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«La version des fées» : un cours accéléré de désenchantement

Paru aux Éditions de La Croisée des Chemins, «La version des fées» est le dernier livre de Souad Jamaï. L’autrice tente, à travers le théâtre, de déconstruire l’image archétypale de la femme dans les contes de fées. L’humour est au rendez-vous. L’audace aussi.

«La version des fées» : un cours accéléré de désenchantement
La version des fées.

Souad Jamaï en est à sa quatrième publication. Après avoir longtemps lutté contre l’injonction de traiter des sujets dits féminins, l’autrice entre dans le féminisme de plain-pied et de la plus belle manière. Dans «La version des fées», Souad Jamaï se lance dans une déconstruction audacieuse des célèbres contes populaires. Elle s’adonne à un bel exercice de détournement, associé à une translation spatio-temporelle, qui crée un joyeux capharnaüm dans nos illusions ancrées depuis la tendre enfance. Discriminations et préjugés, sous le regard de l’humour et de la dérision, se trouvent ainsi confrontés à leur propre absurdité. Dans cette œuvre, «Shéhérazade», «La Belle au bois dormant», «Aïcha Kandisha», «Barbe bleue», «Les fées, Ariel, Jafaar», «L’inspecteur Ali» et autres personnages de légendes qui n’auraient jamais dû se croiser, se retrouvent réunis dans un dialogue tout ce qu’il y a de plus contemporain. Leurs rencontres génèrent des situations improbables, dans lesquelles on reconnaît notre monde réel. De ces rencontres, naissent également des conflits, des rixes et des luttes aux fins mystérieuses.

Une question qui taraude toutes les générations gavées à la Disney : ont-ils vraiment vécu heureux ? Souad Jamaï nous assure que non ! Confrontés aux réalités domestiques, aux caractères divergents et aux désillusions amoureuses, les personnages de contes de fées galèrent comme tout le monde. Que l’on soit princesse ou émir, sirène, fée ou djinn, la réalité est la même pour tous. Souad Jamaï incarne cette réalité par un compte de faits matériels bien drôles : soucis administratifs, travail, hygiène de vie, hygiène tout court, amours modernes, réseaux sociaux et bien d’autres ancrages modernes, dont l’anachronisme extirpe des sourires aux plus récalcitrants.

Une expression de genres

Vous l’aurez compris : la pièce dénonce la fin stéréotypée des contes de fées et ce mariage soldé par un bonheur dégoulinant, qui enferment la pensée dans un modèle unique, n’offrant que peu de perspectives aux femmes. Mais plus encore, l’autrice creuse pour déterrer les mécanismes par lesquels les rôles traditionnellement attribués aux femmes influencent leur perception même de la féminité. Un florilège de questionnements profonds, tapis dans des scènes cocasses, est partagé par les personnages. La question du genre est centrale, ainsi que toutes les questions qui y sont liées. D’ailleurs, «Ariel» qui s’est mise à marcher, n’est pas certaine de vouloir un sexe féminin, «Jaafar» veut entamer sa transition pour devenir femme pour échapper au rôle de méchant, «La belle au bois dormant» se sent agressé sexuellement par un baiser non consenti, «Aïcha Kandicha» est repoussée des castings de princesses à cause de son accent et «Shéhérazade» déçoit, car elle n’est pas aussi belle qu’on s’y attend. Les fées, quant à elles, sont confrontées à des crises existentielles, quand elles ne passent pas leur temps à fumer du cannabis. En revisitant ces personnages, Souad Jamaï pointe le désarroi féminin entre la représentation idéalisée et le manque de perspective. Sous un air badin et une écriture légère, la pièce pose une réflexion sur la place de la femme dans la société contemporaine, mais aussi sur la quête d’identité et le désir de s’affranchir des contraintes imposées par les traditions.

Le théâtre, un amour d’enfance

En tant qu’autrice, Souad Jamaï a toujours cherché à repousser les limites de sa créativité. Elle a souvent évité de s’attarder sur des sujets dits féminins, préférant explorer diverses facettes de la condition humaine. Ce fut le cas dans «Un toubib dans la ville», «Les ailes de papier» et «Le serment du dernier messager», couronné de la mention spéciale du Prix Ivoire. Toutefois, avec «La version des fées», elle s’attaque frontalement à la question de la condition féminine, mais avec finesse et humour qui témoignent de son talent. Rappelons que Souad Jamaï est cardiologue de métier. Ses études scientifiques n’ont pas empêché la littérature et l’art de s’immiscer dans son quotidien. Au contraire, le contact avec les patients nourrit ses réflexions sur la société et son désir de produire. Souad Jamaï écrit également dans des publications scientifiques, sur des recherches médicales, comme dans des revues généralistes, pour parler d’intelligence artificielle et de transhumanisme. En plus de ce foisonnement textuel, il convient de souligner que Souad Jamaï a déjà fait ses preuves dans le domaine du théâtre en tant qu’autrice et metteuse en scène. «La version des fées» ne tardera donc pas à envahir les planches. En attendant, c’est une lecture ludique à partager auprès des plus jeunes filles, question d’entamer un désenchantement rapide et salutaire, pour en finir avec les attentes démesurées et les croyances limitantes. 

 

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