03 Juillet 2023 À 10:10
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Bien que lui-même pas mal connu, Najib Refaif a choisi, depuis des années, d’être le chroniqueur de ce dont personne ne parle : Les gens de peu, les faits divers qui ne défrayent pas la chronique, mais qui défient souvent le bon sens, ou alors les petits buzz d’avant l’ère des réseaux sociaux. Pour cela, il a choisi, si l’on peut vraiment parler de choix, de s’exprimer en chronique. Ce noble art du journalisme, tenant de l’objectivité de l’observateur et de la subjectivité du commentateur, a longtemps offert à Refaif une tribune au premier rang de la vie des Marocains. Il en a amassé un tel nombre qu’il lui arrive de reprendre des sujets, avec souvent plus de recul, mais alors plus de mordant.r>Dans «Petites mythologies marocaines», Najib Refaif s’attarde sur des petits mythes que l’on a inventés pour remplacer les grands, ou ceux qu’on a créés pour des fonctions précises, au gré des circonstances et des évolutions sociales.
De toutes ces histoires que nous connaissons, nous seuls Marocains, l’auteur a réalisé un petit recueil d’histoires à raconter, à commenter et à railler le plus souvent, avec sens critique, mais surtout avec la plus grande des bienveillances. Car Marocain, il l’est également, avec son lot de mémoires absurdes, de contradictions et de traditions acquises et transmises. À chaque page du livre, la réflexion est de mise, l’humour est au tournant.
Du rite au rire
«On l’appelle “fête du mouton” alors que c’est ce dernier que l’on tue… À propos, si Abraham est bien le prophète des trois religions révélées, pourquoi alors seuls les musulmans s’y collent-ils depuis près de quinze siècles ?», s’interrogera Najib Refaif à propos de la fête de l’Adha, comme il se remémorera le rituel «drolatique, mais traumatisant, de la circoncision», tradition machiste censée «renforcer la posture de l’enfant-roi, le garçon». Plus loin, il étayera le lien entre la semoule et la croyance, réunies dans un plat nommé Couscous. Et comment passer à côté de la résistance mystérieuse de la «Harira» ramadanesque à tous les changements et modernisations des foyers marocains, même les plus aisés ? Vous l’aurez bien compris, les rituels et cérémonies sont, pour Najib Refaif, une mine d’anecdotes et de mémoires drôles ou pas, que l’on connaît et partage à large échelle. D’autres faits plus sporadiques, relevant de la superstition, sont également relevés avec sarcasme et sans indulgence aucune !
Lorsqu’on l'a sommé, dans l’aéroport d’un pays arabe, de donner le nom de son père, de son grand-père et de sa tribu, Najib Refaif est resté pantois. Il porta dans son bagage une interrogation lancinante sur la portée du nom de famille dans le monde arabe et dans le Maroc à l’histoire coloniale. Au Maghreb, ce sobriquet, censé apporter des éclairages sur la personne et de son ascendance, s’est trouvé changé ou malmené, mais surtout amputé d’éléments d’identification. Et c’est ainsi que s’est construite la chronique «La preuve de soi».r>D’autres chapitres s’arrêtent sur cette langue non reconnue, néanmoins maternelle, qu’est la darija, débattue entre «les tenants d’une modernité mal définie et les populistes de tout poil, barricadés derrière le sempiternel argument de l’identité arabo-musulmane». Plus loin, l’auteur estime que «s’agissant de la prise de décision sur une question aussi sensible à laquelle on s’efforce de donner une forme démocratique, on sait (…) qu’en démocratie, il y a rarement de débat, “il n’y a que la juxtaposition de monologues nerveux”».
Si faire parler les animaux est le propre du littérateur (qu’il soit nommé Lafontaine, Orwell ou Ibn Almuqaffa), le Marocain leur coupe la parole, les met au travail et parle pour eux. Najib Refaif donne, pour exemple, le cas des singes domestiqués par les saltimbanques de Jamaâ El Fna. Le nom des rues, le rapport au temps, le tourisme, le foot, les selfies, le café, etc. : Un tas d’autres petits mythes de la vie des Marocains se bousculent dans ce petit livre, grand par ses références et son contenu fédérateur. À lire pianissimo !
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