en 2021 (soit 230 décisions en moyenne). Mais malgré le dévouement des juges de cassation qui ont pu produire un total de 48.423 décisions en 2022 (+6,88 % par rapport à l’année 2021), les jugements rendus n’ont concerné que 50% du nombre total des affaires présentées devant la Cour. Une situation qui n’est pas sans conséquence sur les missions de cette Cour et son rôle en matière de sécurité judiciaire», a alerté le même responsable.

Pour M. Abdennabaoui, il est impératif de trouver des solutions idoines à cette situation et parmi les pistes à explorer, il recommande d’agir pour limiter le recours à la Cours de cassation. Il a appelé à mener un réflexion en concertation avec le législateur sur les conditions et les modalités du pourvoi en cassation. «Les recours qu’elle reçoit doivent être maîtrisés afin que ses juges disposent du temps nécessaire pour examiner les affaires qui leur sont soumises», a-t-il souligné. Mohamed Abdennabaoui a plaidé par ailleurs pour la réduction des affaires transmises à la Cour à travers le suppression des pourvois liés aux affaires de faible importance. Il a également appelé à rendre obligatoire la garantie financière prévue par l’article 530 du Code de procédure pénale, avec une augmentation de son montant pour prévenir les recours arbitraires, tout en exonérant les personnes démunies du paiement. Le premier président de la Cour de cassation a proposé en outre de renforcer la spécialisation des magistrats du parquet et des membres de la défense dans les affaires de cassation à travers la mise en place de nouvelles spécialités. 

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